- Dec 2019
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L'"effet imaginaire" de certains objets sur la perception temporelle du narrateur : les livres et le téléphone.
p. 115
livres dont j’avais appris finalement à couper les pages pour ne pas constater, quelques mois plus tard, qu’ils étaient intacts.
p. 121
À partir du vendredi à la première heure, le téléphone m’inspira de l’inquiétude. J’étais indigné par le fait que cet instrument, qui m’avait fait entendre quelquefois la voix désormais perdue de Beatriz, pût se rabaisser à être un réceptacle des lamentations inutiles et peut-être de la colère de Carlos Argentino Daneri que j’avais trompé.
Selon l'arbre sémantique établi par Francesco Orlando dans Les Objets désuets dans l'imagination littéraire, ces "images de corporéité non fonctionnelle" (livres intacts et téléphone) paraissent produire deux "effets imaginaires" distincts : les livres, dont le narrateur coupe les pages, produirait une perception individuelle de l'écoulement du temps (le "désolé-disloqué"), alors que le téléphone, provoquant l'inquiétude du narrateur en même temps qu'il évoque le souvenir de Beatriz, produirait un double effet : une incidence "brute" et menaçante sur le "temps actuel" (le "stérile-nocif") et une perception "complaisante" du temps qui passe (le "mémoriel-affectif").
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p. 164-165
Une multiplicité d'objets permettent au narrateur de se remémorer la configuration de la chambre : les « hautes courtines blanches », les « couvre-pieds en marceline », les « courtes-pointes à fleurs », les « couvre-lits brodés », les « taies d’oreillers en batiste », la « trinité du verre à dessins bleus, du sucrier pareil et de la carafe », l’« ampoule de verre » et sa « précieuse liqueur de fleur d’oranger », les « petites étoles ajourées au crochet », la « cloche de verre », « la pendule », les « coquillages », la « blanche nappe de guipure », les « deux vases », l’« image du Sauveur », le « buis bénit » et le « prie-Dieu ».
Préparant cet espace-temps du « non-moi » (explicité en p. 167), ces objets produisent un effet (aesthesis) dépersonnalisant - et curatif - sur le narrateur :
[…] toutes ces choses qui non seulement ne pouvaient répondre à aucun de mes besoins, mais apportaient même une entrave, d'ailleurs légère, à leur satisfaction, qui évidemment n'avaient jamais été mises là pour l'utilité de quelqu'un, peuplaient ma chambre de pensées en quelque sorte personnelles […] la remplissaient d'une vie silencieuse et diverse, d'un mystère où ma personne se trouvait à la fois perdue et charmée […] (p. 166)
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p. 164
Mais c'est justement de ces choses qui n'étaient pas là pour ma commodité, mais semblaient y être venues pour leur plaisir, que ma chambre tirait pour moi sa beauté.
La chambre de Proust devient ce lieu d’une récollection d’objets infonctionnels et disparates d’où procède une expérience esthétique. Dans Les Objets désuets dans l'imagination littéraire, Fernando Orlando en explicite les aspects de "défonctionnalisation" et de "refonctionnalisation" qui deviennent pour Proust "source de plaisir" esthétique (p. 595 et sq.).
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