c’est la vraie marque d’un philosophe que le sentiment de l’étonnement. La philosophie n’a pas d’autre origine, et celui qui a fait d’Iris la fille de Thaumas n’est pas, il me semble, un mauvais généalogiste. (Platon, Théétète, 155 d)
Ici, un texte crucial à aborder sur cette filiation émerveillement/pensée est La pharmacie de Platon de Derrida. Dans la pensée de Platon, lu par Derrida, l'écriture, le pharmakon, l'occulte, la technique. l'hypomnésie, s'associent en bloc pour s'opposer au savoir.
Une seule et même suspicion enveloppe, dans le même geste, le livre et la drogue, l'écriture et l'efficace occulte, ambiguë, livrée à l'empirisme et au hasard, opérant selon les voies du magique et non selon les lois de la nécessité. Le livre, le savoir mort et rigideenfermé dans les biblia, les histoires accumulées, les nomenclatures, les recettes et les formules apprises par coeur, tout cela est aussi étranger au savoir vivant et à la dialectique que le pharmakon est étranger à la science médicale. Et que le mythe au savoir. (p. 90)
Platon tient à présenter l'écriture comme une puissance occulte et par conséquent suspecte. Comme la peinture, à laquelle il la comparera plus loins, et comme le trompe-l'oeil, et comme les tecniques de la mimesis en général. On sait aussi sa méfiance à l'égard de la mantique, des magiciens, des ensorceleurs, des maîtres d'envoûtement. (p. 120)
Contraire à la vie, l'écriture – ou, si l'on veut, le pharmakon – ne fait que déplacer voire irriter le mal. Telle sera, en son schéma logique, l'objection du roi à l'écriture : sous prétexte de suppléer la mémoire, l'écriture rend encore plus oublieux; loin d'accroître le savoir, elle le réduit. (p. 124)
On sait bien aussi (passages qui m'échappent, mais je crois que c'est dans la République également) que Platon se représentait les sophistes comme des sortes de magiciens (thaumaturges) du savoir, manipulant la pensée pour tromper et dissimuler (d'où le terme d'occulte) la logique.
La pharmacie de Platon s'ouvre d'ailleurs sur cette phrase déterminante pour penser la relation entre l'occulte et l'écriture :
Un texte n'est qu'un texte que s'il cache au premier regard, au premier venu, la loi de sa composition et la règle de son jeu. (p. 79)