- Jul 2020
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On voit d’ailleurs se dessiner quelques nuances dans plusieurs écrits, des façons de reléguer les ciseaux et la colle dans les marges plutôt que de leur donner une place centrale. Pour certains auteurs, ils seraient en fait les outils privilégiés des journalistes débutants et progressivement délaissés au fur et à mesure de l’avancement de leur carrière lorsque ces professionnels de l’information s’attellent à des tâches plus nobles comme l’écriture d’articles originaux. Ils sont également parfois présentés comme des outils particulièrement mobilisés dans les petites rédactions des régions et provinces (par opposition aux grands journaux des capitales), celles qui n’ont pas accès à toute l’information, à tous les fils d’agence, ou n’ont pas le personnel nécessaire pour remplir tout le journal de contenus originaux. D’autres journalistes suggèrent qu’ils pourraient être la chasse gardée d’un métier spécifique : celui de secrétaire de rédaction.
Les différents arguments présentés tentent d'expliquer la pratique du copier-coller de manière plus pragmatique pour permettent de contrebalancer l'image négative du copier-coller. Il est dit qu'il s'agit d'un outil indispensable aux rédactions utilisé dans des situation précises (journalistes débutants, petites rédactions, manquant de personnel, etc.). Ces raisons pragmatiques sont valables de tout temps mais ce qui n'est pas développé et aurait pu l'être c'est de s'interroger sur le caractère systématique de ce type de situation à l'ère du numérique. Le modèle du numérique impose-t-il aux rédactions des contraintes spécifiques qui les poussent à faire du copier-coller plutôt que de la création de contenu ? L'autrice nous montre que cette pratique existait déjà avant mais s'est-elle accélérée? Dans quel sens va-t-on ? Des questions simplement évoquées dans la vidéo associée et non traitées dans l'article qui élargiraient le débat.
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En a-t-il toujours été ainsi ? Ciseaux et colle étaient-ils des outils du journaliste avant l’informatique ? Dans l’affirmative, comment le copier-coller était-il considéré ? Telles sont les questions qui me préoccupent, dans le souci de jauger le changement et la permanence avec recul, ce que l’ébahissement technologique ne permet pas toujours.
Question argumentative : Le copier-coller de contenu utilisé par les journalistes aujourd'hui et largement décrié est-il réellement un phénomène nouveau ? La question argumentative arrive tardivement. Juliette De Maeyer s'intéresse moins à l'évaluation de la pratique du copier coller aujourd'hui, qu'elle n'en pose le constat et s'interroge si il s'agit d'un phénomène nouveau. Son argumentaire porte donc sur la comparaison historique entre la pratique journalistique auparavant et à présent, à l'ère du numérique.
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Quels sont les outils des journalistes ? Que votre imagination soit plutôt marquée par Tintin ou House of Cards, par Albert Londres ou les comparses d’Edward Snowden, vous vous figurez sans peine le reporter muni de l’inévitable calepin ou du plus moderne smartphone, vous croyez entendre le cliquetis du télégraphe ou le ronronnement du télex, vous voyez une cabine téléphonique comme dans un film noir, un téléobjectif en train de capter une scène compromettante, voire un disque dur encrypté ou une des données perdues dans les nuages… Parmi ces outils, les ciseaux et la colle ne s’imposent pas comme les accessoires indispensables des journalistes. Ils seraient même plutôt décriés. Des journalistes en train de jouer des ciseaux et de la colle ? Voilà qui flirte dangereusement avec le plagiat ! Des journaux composés d’emprunts, de répliques, de copies ? Voilà qui ruine l’idéal démocratique du pluralisme de l’information ! Quand on sait que parmi les figures les plus valorisées au sein des identités journalistiques, on trouve d’une part, le journaliste-reporter – toujours sur le terrain, en train de traquer l’événement là où il se passe – d’autre part, le journaliste-auteur, toujours en train d’écrire, on perçoit bien que le travail qui coince derrière un bureau un journaliste découpant et collant des morceaux de textes produits ailleurs, n’est pas exactement celui qui fait rêver. Et pourtant, les ciseaux et la colle jouent un rôle non négligeable dans les processus de production de l’information journalistique. Ou en tout cas, leurs jumeaux métaphoriques qui peuplent toutes nos interfaces informatiques : le copier/coller, CTRL-C/CTRL-V.
Question rhétorique (quels sont les outils des journalistes?) pour introduire le sujet qui fait débat : parmi les outils des journalistes le copier-coller est perçu de manière négative par la société pourtant il est largement utilisé.
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Pour y répondre, un plongeon dans le journalisme de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle offre la possibilité d’élargir nos horizons. Ce plongeon s’effectue par une pirouette méthodologique qui m’a poussée à m’intéresser aux discours que les journalistes tiennent à propos de leurs propres pratiques, à partir d’un corpus constitué par des manuels de journalisme et des mémoires publiés par des journalistes. Les résultats semblent sans ambiguïté : ciseaux et colle paraissent occuper une place non négligeable dans ces manuels et mémoires. Dans un ouvrage intitulé Le journalisme, paru en 1892, Eugène Dubief décrit la journée type d’une rédaction parisienne. La description commence ainsi : « Neuf heure du matin ; intérieur d’un journal du soir. Les garçons viennent de faire les bureaux. La grande table de la salle commune de rédaction s’allonge devant nous avec son inévitable tapis vert et ses tas de journaux de Paris, de province, d’Europe, d’Amérique, des colonies, des journaux venus par le dernier courrier ou remis dans la boîte par les porteurs, tous bien rangés, soigneusement pliés en double exemplaire. Quelques rédacteurs sont déjà à leur poste. Ils ont pris les journaux, ils les parcourent d’un œil expert, un coup d’œil qui ne lit rien et qui voit tout; çà et là, ils y promènent des ciseaux, y font d’atroces enfilades, ils y taillent des jours, des fenêtres, des coupures ; ces coupures ils les reportent sur des carrés plus ou moins longs de papier écolier et les y collent, ou avec des pains à cacheter, ou avec de la gomme liquide ». C’est une situation très semblable qui se donne à lire dans l’ouvrage de Auguste de Chambure À travers la presse, paru deux décennies plus tard. Consacré à la construction du journal, un chapitre précise dans ses premières pages : « Dès l’arrivée des rédacteurs, la salle de rédaction s’anime ; les paquets de journaux posés sur la table sont dépliés, puis lacérés à coup de ciseaux et jetés au hasard ; des papiers se froissent, des découpures jonchent le sol. Des volumes sortis des bibliothèques traînent maintenant un peu partout. Chacun s’agite, court à la recherche d’un document, taille, griffonne, colle, expédie sa ‘copie’ par le monte-charge ». CC Pixabay Pstiegele Les Rédacteurs en chef sont dépeints avec « une grande paire de ciseaux à la main », comme dans l’ouvrage de J.M.A. Mousseau, L’envers du journalisme, paru à Montréal en 1912. Parfois, ciseaux et pot de colle trônent à côté d’autres « armes du métier » : la ficelle pour mesurer la longueur des articles, le Grand Larousse et l’indispensable téléphone (cf. Simon Arbelot, Journaliste !, paru en 1954 à Paris). Et les exemples s’accumulent, jusqu’aux années 1950, en France comme au Québec…Les ciseaux et la colle s’y dessinent comme des outils résolument assumés.
Argument épistémique inductif: Juliette Maeyer part de la description de manuels différents qui attestent de l'utilisation du copier-coller par les journalistes dans les rédactions avant le numérique pour généraliser cette pratique à l'ensemble des rédactions sur la période étudiée. Cette recherche détaillée est convaincante.
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Il faut évidemment prendre quelques précautions. Ainsi, en l’état actuel des recherches, il est impossible d’affirmer que ces manuels et mémoires sont représentatifs du journalisme francophone dans son ensemble, ni même qu’ils reflètent une pratique réellement intense ou au contraire plus marginale.
L'autrice tempère la véracité de son argumentation précédent en insistant sur le caractère limité de sa recherche.
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Mais une conclusion s’impose, notamment quand on juxtapose l’exploration des manuels et mémoires brièvement relatée ici avec, par exemple, cette étude passionnante de la « viralité » des textes des les journaux américains du XIXe siècle. Le copier-coller n’a pas attendu l’invention du CTRL-C/CTRL-V, ni l’irruption du journalisme web et des agrégateurs pour faire partie intégrante du journalisme et des journaux.
Argument épistémique comparatif entre les situations autrefois et la situation actuelle qui fait office de synthèse et conclut la question argumentative : le copier-coller n'est pas nouveau. Certes mais est-ce un phénomène qui s'intensifie avec le numérique ?
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Bref, certains journalistes pratiquent à une large échelle le « bâtonnage de dépêche » , de sorte que celui-ci occupe une part importante de leur temps : ils sélectionnent, éditent et publient des dépêches d’agence de presse, à un rythme soutenu ; ils publient sur le site web des articles écrits pour le journal papier. Dans tous les cas, ils ne vont pas (ou très peu) sur le terrain, et ils ne produisent des textes originaux qu’à la marge, quand ils ont le temps. Crédits Patrick Mignard pour Mondes Sociaux La prééminence des ciseaux et de la colle dans la fabrique de l’information en ligne n’est peut-être que provisoire car ces modes de production sont peut-être en train de changer. Certains sites d’information créés par des médias traditionnels s’imposent parfois comme des médias à part entière, avec leur ligne éditoriale et leurs contenus originaux : reportages au long cours, expériences interactives, etc.). Mais en attendant, le copier-coller conserve ce statut étrange : décrié par les professionnels de l’information (et par le public), il est pourtant largement utilisé.
Thèse de l'autrice : les journalistes actuels utilisent beaucoup le copier-coller et vont peu sur le terrain bien que cette pratique soit décriée.
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des enquêtes ethnographiques ont montré que les journalistes qui œuvrent pour les sites web des médias traditionnels coupent et collent beaucoup.
Déduction d'une vérité générale à partir d'études ethnographiques particulières.
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Des journalistes en train de jouer des ciseaux et de la colle ? Voilà qui flirte dangereusement avec le plagiat ! Des journaux composés d’emprunts, de répliques, de copies ? Voilà qui ruine l’idéal démocratique du pluralisme de l’information ! Quand on sait que parmi les figures les plus valorisées au sein des identités journalistiques, on trouve d’une part, le journaliste-reporter – toujours sur le terrain, en train de traquer l’événement là où il se passe – d’autre part, le journaliste-auteur, toujours en train d’écrire, on perçoit bien que le travail qui coince derrière un bureau un journaliste découpant et collant des morceaux de textes produits ailleurs, n’est pas exactement celui qui fait rêver.
Argument rhétorique sur le registre de l'ethos : appel à la morale pour mettre en évidence le discrédit du journaliste qui fait du plagiat (qui copie) et registre du pathos : il ne fait pas rêver.
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Le journalisme numérique à l’heure du copier/coller
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