- Jun 2025
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Compte rendu détaillé : La justice face aux violences sexuelles, entre tradition punitive et voie restaurative
- Ce compte rendu explore les principaux thèmes et idées abordés lors de l'émission "Les matins de France Culture" avec Antoine Garapon, magistrat honoraire et président de la commission reconnaissance et réparation, et Aude Douinge, chargée de plaidoyer et de communication de l'association "Face à l'Inceste".
La discussion se focalise sur les limites de la justice punitive traditionnelle face aux crimes de violences sexuelles, en particulier l'inceste, et propose des alternatives telles que la justice restaurative et des évolutions législatives.
1. La nature et l'ampleur des crimes sexuels, en particulier l'inceste
- Les intervenants soulignent l'ampleur effrayante des violences sexuelles, notamment sur les enfants.
Antoine Garapon mentionne le chiffre de "160 000 enfants subissent des violences sexuelles chaque année" en France, une statistique qu'il met en perspective avec les 1600 homicides annuels, soulignant que les violences sexuelles sont "10 000 fois plus" fréquentes.
Ces crimes sont caractérisés par :
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L'identité de l'agresseur : Majoritairement des hommes, souvent majeurs. Les pères (27%), les frères (19%) et les oncles (13%) sont fréquemment cités comme agresseurs.
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Leur nature "fondatrice" et paradoxale : Antoine Garapon les décrit comme des crimes "réputés les plus graves, les plus fondateurs", mais paradoxalement "les moins condamnés, étaient même les moins dénoncés".
L'exemple des crimes sexuels commis par des prêtres est particulièrement mis en avant, car une institution qui doit annoncer le salut "sème la mort", ce qui est une contradiction totale.
- L'inimaginable et le "système du silence" : Pendant longtemps, ces crimes étaient considérés comme "au-delà du périmètre de ce qu'on était prêt à croire".
Un "système du silence" prévalait, souvent lié à un "conflit de loyauté", où la loyauté envers l'institution (comme l'Église) ou la famille était "supérieure à au crédit porté à un enfant".
L'affaire de l'Abbé Pierre est citée comme un exemple criant où "tout le monde savait" mais les autorités n'ont pas agi, abordant le crime uniquement par rapport à la loi morale, "pas un mot pour les victimes".
- La notion de "pharmakos" : La victime, appartenant au vocabulaire sacrificiel, était perçue comme "l'objet du sacrifice".
La thèse audacieuse de Dorothée Dussy, partagée par Garapon, suggère que les enfants victimes étaient en quelque sorte "le prix de l'ordre familial, de l'ordre ecclésial", participant par leur silence à l'ordre social général.
2. L'évolution de la "conscience commune" et le rôle du mouvement #MeToo
La perception de ces crimes a radicalement évolué. Reprenant la définition de Durkheim, qui définit le crime comme "ce qui choque la conscience commune", Antoine Garapon affirme qu'aujourd'hui, "ces crimes sont considérés comme étant les plus choquants dans la conscience générale. Peut-être même plus que les homicides".
- Cette évolution est attribuée à une période de "rêve d'une société postsacrificielle" et, de manière significative, au mouvement " #MeToo" qui a marqué "un grand tournant" en montrant une évolution de la sensibilité.
La société ne supporte plus que des dominés (enfants, femmes) soient l'objet de violences impunies, d'autant plus que le viol est quasi équivalent au crime en termes de répression pénale.
3. Les limites de la justice pénale traditionnelle et les souffrances des victimes
La justice pénale traditionnelle, bien qu'essentielle, montre ses limites :
- Centrée sur le coupable et l'ordre public : Elle est "très centrée sur le coupable, sur l'ordre public", plutôt que sur la victime.
- La "thérapie judiciaire" : L'expression "c'est de la thérapie judiciaire" était utilisée par certains magistrats pour déprécier l'intérêt porté aux victimes, sous-entendant que le rôle du juge n'était pas de s'occuper du rétablissement des personnes.
Cependant, Antoine Garapon soutient que "s'intéresser au rétablissement des personnes à commencer par celui de la victime, c'est de la justice".
- Difficulté d'accès à la plainte et amnésie traumatique : Les victimes souffrent d'un "empêchement d'être" et d'une "impossibilité même d'accéder à la plainte, même d'accéder à son propre souvenir".
L'"amnésie traumatique" peut durer des années, empêchant même la conscience des faits.
- Le fardeau de la preuve : Il est "très difficile de savoir ce qui s'est passé dans un collège, dans un dortoir d'un collège, dans un confessionnal, dans une famille il y a 30 ou 40 ans".
Les aveux de l'auteur restent souvent la preuve maîtresse.
- Impact dévastateur sur les victimes : Une agression sexuelle peut "détruire" une victime, et savoir que son agresseur est "couvert de gloire", "un saint homme", révolte encore plus.
- La reproduction des violences : Les auteurs de violences incestueuses ou sexuelles ont souvent eux-mêmes été abusés (au minimum la moitié des cas), créant un "engrenage" et un "climat incestuel" dans certaines familles.
- Santé mentale et espérance de vie : Aude Douinge souligne que l'inceste est "profondément traumatisant" et se cumule en moyenne avec "trois ou quatre autres traumatismes dans l'enfance".
Plus le nombre de traumatismes est élevé, plus les conséquences à l'âge adulte sont graves.
Une personne ayant subi deux traumatismes majeurs dans l'enfance a "20 ans d'espérance de vie de moins que la population générale".
Plus de la moitié des victimes d'inceste font ou ont fait une tentative de suicide.
4. La justice restaurative : une alternative centrée sur la victime
Antoine Garapon promeut la justice restaurative comme une "alternative" ou un complément à la justice pénale :
- Centrée sur la victime : Son but est de "rétablir, de réhabiliter la victime" et de lui "restituer sa parole, lui restituer une parole propre et pas une parole toujours déléguée ou substituée comme dans le procès ordinaire".
- Nomination et reconnaissance : Elle vise à ce qu'il y ait une "nomination, c'est-à-dire qu'on nomme les choses. Oui, c'était une reconnaissance. Oui, c'est bien. Le premier des besoins des victimes, c'est que la société reconnaisse". Il s'agit d'une "validation sociale de ce qui s'est passé".
- Objectif de "restituer à une victime l'énergie de vivre" : La justice restaurative est "beaucoup plus dynamique" et vise à libérer la victime de la solitude paralysante.
- Importance de la parole : Elle ne se caractérise pas par la "mise en suspicion systématique de la parole" de la victime, contrairement au processus pénal.
- Non-obligatoire : Aude Douinge insiste sur le fait que la justice restaurative "ne peut être obligatoire", car "on ne peut obliger les victimes au pardon".
5. Les évolutions législatives et les défis de la prescription
Les intervenants abordent les débats actuels autour de la prescription des crimes sexuels :
- L'imprescriptibilité : L'association "Face à l'Inceste" milite pour l'"imprescriptibilité pour les crimes d'inceste et la protection immédiate des enfants". Actuellement, le délai de prescription est de 30 ans après les 18 ans de la victime, soit jusqu'à 48 ans.
- Distinction pénal/civil : Le gouvernement réfléchit à une imprescriptibilité pour la justice civile, permettant des réparations financières, mais à charge pour la victime d'apporter des preuves. Les intervenants estiment que cela ne "prend pas le problème de face" en raison des difficultés de preuve et du risque d'aggraver la souffrance de la victime par un non-lieu.
- La procédure pénale est fondamentale : Aude Douinge souligne que la "réponse pénale reste extrêmement importante et elle doit pouvoir être offerte aux victimes puisqu'il faut rappeler que la prescription, c'est aussi le droit à l'oubli pour l'agresseur".
Elle ajoute que "le sentiment d'intranquillité qui habite la victime lui est à vie" et qu'il devrait "venir hanter l'agresseur".
- Départ de la prescription à la "consolidation" : Une solution juridique proposée serait de faire partir le délai de prescription de la date de "consolidation", c'est-à-dire le moment où le traumatisme est estimé ne plus évoluer, plutôt que de la date des faits. Cependant, la blessure psychique est fluctuante.
- L'abus de bien social comme exemple : L'exemple de l'abus de bien social, imprescriptible à partir de la découverte du délit, est donné comme modèle pour les crimes sexuels.
6. Le rôle des associations et les besoins des victimes
L'association "Face à l'Inceste", créée il y a 25 ans par une victime, Isabelle Aubry, joue un rôle crucial :
- Visibilisation de l'inceste : Leurs sondages ont révélé que "trois enfants par classe ont subi l'inceste" et que cela touche "un Français sur 10, 7,4 millions de Français".
- Combats législatifs : Ils ont milité pour la réintégration du crime d'inceste au code pénal en 2016 et la notion de "solidarité".
- Besoins des victimes : Au-delà de la réponse pénale, les victimes réclament "un soutien psychologique et un soutien indéniablement financier". La prise en charge psychologique est souvent peu soutenue et l'arrêt des thérapies est souvent dû à des raisons financières. Un formulaire pour le remboursement à 100% des soins pour les victimes d'inceste par la sécurité sociale existe mais est "trop peu connu".
- Reconnaissance et réparation : Les victimes ont besoin d'abord et avant tout de "cette reconnaissance et que la société légitime ce qu'elles ont vécu et viennent leur dire oui, ce qui vous est arrivé et a existé et on va le reconnaître".
7. Vers une "autre justice" et la "politisation de l'intime"
Antoine Garapon plaide pour une "autre justice", plus "accomplie", qui intègre différentes facettes :
- Réarticulation des justices : Il appelle à une "réarticulation entre la justice civile, la justice restaurative et la justice pénale".
- "Politisation de l'intime" : Le défi est de savoir "comment les pouvoirs publics vont pouvoir s'emparer de relations intimes intelligemment pour mettre fin à cette ce très très grand nombre, ce trop grand nombre de violences sexuelles".
- Respect des désirs de la victime : Il est crucial de "respecter les désirs de la victime", qu'il s'agisse d'une demande de punition, d'une demande protectrice pour se dégager et vivre dans l'anonymat.
- Les droits de l'auteur : Tout en se concentrant sur la victime, il est rappelé que "l'auteur aussi a des droits" et bénéficie de la présomption d'innocence.
En conclusion, la discussion met en lumière la nécessité d'une approche plus globale et empathique face aux violences sexuelles, qui ne se limite pas à la seule punition de l'agresseur mais qui inclut une reconnaissance profonde de la souffrance des victimes, un soutien adapté, et des mécanismes de réparation qui favorisent leur reconstruction et leur capacité à vivre.
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par exemple dans ma dernière enquête d'élèves qui pensent que les punitions sont plutôt injuste ou très injuste vous savez les gars sont quelquefois c'est un peu bête plus je 00:47:03 suis puni plus je suis un mec est là on va voir des choses extraordinaires des garçons qui vont dire dont on va dire oui a reçu la gelée coluche décoller une fois ça a servi à rien deux fois ça a servi à rien trois fois 00:47:16 c'est pire quatre fois c'est encore pire qu est ce qu on fait d'abord le col bah oui mais qu'est ce que vous voulez sur n'a pas eu de réflexion elle sur la justice restaurative si on 00:47:28 n'a pas eu de réflexion réelle sur la manière depuis hier mais aussi peut-être je la mer donc avec une discipline positive en prévention on peut éviter ce genre de genre de choses ça va être difficile j
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