Compte rendu : Le Recueil de la Parole des Enfants Victimes et le Défi des Enquêtes sur les Agressions Sexuelles
Ce document examine les méthodes et les défis rencontrés par la police, en particulier la brigade des mineurs, lors du recueil de la parole des enfants victimes de violences, notamment sexuelles.
Il met en lumière l'évolution des pratiques d'audition, l'importance des environnements adaptés et la complexité de l'enquête judiciaire face à des témoignages d'enfants.
1. L'Évolution du Recueil de la Parole des Enfants : Les "Salles Mélanie"
Historiquement, l'audition des enfants victimes se faisait dans des "bureaux ordinaires, des endroits où les conditions de confort et d'écoute n'étaient pas réunies pour avoir leur témoignage souvent si douloureux."
Conscients de cette lacune, de nouvelles approches ont été mises en place, notamment la création de "salles Mélanie".
- Concept et Aménagement : Les salles Mélanie, nommées d'après la première enfant auditionnée dans ces conditions, sont des "pièces spécialement aménagées avec du mobilier, des jeux pour enfants, des couleurs chaudes et qui permettent un petit peu comme un petit cocon de recueillir la parole de ces enfants de manière plus efficace et plus délicate."
L'objectif est de créer un environnement qui "ressemble à une école, ça ressemble à ce qu'ils ont d'habitude, ça ressemble à une chambre d'enfance, ça ressemble pas à un bureau", afin de les "sécuriser" et qu'ils se "sentent en sécurité ici."
- Outils Pédagogiques : Ces salles sont équipées de divers outils pour faciliter l'expression des enfants.
Les poupées anatomiques, par exemple, sont essentielles : "Il y a un garçon et une fille et on peut complètement les déshabiller de des chaussures jusqu'au vêtements...
Ce qui fait que ça permet à l'enfant de matérialiser s'il souhaite pas parler, ben finalement il peut nous expliquer à travers les les poupons en fait."
Des dessins ou l'utilisation d'objets comme des stylos peuvent également aider l'enfant à "montrer ce qu'il a demandé de faire".
- Impact sur le Témoignage : Les enquêteurs estiment que ces environnements permettent une parole plus "précise" et plus libre.
Un policier souligne que l'enfant "va révéler le traumatisme qu'il a pu vivre."
2. La Spécificité de l'Audition des Mineurs
L'audition d'un enfant diffère grandement de celle d'un adulte ou même d'un adolescent, nécessitant des compétences et des approches spécifiques.
- Difficulté d'Expression : Contrairement aux adolescents qui "vont tout nous expliquer", l'enfant "va falloir aller chercher un peu plus les éléments."
Ils peuvent bloquer, avoir peur, ou manquer de vocabulaire pour exprimer ce qu'ils ont vécu.
Certains "font que des signes de la tête qui veulent pas parler mais par contre qui vont nous répondre à travers ce gestuel surtout les petits parce qu'ils ont peut-être moins de vocabulaire moins la facilité de s'exprimer."
- Techniques d'Audition Modernes : L'affaire Outreau a marqué un tournant, amenant de "grands changements par rapport au recueil de la parole de l'enfant."
Auparavant, les questions étaient "dirigées" ("il a mis son zizi dans ton sexe"), ce qui pouvait influencer l'enfant.
Désormais, la technique consiste à aborder le sujet "du général" et d'y aller "petit à petit", pour que l'enfant "puisse dire ce qui s'est passé exactement mais de façon moins brutale et moins l'influencer aussi."
L'enquêteur doit s'adapter au "terme" propre à l'enfant pour désigner les parties intimes ou les actes.
La Vérité et le Mensonge : Une règle fondamentale est de "dire que la vérité et puis jamais de mensonge."
L'enfant est invité à donner un exemple de mensonge, comme "Il m'a rien fait" si un problème est survenu.
Cependant, la déstabilisation de l'enquêteur face à un enfant qui ne parle pas révèle la complexité de cette approche.
3. La Charge Émotionnelle et Psychologique des Enquêteurs
Le travail à la brigade des mineurs est humainement très exigeant et impacte profondément les policiers.
- Sensibilité du Travail : Les enquêteurs sont confrontés à des "affaires de mœurs, de viol" impliquant des enfants, ce qui est "pas forcément évident".
Un enquêteur confie que cela "nous bouleverse", car ils ne sont "pas dénué du tout de sentiments.
Bien au contraire." Ils doivent cependant "essayer de mettre de la distance parce que sinon c'est trop ça serait trop compliqué au quotidien."
- Mécanismes d'Adaptation : Avec le temps, les enquêteurs se "forge une sorte de carapace".
Le fait d'en "parler aussi, c'est aussi une façon de de se libérer quoi, de passer à autre chose, de pas garder tout pour nous."
L'humour peut parfois être utilisé comme "une façon de détourner en fait."
Certains dossiers restent cependant "ancrés dans un coin du cerveau et c'est vrai que parfois c'est difficile de faire le vide en rentrant à la maison."
- Motivation : Malgré la difficulté, les enquêteurs trouvent ce domaine "passionnant, intéressant" car "un enfant, il a pas moyen de défense.
Donc c'est vrai que c'est important de pouvoir l'aider à notre niveau si on si on peut essayer de comprendre et puis de lui trouver une solution."
4. Le Processus Judiciaire et ses Limites
Le recueil de la parole de l'enfant n'est que le début d'un processus judiciaire complexe où la preuve est primordiale.
- Le Doute et la Preuve : La crédibilité de la parole de l'enfant est au centre de l'enquête.
"C'est difficile de dire au départ si la parole de l'enfant est crédible ou pas."
L'enquête vise à "vérifier les paroles que l'enfant a pu dénoncer à travers des auditions de témoin, à travers des examens médicaux, à travers des choses comme ça.
Parce que justement, il faut bah il faut étayer les paroles de l'enfant."
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L'Absence de Preuves Matérielles : L'un des cas présentés illustre la difficulté lorsque le mis en cause "nie la totalité des faits" et qu'il n'y a "aucun autre élément matériel" pour corroborer la version de l'enfant, y compris le certificat médical. Dans ce cas, "c'est une parole, contre une autre" et "on n'a rien de plus."
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Le Classement Sans Suite : Face à l'insuffisance de preuves, le parquet peut décider un "classement 21" (classement sans suite).
Cette décision est une source de "frustration" pour les enquêteurs car, même si cela ne signifie pas que la parole de l'enfant est mise en doute, "on n'a pas assez d'éléments pour vous confronter." C'est une application du principe "le doute profite à l'accusé."
- Conséquences : Malgré la libération de l'accusé, le passage par les services de police et l'inscription dans les fichiers constituent un "précédent" pour le futur.
L'exemple de Zoé, toujours placée en famille d'accueil et ne vivant plus avec son beau-père, montre que des mesures de protection sont prises indépendamment de l'issue judiciaire.
En conclusion, si la création des salles Mélanie et l'évolution des techniques d'audition représentent une avancée majeure pour mieux recueillir la parole des enfants victimes, la phase d'enquête et la confrontation aux limites de la preuve matérielle restent un défi constant pour la justice et un lourd fardeau pour les enquêteurs.