Note de synthèse : Le climat incestuel, grandir sous la menace
Cette note de synthèse explore le concept de "climat incestuel", tel qu'abordé dans le podcast "Un Podcast à soi (61) | ARTE Radio Podcasts".
Elle vise à éclairer les définitions, les manifestations, les impacts et les controverses autour de cette notion, en s'appuyant sur les témoignages et analyses présentés.
1. Définition et reconnaissance du "climat incestuel"
Le "climat incestuel" est une ambiance générale qui s'installe dans une famille, imprégnée de connotations sexuelles et d'une confusion des rôles, sans nécessairement qu'il y ait eu un acte sexuel pénalement répréhensible.
Comme l'explique la narratrice du podcast : "Cette ambiance générale qui a le parfum de l'inceste mais sans viol ou agression sexuelle sans passage à l'acte pénalement répréhensible."
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Reconnaissance institutionnelle et sociale : Le terme est mentionné dans le rapport 2023 de la Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (CIIVISE) et circule également sur les réseaux sociaux, témoignant d'une prise de conscience croissante.
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Difficulté à saisir : Claire Gotha, thérapeute spécialisée, souligne la nature insaisissable de ce climat : "C'est ambiant. Ce n'est pas forcément un fait avéré comme un passage à l'acte incestueux peut l'être...
Là comme c'est dans l'ambiance familiale il y a pas de fait concret." Cette normalisation au sein de la famille rend d'autant plus difficile pour les victimes de le reconnaître et d'en parler.
2. Manifestations du climat incestuel
Les récits de Julie et Nathalie illustrent diverses formes que peut prendre ce climat :
Sexualisation du langage et de l'environnement :
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Blagues et commentaires à caractère sexuel : Le père de Julie faisait "beaucoup de blagues de cul" et utilisait des expressions comme "pute vierge", créant un malaise constant. De même, la mère et le père de Louison faisaient des réflexions sexualisées sur la nourriture ("Ah on dirait que tu suces salope").
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Invasion de l'intimité par la sexualité parentale : Nathalie raconte la présence de cassettes vidéo intimes de ses parents et de revues pornographiques "à hauteur d'enfant".
Son père se dénudait fréquemment à la maison, exposant son corps, y compris des érections matinales, ce qui mettait Nathalie mal à l'aise et lui donnait un sentiment de "sale".
Contrôle et sexualisation du corps de l'enfant :
- Vêtements : Le père de Julie aimait l'habiller, choisissant des tenues moulantes et commentant son corps : "tourne-toi que je vois si ça te fait des belles fesses". Ce contrôle s'étendait à des remarques désobligeantes si les vêtements ne lui plaisaient pas (bruits de vomi).
- Attouchements et regards : Julie décrit des "petites tapes sur les fesses" de son père, vécues comme de l'affection au début, mais qui se sont avérées dérangeantes. Nathalie se souvient de la fascination de son père pour ses boutons d'acné dans le dos et de câlins "très particuliers" avec frottement de barbe et des mots ambigus.
Sorna Fall mentionne des "frôlements, des attouchements qui sont pas nécessairement clairement sexuels" et la "sexualisation par le vocabulaire du corps de l'enfant".
- Regards de concupiscence : Bernard Lampère parle de "regards de concupiscence ou autrement des regards de prédateur" et de "situations ambiguës fabriquées à l'intérieur de la famille."
Nathalie a constaté que le regard de son père sur son corps d'adolescente était "le même que celui des hommes dehors".
Parentification et conjugalisation de la relation enfant-parent :
- L'enfant comme confident ou substitut conjugal : Annie Ferrér, psychologue, explique que la parentification dans un contexte incestuel est "malsaine car érotisée, elle est conjugalisée".
Les pères peuvent "féminiser" leur fille en les traitant comme des "petites femmes" ou des "petites princesses", avec une "jouissance" et une "possessivité" observables.
Le père de Julie la disait "la femme de sa vie", lui chuchotait des choses à l'oreille et vantait leur "complicité intellectuelle folle comme si j'étais son égal".
- Inversion des rôles émotionnels :
Louison raconte comment, dès 2 ans et demi, elle devait s'occuper émotionnellement de sa mère dépressive, la consoler, lui faire des câlins, et que sa mère lui "volait [ses] émotions".
Sa mère ne fait "encore aujourd'hui pas de distinction entre nous deux.
Je suis à la fois sa fille, sa mère, sa sœur, sa psy son amoureuse." * Intrusion et absence de limites :
- Violation de l'intimité physique : Julie se souvient de son père lui demandant de le laver dans son bain alors qu'elle était trop grande, ou de son père qui, en la surprenant en peignoir, lui dit "Oh pardon je t'ai prise pour ta mère. J'étais à deux doigts de t'enculer."
Le père de Louison mettait ses doigts dans sa bouche si elle bâillait ou dans sa braguette ouverte.
- Violation de l'intimité spatiale et psychique : Nathalie décrit l'omniprésence de son père qui "occupait tout l'espace" et entrait chez elle sans s'annoncer.
Elle explique également comment la psyché de l'enfant peut être "envahie d'images sexuelles concernant les parents même si c'est que du discours".
3. Conséquences et impact sur les victimes
Le climat incestuel a des répercussions profondes et durables sur les victimes :
- Malaise et confusion : Les victimes ressentent souvent un malaise sans pouvoir l'identifier clairement.
Julie se souvient de la photo de son père l'habillant : "est-ce que c'est une belle photo ? oui c'est une belle photo mais elle me met mal à l'aise. C'est pas tout à fait une photo d'enfant."
Elle a souvent une "sensation sans mots ou sans émotion vraiment déterminer un truc de quand même c'est bizarre".
- Doute de soi et culpabilité : Les victimes peuvent se sentir "folles" ou "prudes" comme Julie.
Le père de Julie, confronté à son malaise, a répondu "Ma fille est une prude ma fille est frigide.
Vas-y dis-le que je suis un pédophile." Ce qui a créé une "sidération" chez Julie, car "techniquement parlant objectivement parlant il y a rien."
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Problèmes relationnels et psychologiques : Nathalie a eu "trois relations longues avec différents types de violences" et a développé des problèmes de consommation de drogue et des "hallucinations la nuit". Les conséquences sont "très graves".
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Difficulté à rompre le silence : Le silence est omniprésent dans les familles concernées.
La mère de Louison, elle-même victime, lui a dit "Ah non je peux pas te le dire parce que je le pense pas" quand Louison lui a demandé de lui dire que ce qu'elle avait subi n'était pas de sa faute.
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Normalisation de l'anormalité : Les enfants grandissant dans un climat incestuel peuvent normaliser des comportements inappropriés, comme les blagues de cul et les attouchements déplacés lors des repas de famille décrits par Louison : "je me disais pas c'est normal Et je me disais pas c'est pas normal je me disais juste rien."
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Dévoiement de la fonction parentale : Le climat incestuel représente "le dévoiement de la fonction de responsabilité en fonction de pouvoir".
L'enfant est au "service du parent y compris psychiquement", sans "place pour son altérité psychique, physique, émotionnelle, sexuelle". * Détachement émotionnel : Louison exprime ne pas ressentir de colère envers ses parents, ce qu'elle considère comme "pas bon signe", indiquant une incapacité à exprimer cette émotion envers les auteurs de la violence.
4. Controverses et analyses expertes
Le lien entre climat incestuel et inceste avéré :
- Dorothée Dussy, anthropologue, affirme : "S'il existe un climat incestuel il y a toujours un ceste quelque part."
Et "Si tu avais pas peur qu'il te touche c'est que tu as pas été socialisé avec d'autres autour de toi qui étaient violés Si tu as eu cette peur c'est parce que tu as été imprégné de la peur d'autres autour de toi qui eux vivaient de la violence sexuelle."
- Julie a compris "mon père fantasme sur moi. Je savais bien qu'il y avait un truc. C'est pas parce que il y a pas eu viol qu'il y avait rien. Je le sais sans le savoir." La découverte d'une nouvelle érotique écrite par son père la décrivant a été une confirmation.
- La découverte de Nathalie que sa cousine avait tenté de parler de ce qui s'était passé avec son père a renforcé sa décision de couper les ponts, malgré l'absence d'actes avérés sur elle.
- Critique de l'origine du concept de "climat incestuel" :
- La psychologue féministe Annie Ferrand préfère les termes de "harcèlement sexuel environnemental" ou "harcèlement sexuel par inceste". Elle critique l'utilisation du terme "climat incestuel" mis en lumière par le psychanalyste Paul Claudra Camier dans les années 80, qui "pointe du doigt quasi exclusivement les mères".
- Cette théorie s'inscrit dans le prolongement de Freud et Lacan, décrivant la relation mère-enfant comme "naturellement narcissique et trop fusionnelle nécessitant l'intervention du père protecteur et opérateur de diffusion".
- Ferrand dénonce la projection sur l'enfant d'allégations fausses (complexe d'Œdipe, "petit pervers polymorphe") par Freud pour "effacer la responsabilité des pères".
- Bien que les mères puissent participer à un climat incestuel (environ 4% des violences sexuelles), Annie Ferrand souligne que leur intention est souvent "post-traumatique" et non "premièrement sexuelle", les mères étant envahies par "la colonisation par l'agresseur".
La complaisance sociale et l'impunité :
- Le fait de commettre des actes incestuels "en public" est une stratégie de l'agresseur pour "neutraliser les témoins" et établir une "emprise totale sur les victimes".
Les témoins silencieux envoient le message que "jamais personne n'interviendra".
- L'impunité est un "facteur de reproduction à l'infini des violences". Le climat incestuel se caractérise par des comportements qui ne rencontrent même pas le "reproche social".
5. Chemins de résilience et de prévention
- Briser le silence : Julie a changé son nom et utilise désormais le mot "inceste" pour parler de son expérience, car elle veut que ce soit "pris au sérieux" et "symboliquement correspond à ce que j'ai vécu".
- Poser des limites : Louison, bien qu'incapable de couper les ponts, essaie de poser des limites claires et en parle à des amis pour "maintenir un lien avec le monde extérieur" et éviter de "retomber dans ce magma".
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Reconnaître le malaise : Le podcast insiste sur l'importance de "s'autoriser à dire ce qu'on trouve gênant ce qu'on trouve étrange s'autoriser à le penser aussi".
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Écouter les enfants et valider leurs perceptions :
Il est crucial de renvoyer aux enfants qu'ils ont "le droit sur leur propre corps" et de "soutenir les enfants par un commentaire sur le fait 'Oh tu as pas l'air de trouver ça tellement drôle ou tu as pas l'air d'aimer tellement quand tonon fait ça et cetera.'".
Les victimes ont des "antennes hyper affutées" et leurs perceptions sont souvent justes. * Ne pas confondre égalité et absence de responsabilité : Sorna Fall met en garde contre l'idée que "si adulte et enfant pouvait se parler d'ego à ego tout irait mieux", car cela néglige les "spécificités de l'enfant, des vulnérabilités d'enfant, des sensibilités de l'enfant". L'adulte a une "responsabilité supérieure".
En conclusion, le "climat incestuel" est une réalité complexe et souvent insidieuse qui marque durablement les victimes.
Sa reconnaissance et sa compréhension sont essentielles pour briser le silence, permettre aux victimes de se reconstruire et prévenir ces violences.