Note de synthèse : L'emprise sectaire - Conférence CRIAVS (Jean-Baptiste Bron)
Cette synthèse est basée sur l'intervention de Jean-Baptiste Bron, avocat spécialisé en emprise sectaire, lors de la conférence CRIAVS.
Son propos, bien que contraint par un temps limité, offre une analyse pertinente de la nature de l'emprise sectaire, la comparant à un État totalitaire et détaillant les mécanismes de manipulation employés.
I. Définition et nature de l'emprise sectaire : Un État totalitaire
Jean-Baptiste Bron introduit la notion d'emprise sectaire en la comparant directement au concept orwellien de la "redéfinition de la réalité" à l'image du célèbre "2 + 2 = 5" tiré de George Orwell.
Pour lui, "la trahison quelque part de la réalité, la redéfinition de la réalité est l'élément le plus grave et le plus difficile pour s'en extraire que l'on impose aux adeptes de communauté sectaires."
Il précise que l'emprise sectaire, au-delà de la "neutralisation du désir d'autrui, l'abolition de toute altérité, de toute différence, de toute singularité pour ramener l'autre à la fonction et au statut d'objet entièrement assimilable", se distingue par son exercice sur les plans social et politique.
Chaque communauté sectaire est perçue comme un "état totalitaire" où l'emprise vise à "supprimer l'individu mais également de remplacer la société".
Le gourou, figure centrale, incarne à lui seul les trois pouvoirs d'un État totalitaire : législatif, exécutif et judiciaire.
A. Le pouvoir législatif du gourou
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Création et enrichissement permanent de la doctrine/du dogme : Seul le gourou est habilité à créer les règles et prescriptions du groupe. Il est le "maître de la loi" dont la parole est incontestable.
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Discours globalisants et mouvants : L'enseignement du gourou est souvent totalisant, redéfinissant par exemple la santé (ex: Thierry Casasnovas) ou la réalité de la maladie.
Cette doctrine est également dynamique, s'enrichissant des désirs des adeptes pour les réimposer à toute la communauté.
B. Le pouvoir exécutif du gourou
- Redéfinition du réel et du langage : Le gourou modifie la signification des termes pour créer la confusion.
Des concepts comme la maladie, l'agression sexuelle ou la relation sexuelle sont réinterprétés ("travail tantrique", "voyage cosmique", "échange d'énergie").
- Effacement de l'identité et induction de faux souvenirs : Une nouvelle identité est imposée aux adeptes, effaçant la leur.
Des techniques comme les faux souvenirs induits ou la redéfinition des liens de parentalité (le gourou comme père/mère de tous les enfants) sont utilisées pour déstructurer l'individu.
C. Le pouvoir judiciaire du gourou
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Monopole de la sanction : Le gourou détient le droit exclusif de sanctionner, même en déléguant ce pouvoir à des membres du groupe dans un but précis (ex: imposition de relations aberrantes).
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Déstabilisation permanente et menaces immatérielles : Le gourou "souffle le chaud et le froid" sur les adeptes, les jugeant, les punissant et organisant une surveillance constante.
Des "châtiments physiques ou immatériels" (menaces de maladie, de mort, de sanctions sur la famille) planent constamment, agissant comme "une épée de Damoclès".
II. Le rôle du groupe sectaire
La communauté elle-même joue un rôle crucial dans l'emprise :
Accueil et insertion : Le groupe facilite l'intégration des nouveaux membres. Renforcement de l'autorité : Il consolide le pouvoir du gourou.
Désubjectivisation et indistinction : Le groupe participe à la "disparition de l'individu" par l'indifférenciation et l'identification fusionnelle, conduisant à une "indistinction entre soi et l'autre".
III. Techniques de manipulation et stratégies d'altération du jugement
Jean-Baptiste Bron décrit une séquence récurrente de techniques utilisées pour abolir le jugement et l'individualité des adeptes :
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Love Bombing (Bombardement d'amour) : L'objectif est d'"apater le futur adepte", de l'entourer de flatteries et de lui faire miroiter une "réalité beaucoup plus attrayante, une utopie idyllique" pour le détourner de sa réalité souffrante.
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Isolement progressif : Sous prétexte de "purification et d'évolution spirituelle", l'adepte est coupé de son "environnement habituel (familial, social, professionnel) et avec la société", et finalement, de "sa propre moralité, ses propres convictions".
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Affaiblissement systématique : Pour empêcher toute révolte ou rétractation, l'adepte est affaibli physiquement et mentalement, soit par insuffisance (régimes alimentaires stricts, privation de sommeil, postures prolongées), soit par excès (travail excessif, logorrhée du gourou).
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La doctrine/L'enseignement : Le dogme du gourou devient le "ciment de l'emprise", construisant son mythe et devenant un "prête à croire ou un prête à penser".
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Déstructuration du réel : Des outils sont utilisés pour "couper l'adepte de ses anciens repères et de ses anciennes valeurs", en imposant la "grille interprétative de lecture" du gourou et en "altérant la perception du monde de l'adepte".
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Culpabilisation du doute : Toute remise en question de la parole du gourou est interdite et perçue comme un "signe de faiblesse", visant à "annihiler le libre arbitre de l'adepte".
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Mise en place de rappels : Des "rituels, bilans journaliers, annonces de dangers imminents, menaces de châtiment ou de damnation" sont constamment utilisés pour maintenir l'emprise et la peur.
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En conclusion, l'intervention de Jean-Baptiste Bron met en lumière la complexité de l'emprise sectaire, qu'il analyse comme une forme de totalitarisme miniature, où la déconstruction de la réalité individuelle et collective est la pierre angulaire du contrôle exercé par le gourou.