ote de synthèse : L'affectivité, les émotions et les relations à l'école selon Gaëlle Espinosa
Cette présentation de Gaëlle Espinosa, professeure en sciences de l'éducation à l'Université de Lorraine, s'inscrit dans le cycle de conférences Filgout.
Elle explore l'importance de l'affectivité, des émotions et des relations à l'école, tant entre enseignants et élèves qu'entre pairs.
S'appuyant sur 25 ans de recherche, elle met en lumière les enjeux et les liens entre ces concepts et le bien-être et la réussite des élèves.
I. Parcours et objets de recherche de Gaëlle Espinosa
Gaëlle Espinosa est chercheuse au Lisec (Laboratoire Interuniversitaire des Sciences de l'Éducation et de la Communication) depuis 2005 et collaboratrice internationale du réseau québécois Réverbire (réseau de recherche et de valorisation de la recherche sur le bien-être et la réussite).
Elle participe également à l'Observatoire du Bien-être à l'École.
Ses travaux, menés depuis 25 ans, se concentrent sur l'expérience scolaire de l'élève, son rapport à l'école, au savoir et à l'enseignant, en interrogeant ce qu'il ressent et les émotions vécues.
Elle ne s'intéresse pas prioritairement aux notes et au cognitif, mais plutôt à "ce que l'expérience scolaire fait émotionnellement affectivement à l'enfant".
Progressivement, elle a intégré les concepts de bien-être et de réussite dans ses recherches, ainsi que les compétences psychosociales (CPS), choix de l'Éducation nationale pour aborder l'affectivité et les émotions.
II. Premiers travaux et constatations (Ouvrage de 2003)
Son premier ouvrage, issu de son doctorat (2001), s'intitule "Rapport au savoir, rapport au maître et affectivité : contribution à une analyse du chemin scolaire de l'élève".
Il a été particulièrement bien accueilli au Québec, influençant le ministère de l'Éducation québécois.
L'étude, menée auprès de 32 élèves de CE2 et de Seconde, en difficulté ou en réussite scolaire, a mis en évidence des résultats importants concernant la relation enseignant-élève :
- L'enseignant, figure clé : Tous les élèves interrogés accordent une place importante à l'enseignant dans leurs apprentissages, le considérant comme un "personnage clé de leur expérience scolaire".
Différences entre élèves en réussite et en difficulté :
-
Élèves en réussite : Attendent un "échange professionnel", c'est-à-dire un apport de contenu pour l'obtention du baccalauréat ou l'orientation.
-
Élèves en difficulté : Outre l'exigence professionnelle, ils ont une "exigence plus humaine" dans la relation. Ils souhaitent que l'enseignant les reconnaisse en tant qu'individus et se préoccupe d'eux au-delà de leurs difficultés scolaires.
-
Centralité de l'enseignant pour les élèves en difficulté : Ce sont "plutôt les élèves en difficulté scolaire, tout compte fait, qui avaient accordé une place centrale à l'enseignant dans leur expérience scolaire et dans leur scolarité".
-
Les plus jeunes (CE2) ont tendance à "confondre leur année (...) avec l'enseignant".
-
Les plus âgés (Seconde) pensent que "carrément sans tel ou tel enseignant, on ne pouvait pas réussir".
-
L'affectivité, pas seulement pour les plus petits : Les élèves en difficulté, notamment les plus âgés, sont "en forte demande affective humaine à l'égard des enseignants".
Les recherches futures, notamment au Québec, ont confirmé que même les adultes en formation sont "en demande affective, en demande de relation humaine avec les enseignants pour réussir par exemple ou pour persévérer".
III. Évolution des recherches et ouvrage à paraître (2025)
Après avoir exploré d'autres objets de recherche (liaison CM2-6ème, activités périscolaires), Gaëlle Espinosa est revenue à ses "premiers amours de recherche", constatant que l'affectivité et les émotions étaient toujours au cœur de l'expérience scolaire.
Son prochain ouvrage, issu de son Habilitation à Diriger des Recherches (2021), s'intitule "De l'affectivité et des émotions de l'élève dans son expérience scolaire : perspective de développement global de l'enfant pour son bien-être et sa réussite".
L'objectif est de "rendre explicite des liens implicites qui existent" entre les différents concepts et de montrer qu'à l'international, la littérature existe sur l'intérêt de combiner les aspects affectifs et cognitifs pour le développement global de l'enfant.
Le livre, structuré en quatre chapitres, définit les notions de bien-être, d'affectivité, d'émotions, de satisfaction et leurs liens. Il aborde plus particulièrement les émotions, l'affectivité, et les relations de l'élève à l'école.
IV. Idées fondamentales du nouvel ouvrage
Gaëlle Espinosa propose de "considérer que l'affectivité, les émotions sont des éléments d'importance équivalente à la cognition dans l'école".
Elle estime qu'en France, "on a un petit peu de mal (...) à considérer que les éléments affectifs et émotionnels devraient être pris en compte travailler autant que les aspects cognitifs et intellectuels à l'école." Mettre à égalité ces sphères permettrait d'aller vers le bien-être et la réussite de l'enfant.
Elle explicite plusieurs liens cruciaux :
- Affectivité, émotions et bien-être : Les émotions sont une composante de l'affectivité, et les affects positifs et négatifs sont deux des trois composantes du bien-être subjectif (avec la satisfaction à l'égard de la vie).
Une personne satisfaite de la vie ressentira fréquemment des émotions positives et rarement des émotions négatives.
- Bien-être et relations positives : Le bien-être eudémonique, notamment le bien-être psychologique, comprend des composantes liées aux "relations positives avec les autres". Ces relations de qualité renvoient à l'aspect humain et affectif.
V. Relations de qualité à l'école : enseignants-élèves et entre pairs
La littérature scientifique, depuis la fin des années 90, démontre qu'une "relation enseignant-élève positive ou en tout cas une relation affective" est bénéfique à la fois pour l'individu dans et hors de l'établissement scolaire.
Bénéfices internes : persévérance, réussite, comportements scolaires adaptés. Bénéfices externes : baisse de la dépression, de l'anxiété, de la délinquance.
La dimension affective de la relation enseignant-élève inclut la "confiance, l'intimité, la proximité, la communication, le partage, l'affect positif", le "soutien émotionnel, la chaleur émotionnelle, l'acceptation".
- Les relations entre enfants de qualité ou positives impliquent également la "confiance, l'intimité, se partager des secrets", le "soutien émotionnel", la "chaleur émotionnelle, l'acceptation", ainsi que "l'amitié, les liens électifs".
Ces liens "sont importants à l'école et tout compte fait, je me dis que pour développer des relations de qualité (...) ce qui est aussi intéressant, c'est de développer des relations qui pourraient être qualifiées avec tous ces qualificatifs."
VI. Complémentarité des recherches : psychologie et sociologie
- Gaëlle Espinosa souligne la complémentarité des travaux menés en psychologie (facteurs de risque/protection des relations entre enfants à l'école, psychologie de l'amitié) et en sociologie (climat scolaire, harcèlement, violence).
Ces approches, bien que distinctes, s'enrichissent mutuellement pour comprendre et agir sur le climat scolaire et les relations interindividuelles.
Le climat scolaire, dimension collective, vise la sécurité et la progression des apprentissages.
La "finalité commune" de ces travaux est d'avoir "une connaissance assez fine de l'ensemble des dimensions qui existent et sur lesquelles on peut travailler en établissement scolaire pour permettre tout simplement l'installation de un climat scolaire serein ou de relations apaisées à l'école qui serait au bénéfice à la fois des élèves dans leur expérience scolaire mais aussi des enseignants dans leur pratique professionnelle."
Elle intègre également les notions de bienveillance et d'empathie dans ce cadre.
La bienveillance, souvent mentionnée dans les textes de loi, est une "posture éthique" dans la relation enseignant-élève, tandis que l'empathie est plus pertinente pour les relations entre enfants.
VII. Intérêt de travailler les émotions et les relations à l'école
-
Compréhension de soi et des autres : La capacité d'un élève à comprendre "ce qu'il ressent", ses "affectivités, ses émotions", et celles des autres, est "déterminant de sa réussite scolaire" et a des "conséquences plutôt positives sur la qualité de ses comportements sociaux".
-
Disponibilité pour les apprentissages : Comprendre et réguler ses émotions permet de "se rendre plus disponible pour les apprentissages" et d'être "plus apaisé dans ces relations sociales". Comme le résume une citation,
"Les capacités à exprimer, discriminer, identifier et réguler ses émotions font partie de ce que les chercheurs appellent les compétences émotionnelles. (...)
Le développement de ces compétences chez l'enfant est un aspect important du développement cognitif qui est relié à de nombreux facteurs tels que les comportements sociaux, les performances, la santé.
Le développement de ces compétences est donc d'une importance capitale. Il est possible de les entraîner dès le plus jeune âge et (...) tout au long de la vie."
- Développement socio-émotionnel et bien-être : Apprendre à exprimer ses émotions est un "élément clé de son développement socio-émotionnel pour l'enfant" et de sa santé, favorisant sa réussite et son bien-être scolaire.
VIII. Pistes pour développer des relations de qualité
-
S'en occuper au quotidien : Les émotions et les relations doivent être une préoccupation quotidienne, tant pour les élèves que pour les professionnels, et non seulement en cas de problème. Cela représente également un élément de protection pour soi-même.
-
Formation des enseignants : Il est crucial d'intégrer la formation sur l'affectivité, les émotions et les relations dans la formation initiale et continue des enseignants. Au Québec, ces notions sont déjà plus ancrées.
-
Construction de la posture enseignante : Permettre à l'enseignant de "construire sa posture qui sera aussi évolutive", être indulgent avec soi-même dans cette construction, apprendre par "tâtonnement, les essais et les erreurs".
-
Réflexion sur la relation enseignant-élève : Qu'est-ce qu'une relation de qualité ? Qu'est-ce qu'un élève attend ? Quelles sont les limites à ne pas dépasser ?
-
Questionner son propre rapport aux élèves : Éviter de "ne plus prendre plaisir à être dans une salle de classe" ou de ne pas "tisser des liens présent avec beaucoup d'envie ou à beaucoup de plaisir avec des élèves".
-
Travailler ses propres compétences psychosociales (CPS) : Elles sont essentielles pour la réflexivité, pour soi et pour les autres, et constituent un "élément de protection".
IX. Conclusion : Un projet de société éducatif
Gaëlle Espinosa conclut en proposant un "projet de société éducatif" basé sur trois "clés de voûte" :
La régulation émotionnelle
La maturité relationnelle La disponibilité intellectuelle (qui découlerait des deux premières).
Ces objectifs permettraient à l'élève de devenir autonome et mature relationnellement, de parvenir à son autorégulation émotionnelle, et d'être plus disponible pour les apprentissages, menant ainsi à son bien-être et sa réussite.
Elle insiste sur le fait qu'un tel projet "demande du temps" et une constance politique, sans "changer de cap", pour que l'affectivité et les émotions soient positionnées** "au même niveau que la cognition".
X. Précisions terminologiques
- Affectivité vs Émotions : L'affectivité est un concept plus large, incluant les émotions, les sentiments, les humeurs, la motivation et la confiance en soi.
Les émotions sont une composante plus précise de l'affectivité.
- Confiance en soi : Liée aux pratiques, construite par le tâtonnement, les essais et les erreurs, et par l'expérience de la réussite ou des difficultés.
Elle peut être rapprochée du sentiment d'efficacité personnelle.
-
Justice scolaire : Se réfère à "l'impression de pouvoir être traité comme les autres", à l'équité perçue des sanctions ou des remarques. Une injustice perçue peut générer "de la rancœur, de la colère".
-
Réflexivité : Pas d'échelle connue pour la mesurer, mais elle se construit et évolue, notamment par la formation et l'expérience.
-
La présentation souligne enfin que les études quantitatives tentent d'analyser la contribution de chaque dimension (famille, relation enseignant-élève, etc.) sur le bien-être de l'élève, tout en reconnaissant qu'il n'y a rien d'automatique et que de multiples facteurs interdépendants sont en jeu.