Note de Briefing : Analyse des thèmes et idées clés de "L'école n'est pas faite pour les pauvres"
Ce document de briefing résume les principaux thèmes, idées et faits marquants issus de la transcription de la conférence intitulée "L'école n'est pas faite pour les pauvres", animée par Jean-Paul Delahaye.
La conférence s'inscrit dans le cycle des "Mercredis des savoirs" de la Faculté d'Éducation et vise à interroger les enjeux éducatifs et sociétaux, en s'appuyant sur la recherche et l'engagement des acteurs de l'éducation.
Introduction et Contexte :
La conférence s'ouvre par un rappel du cadre et des objectifs de ces rencontres par Agnès Perin Dousel, soulignant le partenariat entre l'université de Montpellier, la CASDEN, les CMA Occitanie, la MAIF et la MGEN.
L'objectif principal est d'assurer l'ouverture de la science sur la société et de promouvoir les valeurs émancipatrices et citoyennes portées par l'école de la République, l'éducation populaire et l'économie sociale et solidaire.
Elle insiste sur la nécessité de ces rappels dans un contexte actuel "compliqué, un peu anxiogène".
Sylvain Vagnon présente ensuite Jean-Paul Delahaye, en soulignant son parcours de haut fonctionnaire du ministère de l'Éducation nationale, son expertise du système scolaire, son engagement contre l'illettrisme, et son rôle dans l'élaboration du rapport "Grande pauvreté et réussite scolaire".
Il le décrit comme un "homme de conviction" dont l'œuvre vise à "changer l'école finalement pour changer la société".
Son dernier ouvrage, "L'école n'est pas faite pour les pauvres", sous-titré "pour une école républicaine et fraternelle", est présenté comme la poursuite de cette réflexion, particulièrement pertinente dans la période actuelle.
Thème central : L'impact de la pauvreté sur l'école et le rôle de l'école face à la pauvreté.
Jean-Paul Delahaye ouvre son propos en ayant une pensée pour Dominique Bernard, enseignant assassiné. Il introduit ensuite les trois sources principales de sa conférence :
Le rapport "Grande pauvreté et réussite scolaire" (2015) : Décrivant le quotidien des enfants et adolescents issus de familles pauvres dans le système éducatif.
Il y reconnaît son propre vécu d'enfant issu d'un milieu modeste.
"Exception consolante" : Un ouvrage personnel où il relate son parcours et interroge la notion d'"exception consolante" de Ferdinand Buisson, soulignant que la réussite de quelques enfants pauvres ne doit pas masquer les injustices persistantes.
"L'école n'est pas faite pour les pauvres" (2022) : Un essai provocateur visant à alimenter le débat sur la place de l'école dans les élections présidentielles, en mettant en lumière le manque de connaissance des réalités des enfants de milieux populaires.
La Mission de l'École et la Réalité Actuelle :
Delahaye rappelle la mission fondamentale de l'école, telle qu'énoncée par le Conseil National de la Résistance en 1944 :
"la possibilité effective pour tous les enfants français de bénéficier de l'instruction et d'accéder à la culture la plus développée, quelle que soit la situation de fortune de leurs parents, afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable non de naissance mais de mérite et constamment renouvelée par les apports populaires."
Il confronte cette ambition à un graphique éloquent illustrant la "disparition progressive et constante des enfants du peuple au fur et à mesure que l'on s'élève dans la hiérarchie scolaire".
Il souligne que l'élite actuelle n'est pas constamment renouvelée par les apports populaires, évoquant une "héritocratie" plutôt qu'une "méritocratie".
Il cite Condorcet pour alerter sur le risque de formation d'une "aristocratie non de talent et de lumière mais de profession" lorsque l'accès aux fonctions importantes dépend d'études spécifiques.
La Réalité de la Pauvreté pour les Jeunes :
Delahaye présente des chiffres alarmants sur la pauvreté en France : 9 millions de personnes vivent avec moins de 1128 € par mois, dont 3 millions de jeunes (1 sur 5).
Parmi eux, 1,6 million connaissent la grande pauvreté (12% des effectifs scolaires, en augmentation depuis 2015).
Il décrit la pauvreté comme une situation d'"éprouvés" (Guillaume Leblanc), marquée par :
Pauvreté de biens et de conditions de vie : Privations, restrictions, retards de paiement, dépendance aux allocations (il évoque l'attente du facteur pour les allocations familiales dans son enfance).
Pauvreté de lien : Exclusion sociale, sentiment d'inutilité, moins de vacances, moins d'amis.
Difficultés pour se nourrir : Il cite une enquête du Secours Populaire montrant que 11% des Français n'ont pas pu payer la cantine, et évoque des cas de sous-alimentation constatés par les médecins scolaires.
Difficultés pour se loger : Espaces exigus, mal chauffés, surpeuplés, sans espace pour le travail scolaire (citation de Daniel Thin sur l'impossibilité de "faire vivre ce qu'ils apprennent à l'école").
Difficultés pour s'habiller : Il rend hommage au dévouement des personnels de l'éducation nationale et évoque son propre vécu d'enfant pauvre aidé par les instituteurs.
Difficultés pour se soigner : Problèmes d'accès aux soins, exemple des caries dentaires non soignées au Havre.
Difficultés générales : Listes de fournitures onéreuses, incompréhension du caractère non obligatoire de la coopérative scolaire, coût des sorties scolaires (il relate son humiliation de ne pas pouvoir partir en voyage scolaire). Les Leviers Manquants du Système Éducatif :
Delahaye reconnaît que l'école n'est pas responsable de tout, citant un rapport de la Cour des Comptes de 2018 qui souligne les facteurs exogènes (logement, salaires, etc.).
Il reprend la citation de Jean Jaurès sur la nécessité de rattacher le problème scolaire à l'ensemble du problème social.
Néanmoins, il critique le manque d'investissement et les dysfonctionnements du système éducatif :
Manque de personnel : Insuffisance d'assistants sociaux et de médecins scolaires (il cite le rapport de Robin Reda : "8 enfants sur 10 n'ont jamais vu de médecins scolaires").
Bourses insuffisantes et inégalités d'accès : Montant des bourses de collège dérisoire (360 € par an en 2015), complexité des démarches administratives (aggravée par la numérisation).
Fonds sociaux : Variable d'ajustement budgétaire, avec des périodes de forte baisse.
Difficultés dans le travail après la classe : 58% des élèves déclarent rencontrer des difficultés (enquête DEPP, 2021), manque d'efficacité des dispositifs d'aide (APC, accompagnement personnalisé).
Inégalités flagrantes dans les moyens alloués : Comparaison accablante entre les dépenses pour l'accompagnement éducatif en éducation prioritaire (18,80 € par élève) et en classes préparatoires (843 € par élève).
Défiscalisation des cours particuliers payants : Coût de 300 millions d'euros, dix fois plus que l'accompagnement éducatif en éducation prioritaire. Il interroge : "Qui sont les assistés ?" et dénonce une forme de "prédation budgétaire".
Répartition des Moyens et Organisation du Système :
Delahaye critique la mauvaise répartition du budget de l'Éducation nationale, avec des dépenses moindres pour l'école primaire par rapport aux autres pays européens et un investissement plus important dans le lycée.
Cela se traduit par des effectifs de classe plus élevés en France au niveau de la scolarité obligatoire.
Il aborde également la question de l'éducation prioritaire, soulignant que les efforts supplémentaires sont relativisés par la concentration de professeurs plus expérimentés et mieux rémunérés dans les collèges favorisés.
Il cite Thomas Piketty pour illustrer les différences de dépenses selon les parcours scolaires et les origines sociales (coût quatre fois supérieur d'un parcours en classes préparatoires et master par rapport à un lycée professionnel).
Il met en évidence des inégalités similaires dans le financement de l'enseignement supérieur (moins pour les étudiants à l'université que pour ceux en classes préparatoires).
Formation des Enseignants et Mixité Sociale :
Delahaye insiste sur la nécessité d'une formation pédagogique solide pour les enseignants, point faible du système français selon l'OCDE.
Il regrette la diminution du volume horaire de formation initiale et continue des professeurs des écoles depuis 30 ans.
Il souligne l'importance cruciale de la mixité sociale et scolaire, démontrant que celle-ci ne nuit pas aux meilleurs élèves et est un levier formidable pour ceux en difficulté.
Il dénonce la ségrégation inter-établissements (12% des collégiens dans des établissements uniquement avec des enfants de milieux défavorisés), la ségrégation sociale et scolaire au sein des établissements (pratiques illégales de classes de niveau), et l'aggravation de cette ségrégation due au financement important de la concurrence privée de l'école publique.
Il rappelle que la scolarité obligatoire à 3 ans n'a fait qu'augmenter le financement des écoles maternelles privées sans apporter d'élèves supplémentaires.
Il commente un graphique illustrant la forte disparité de l'IPS entre les établissements publics et privés.
Liste de Courses pour une École Plus Juste et Fraternelle :
Delahaye propose une série de mesures (qu'il qualifie de "banales" mais nécessitant une mise en œuvre cohérente) :
- Conviction que tous les enfants sont capables d'apprendre.
- Meilleure répartition du budget.
- Meilleure formation et rémunération des enseignants.
- Réflexion sur les savoirs enseignés (importance du travail manuel).
- Attention aux cycles et transitions.
- Développement de la coopération plutôt que de la compétition.
- Évaluation encourageante.
- Orientation moins liée aux origines sociales.
- Rythmes scolaires adaptés aux besoins des enfants (retour à la semaine de 4 jours et demi).
- Davantage de mixité sociale et scolaire.
- Confiance aux équipes de terrain.
- Travail en coéducation avec les parents.
Enjeux Politiques et Choix de Société :
Delahaye insiste sur le fait que la réussite scolaire des enfants de milieux populaires est avant tout une question politique, impliquant des choix fondamentaux :
- Intérêt général vs. intérêt particulier.
- Collectif vs. parcours individuels.
- Scolarisation ensemble vs. scolarisation séparée.
- Savoirs qui font sens pour tous vs. savoirs de sélection.
- Coopération vs. compétition (il relate une anecdote illustrant l'opposition à la vision coopérative).
Il souligne que les inégalités dans le système éducatif ne nuisent pas à tout le monde, et qu'une partie de la population n'a pas intérêt à ce que cela change.
Il prend l'exemple des rythmes scolaires primaires, démontrant que la semaine de 4 jours, plébiscitée par les classes moyennes et favorisées et arrangeant les collectivités, est défavorable aux enfants de milieux populaires (manque de l'après-midi d'école où ils ne bénéficient pas d'activités extrascolaires).
Il cite l'Académie de Médecine sur la nécessité d'adapter les journées scolaires aux besoins des enfants.
Il note que les familles populaires sont conscientes de ces enjeux et sont plus favorables à la semaine de 4 jours et demi.
Conclusion : Un Appel à l'Action pour Préserver le Pacte Républicain :
Delahaye avance trois raisons fondamentales pour agir en faveur de la réussite scolaire de tous :
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Économique : Les inégalités freinent la croissance.
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Sociale : Les échecs et humiliations scolaires créent des frustrations et des colères.
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Républicaine : Ceux qui n'ont pas eu les mêmes droits à l'école pourraient ne pas accepter les mêmes devoirs.
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Il conclut en rappelant la première ligne de la Constitution de 1958 : "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale."
Il explique que l'indivisibilité implique à la fois la reconnaissance de la diversité et la nécessité de rester unis.
Pour maintenir cette unité, la République doit impérativement être laïque, démocratique et sociale.
Échanges et Questions :
Les questions et remarques suite à la présentation ont porté sur :
- Le lien entre l'autobiographie et l'engagement politique de Jean-Paul Delahaye.
- La place de la fratrie dans l'accompagnement scolaire.
- L'articulation entre les classes populaires et les questions ethniques et culturelles.
- La possibilité de reproduction de parcours comme celui de Jean-Paul Delahaye dans le contexte actuel.
- Le pessimisme ambiant chez les enseignants et la nécessité de temps de réflexion.
- L'impact des évaluations nationales sur le sentiment d'échec précoce.
- Le rôle de la formation des enseignants face à la diversité des publics.
- L'importance de la coopération et de la mixité.
- La situation préoccupante de l'enseignement professionnel.
En conclusion, la conférence de Jean-Paul Delahaye dresse un tableau lucide et alarmant des inégalités scolaires en France, enracinées dans des problématiques sociales et politiques profondes.
Elle constitue un appel vibrant à une action collective et à des choix politiques courageux pour que l'école de la République devienne réellement "faite pour tous", et en particulier pour les enfants issus des milieux populaires.