Compte Rendu Détaillé : Le Handicap et l'École Inclusive en France
Ce document est un compte rendu détaillé des thèmes principaux et des faits marquants abordés lors d'un débat radiophonique sur France Culture, intitulé "Handicap : l'école est-elle la clé de l'inclusion ?".
Les intervenantes,
- Sonia Ainou (Première Vice-présidente de l'UNAPEI),
- Servane Hug (Députée, co-présidente du groupe d'étude handicap et inclusion) et
- Isabelle Keval (Philosophe, professeure des universités à l'INSEI),
explorent les défis et les perspectives de l'inclusion des élèves en situation de handicap dans le système éducatif français.
1. La Loi de 2005 et la Réalité de l'Inclusion
La discussion s'ouvre sur le constat que, malgré la loi de 2005 affirmant le droit de chaque enfant à une scolarisation en milieu ordinaire, la réalité est loin d'être satisfaisante.
Une étude récente de la Fédération UNAPEI révèle que "3/4 des enfants en situation de handicap n'ont pas accès à une scolarité normale, 23 % d'entre eux n'ayant même aucune heure de scolarisation par semaine."
Ce chiffre contraste avec l'annonce présidentielle de 430 000 élèves handicapés scolarisés à la dernière rentrée, soulevant la question de la "qualité de l'accueil de ces élèves."
2. Définition et Ambivalence de l'École Inclusive
Les intervenantes s'accordent sur l'idée que l'expression "école inclusive" devrait être redondante, car l'école, par essence et mission, se doit d'être inclusive.
Isabelle Keval : "Déjà, l'école inclusive, c'est une expression qui devrait être redondante parce que l'école dans ses textes, dans son histoire et dans ses missions, elle est inclusive.
Or, dans la réalité des faits, comme on vient de l'entendre et comme le rappelle de nombreuses enquêtes chaque année à la rentrée, elle ne l'est pas. Voilà. Donc, l'école inclusive, c'est une école qui accueille tout le monde."
Sonia Ainou : L'école inclusive est "celle qui permet d'accueillir tous les élèves quel qu'ils soient, qu'ils s'appuient sur les leviers sur lesquels ils peuvent progresser, gagner en autonomie et c'est celle qui va mettre en œuvre tous les moyens et les ressources nécessaires pour que l'élève puisse rentrer dans les apprentissages, grandir comme tous les autres élèves parmi tout le monde."
Servane Hug met l'accent sur la "l'accessibilité pédagogique des pratiques des enseignants" comme levier essentiel pour une réelle inclusion.
Une difficulté soulignée par Isabelle Keval est l'ambivalence inhérente à la notion d'inclusion : "la difficulté de l'inclusion, c'est qu'au fond, dans la notion, il y a cette ambivalence que pour pouvoir inclure, il faut pouvoir identifier et que dès lors qu'on identifie, on risque de stigmatiser."
3. La "Jungle de Sigles" et la Nécessité de Dispositifs Adaptés
Le vocabulaire complexe (dispositifs d'autorégulation, professeurs ressources, unités d'enseignement, Ulis, AESH, MDPH) est évoqué.
Sonia Ainou clarifie que ces termes désignent les diverses formes d'accompagnement nécessaires aux élèves ayant des besoins spécifiques : "c'est que cet élève-là a besoin qu'on intervienne de façon plus ou moins intensive auprès de lui parce qu'il a des des compétences, mais on a besoin d'accompagner ses compétences, de les renforcer.
Ça peut être des aides humaines comme les AESH, mais ça peut aussi être des aides techniques. Ça peut être aussi un aménagement pédagogique par l'enseignant. Ça peut être la formation des AESH."
4. Le Rôle Crucial de la Formation des Enseignants et la Coopération Médico-Sociale
Les trois intervenantes s'accordent sur le fait que l'augmentation du nombre d'accompagnants (AESH) ne suffit pas.
Le point central de l'avancement vers une école réellement inclusive réside dans la formation des enseignants et une coopération renforcée entre le monde médico-social et l'Éducation Nationale.
Servane Hug insiste sur la nécessité pour les enseignants de "se rendre compte aujourd'hui que accueillir un enfant en situation de handicap dans sa classe, ce n'est pas essayer de faire disparaître la différence mais au contraire c'est de se de de de rendre accessible ces pratiques."
Elle ajoute : "je crois que c'est c'est sur ça qu'il faut appuyer, c'est cette coopération entre les enseignants et les professionnels du médico-social, les éducateurs, ce qui permettra réellement, je pense, une avancée." Isabelle Keval corrobore en pointant un "déficit de formation" dans le cursus des enseignants, soulignant l'augmentation des demandes de formation continue sur ces questions à l'INSEI.
Cette appréhension des enseignants est liée à la "variété de handicap" et aux "résistances des parents des autres enfants".
5. Les Chiffres et les Avancées Gouvernementales
- Servane Hug défend l'action gouvernementale, mentionnant un budget de "3 milliards 8 d'euros en 2022" pour le handicap, soit une augmentation de "36 % depuis 2017".
Elle souligne le déploiement des "unités d'enseignement externalisé" et les futurs "dispositifs intégrés médico-éducatifs (DIY)" d'ici 2027, visant à prendre en charge les enfants polyhandicapés ou "lourdement handicapés" qui ne peuvent actuellement pas intégrer l'école ordinaire.
Cependant, Sonia Ainou tempère en affirmant qu'il ne s'agit pas d'une "amélioration" mais plutôt d'"engagements" et d'"annonces", et que la plateforme marentree.org continue de recueillir de nombreux témoignages d'enfants sans solution de scolarisation.
Le manque de places en établissements spécialisés reste criant, avec "12000 enfants qui n'ont pas de place".
6. L'Accessibilité au-delà du Technique : Sociale et Intellectuelle
Isabelle Keval élargit la notion d'accessibilité au-delà de la simple installation de rampes ou ascenseurs.
Pour elle, l'accessibilité doit aussi être "développé au niveau social, sociétal, intellectuel dans le regard qu'on porte sur les enfants en situation de handicap".
Il s'agit de les considérer comme des "sujets, des personnes qui ont la possibilité de choisir quelque chose, de décider", plutôt que de les stigmatiser par un "fléchage" technique.
7. L'Inclusion Hors Scolaire et la Communauté d'Expérience
Le débat explore également l'importance de l'inclusion dans les activités extrascolaires. Servane Hug ne croit pas que l'école soit "l'outil ultime de l'inclusion" en raison de l'attente de performances cognitives.
Elle suggère d'investir les centres de loisirs, les colonies, et les activités sportives et artistiques, où les enfants n'ont pas à s'évaluer les uns les autres.
Sonia Ainou renchérit en affirmant qu'il faut "saisir tous les leviers dans tous les lieux de vie et d'apprentissage des enfants", car l'école est la "porte d'entrée de l'avenir", mais l'endossement du statut d'élève se fait aussi "dans les temps hors scolaires."
Isabelle Keval insiste sur la "similarité d'expérience" comme levier d'inclusion, en utilisant des contextes comme l'eau ou l'air où les différences s'estompent au profit d'un point commun : "ce que nous partageons c'est l'eau. Voilà.
Et nous avons là un point commun. Nous sommes deux humains dans ce milieu aquatique."
L'objectif est de viser l'"universel" et non de "continuer à distinguer ceux qui sont dehors et ceux qui sont dedans."
8. Le Cas Belge : Un Modèle de Coopération
Servane Hug, dans le cadre de sa mission d'information parlementaire, a étudié le modèle belge.
Elle note que "1500 enfants sont aujourd'hui accueillis en Belgique" faute de solutions en France. La réussite belge s'explique par un "renforcement entre la coopération éducation nationale en Belgique et professionnel du médico-social."
En Belgique, les éducateurs sortent des IME et il y a l'équivalent d'une unité d'enseignement externalisée par groupe scolaire.
Sonia Ainou questionne pourquoi la France finance ces départs plutôt que d'investir dans une transformation du système national.
9. Les Freins et la "Plasticité" du Système
Les freins à l'inclusion sont multiples : les résistances des parents d'autres élèves, l'appréhension des professionnels, et la difficulté de modifier les habitudes. Isabelle Keval introduit le concept de "plasticité" : l'école inclusive et la société inclusive ne sont pas des touts déjà constitués dans lesquels on essaie de faire rentrer un élément.
Il s'agit plutôt d'"adapter ce système, le faire changer pour que finalement il y ait plus de cette frontière".
Sonia Ainou utilise le terme d'"agilité" pour décrire la capacité du système à répondre à toute forme de vulnérabilité.
Elle insiste sur la nécessité de faire travailler ensemble tous les acteurs (collectivités, financeurs, professionnels de l'éducation nationale, AESH, cuisiniers, professionnels médico-sociaux et libéraux), avec une attention particulière aux personnes concernées et aux familles, qui doivent être des "acteurs principaux".
10. Conclusion : Un Long Chemin à Parcourir Le débat se termine sur la reconnaissance du "long chemin à parcourir" pour atteindre une inclusion véritable.
La "plasticité" et l'"agilité" du système, la formation continue des enseignants, et une coopération intersectorielle sont identifiées comme les clés de cette transformation.
Servane Hug, en tant que députée, s'engage à œuvrer pour un "changement de paradigme" lors du prochain projet de loi de financement.
L'objectif ultime est de donner à tous les enfants en situation de handicap une "véritable chance [...] de rentrer dans les apprentissages et dans la vie tout simplement."