Santé Mentale et Handicap : Synthèse de l'Audition de la Défenseure des droits
Résumé Exécutif
Ce document de synthèse présente les constats et analyses clés issus de l'audition de Claire Hédon, Défenseure des droits, devant la commission d'enquête sur les défaillances des politiques publiques en matière de santé mentale et de handicap. L'audition révèle une divergence critique entre les droits proclamés par la loi et leur application effective sur le terrain. Le handicap demeure le premier motif de saisine pour discrimination, signalant des failles systémiques dans des domaines essentiels tels que l'éducation, l'emploi et l'accessibilité. La situation de la santé mentale est jugée particulièrement alarmante, avec un système de soins insuffisant et cloisonné pour les adultes, et des conditions critiques pour les mineurs marqués par des délais d'attente insoutenables et des pratiques d'hospitalisation inadaptées. La Défenseure des droits soutient que le non-respect des droits fondamentaux, loin d'être une économie, engendre un coût social et financier élevé à long terme. La collecte de données fiables, l'application rigoureuse des textes existants et une approche décloisonnée sont identifiées comme des leviers indispensables pour remédier à ces défaillances.
1. Le Défenseur des droits : Un Observatoire des Défaillances Systémiques
L'institution du Défenseur des droits, par ses cinq domaines de compétence (droits des usagers des services publics, lutte contre les discriminations, droits de l'enfant, déontologie de la sécurité, protection des lanceurs d'alerte), constitue un observateur privilégié des carences des politiques publiques relatives au handicap et à la santé mentale.
Le Handicap comme Premier Motif de Discrimination
Claire Hédon souligne que le handicap est, depuis plusieurs années, le premier motif de saisine en matière de discrimination, ce qui témoigne de difficultés persistantes et généralisées.
• Statistiques Clés (2024) :
◦ Total des saisines pour discrimination : 5 679 ◦ Part concernant le handicap : 22 % (soit 1 249 réclamations)
Ces discriminations s'exercent dans de multiples domaines : emploi, scolarisation, accès à la santé, à la justice, aux loisirs, au sport et à la culture.
Le Coût du Non-Respect des Droits
La Défenseure des droits conteste l'idée selon laquelle l'application des droits fondamentaux représenterait un coût financier excessif. Elle affirme sa conviction que "c'est le non-respect des droits fondamentaux qui entraînera à terme un coût élevé pour la société". L'approche de l'institution se concentre sur "l'écart entre le droit annoncé et son effectivité", soulignant que les défaillances actuelles génèrent un coût social majeur.
2. La Santé Mentale : Une Crise des Droits Fondamentaux
L'audition met en lumière une crise profonde dans la prise en charge de la santé mentale en France, exacerbée par la crise sanitaire du Covid-19. Les politiques publiques sont jugées insuffisantes tant en quantité qu'en organisation.
2.1. Prise en Charge des Adultes : Un Système Insuffisant et Cloisonné
Le système de soins pour adultes souffre de faiblesses structurelles majeures :
• Offre de soins : Des offres trop faibles, des capacités d'hospitalisation limitées et des déserts médicaux.
• Organisation : Un système mal organisé et cloisonné entre les secteurs sanitaire et médico-social.
• Ressources : Des moyens qui stagnent alors que les besoins augmentent, rendant les conditions d'exercice indignes pour les soignants et les patients.
Conséquences pour les patients :
• Délais d'attente excessifs.
• Ruptures de soins fréquentes et errance sanitaire.
• Inégalités territoriales criantes, pénalisant particulièrement les personnes précaires.
Focus : La Situation Critique des Personnes Détenues
La santé mentale des personnes détenues est une préoccupation majeure, avec une surreprésentation des pathologies et troubles mentaux en milieu carcéral.
• Appels à la plateforme (3141) de juillet 2024 à juillet 2025 :
◦ 7,6 % des appels concernaient des difficultés d'accès aux soins (1 065 appels). ◦ 106 appels portaient spécifiquement sur un risque suicidaire.
Causes identifiées :
1. La politique de désinstitutionnalisation : Menée sans un développement suffisant des services de proximité pour prendre le relais des services hospitaliers psychiatriques.
2. La diminution des déclarations d'irresponsabilité pénale : Conduisant au maintien en détention de personnes dont l'état de santé nécessiterait une prise en charge dans une structure de soins.
La Cour européenne des droits de l'homme (arrêt GC c. France, 2012) a qualifié cette situation de "traitement inhumain". Le manque de continuité des soins à la sortie de prison augmente par ailleurs le risque de récidive.
2.2. Santé Mentale des Mineurs : Une Situation Alarmante
Les données concernant la santé mentale des jeunes sont particulièrement inquiétantes. Une étude de 2025 (Institut Montaigne, Mutualité française, Institut Terram) révèle que 25 % des jeunes de 15 à 29 ans souffrent de dépression, un chiffre atteignant 39 % en outre-mer.
Carences Structurelles de la Pédopsychiatrie
• Absence de données fiables : Le manque de données agrégées sur le nombre d'enfants en attente de prise en charge "fragilise le pilotage de nos politiques publiques". Le rapport 2023 de la Cour des comptes estime que sur 1,6 million d'enfants souffrant d'un trouble psychique, seuls 50 à 53 % bénéficient de soins.
• Pénurie de médecins et inégalités territoriales : Malgré des infrastructures dans la moyenne européenne, le secteur est saturé. Les Centres Médico-Psychologiques (CMP) sont inégalement répartis, et les délais pour obtenir un premier rendez-vous dépassent souvent un an.
Pratiques Inadaptées et Atteintes aux Libertés
Des pratiques préoccupantes sont régulièrement signalées :
• Hospitalisation en services pour adultes : Des enfants et adolescents sont hospitalisés dans des services de psychiatrie adulte, une situation qui "ne fait que s'aggraver".
• Maintien par défaut : Des jeunes en situation de handicap sont maintenus en structure psychiatrique faute de places dans le secteur médico-social ou en protection de l'enfance.
• Recours à l'isolement et à la contention : Ces mesures de dernier recours sont utilisées de manière trop fréquente, souvent motivées par un manque de personnel. Pour les mineurs hospitalisés en "soins libres" (à la demande des parents mais sans leur propre consentement), il n'existe aucun contrôle systématique par un juge des libertés et de la détention (JLD), contrairement aux adultes.
Exemple emblématique : Une adolescente de 15 ans, atteinte d'autisme sévère, a été hospitalisée pendant plus de deux ans dans un service psychiatrique pour adultes, sans justification médicale. Elle était confinée dans une chambre d'isolement "plus de 20 heures par jour", déscolarisée et privée de soins somatiques essentiels.
3. Politiques du Handicap : Des Droits Proclamés mais Non Effectifs
Vingt ans après la loi de 2005, son application reste partielle et les obstacles à l'inclusion demeurent nombreux.
3.1. Éducation : Une Inclusion Inachevée
Bien que la loi de 2005 ait permis une augmentation du nombre d'enfants handicapés scolarisés, l'accès à une éducation de qualité reste difficile.
Catégorie de réclamation (2024)
Chiffres et pourcentages
Discrimination liée à l'éducation/formation
7 % des 5 679 saisines
Droits de l'enfant (majorité liée à la scolarisation)
30 % des 3 073 saisines
Obstacles persistants :
• Manque d'AESH : Malgré les créations de postes, les besoins ne sont pas couverts.
• Pause méridienne : La loi du 27 mai 2024 prévoyant la prise en charge par l'État de l'accompagnement sur le temps de la pause méridienne est "très loin d'être effective" en raison de blocages administratifs.
• Aménagement des examens : Une augmentation inquiétante des refus d'aménagement pour des élèves ou étudiants handicapés, parfois sous le prétexte paradoxal que "leurs résultats étaient bons".
3.2. Emploi : Premier Domaine de Discrimination
L'emploi est le principal secteur où s'exercent les discriminations liées au handicap. Sur les réclamations pour handicap en 2024, 21 % concernent l'emploi privé et 24 % l'emploi public. L'obligation d'emploi de 6 % ne suffit pas à garantir l'égalité de traitement.
Difficultés récurrentes :
• Aménagement tardif du poste de travail.
• Non-respect des préconisations du médecin du travail.
• Difficultés accrues dans le maintien dans l'emploi pour les personnes dont le handicap ou la maladie survient en cours de carrière.
3.3. Accessibilité : Un Retard Persistant
L'accessibilité, condition essentielle à la participation sociale, reste un point faible majeur.
• Transports : L'objectif de mise en accessibilité n'est pas atteint, la loi s'étant limitée aux "points d'arrêt prioritaires".
• Logement : Inquiétude face à l'assouplissement des règles d'accessibilité (loi ELAN).
• Numérique : La dématérialisation produit des effets ambivalents. Selon l'ARCOM, peu de sites publics atteignent 50 % d'accessibilité et seulement 5 % sont totalement conformes.
3.4. Aides à l'autonomie : Une Compensation Insuffisante et Inégale
Le droit à la compensation instauré par la loi de 2005 présente des limites flagrantes.
• La barrière des 60 ans : Une différence de traitement persiste selon que le handicap survient avant ou après 60 ans, la fusion des régimes prévue pour 2010 n'ayant jamais eu lieu.
• Limites de la PCH (Prestation de Compensation du Handicap) :
◦ L'aide humaine est limitée aux besoins essentiels. ◦ Les aides techniques sont sous-financées. ◦ La PCH parentalité est critiquée pour ses critères restrictifs.
4. Recommandations et Perspectives
L'audition se conclut sur plusieurs axes d'action prioritaires pour remédier aux défaillances constatées.
• Application des textes : L'urgence est "l'application pure et simple des textes votés par le Parlement", dont beaucoup sont en attente de décrets d'application.
• Données statistiques : Il est impératif de disposer de données fiables et agrégées (ex : nombre d'heures de scolarisation effectives, nombre de places manquantes en IME) pour piloter les politiques publiques.
• Décloisonnement : Renforcer la coordination entre les secteurs sanitaire, médico-social, éducatif et judiciaire est crucial pour assurer la fluidité des parcours.
• Priorité à la jeunesse : La santé mentale des jeunes, érigée en grande cause nationale 2025, nécessite une "véritable prise de conscience collective" et des moyens financiers adéquats, notamment pour les CMP.
• Formation : L'amélioration de la formation des professionnels (enseignants, AESH, employeurs, soignants) est essentielle pour faire évoluer les pratiques et les cultures professionnelles.
• Lutte contre la complexité administrative : Le "mille-feuille" des dispositifs doit être simplifié pour améliorer la lisibilité et l'accès aux droits pour les familles.