NOTE D'INFORMATION
Objet : Analyse des enjeux et des défis de l'orientation au collège et au lycée en France, selon un rapport de la Cour des comptes et les réponses du Ministère de l'Éducation nationale et de l'Association Régions de France.
Date : 19 mars 2025
Sources :
Excerpts from "https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2025-03/20250319-RPA2025-volume1-orientation-college-lycee.pdf"
1. Introduction : L'orientation au cœur du système éducatif – Enjeux et Contexte
L'orientation des élèves au collège et au lycée est un processus essentiel qui les guide à travers leur parcours scolaire et vers l'insertion professionnelle.
Ce processus est décrit comme un "cheminement qui court sur plusieurs années".
Les moyens publics consacrés à cette politique sont estimés à environ 400 M€ et 8 000 équivalents temps-plein.
Les enjeux de l'orientation sont considérables, tant au niveau individuel que collectif. Ils visent à garantir l'équité, en dépassant les déterminismes sociaux, de genre et territoriaux, et à répondre aux besoins en compétences du marché de l'emploi et de la société.
La loi du 5 septembre 2018 a établi une compétence partagée sur l'information à l'orientation entre les régions académiques et les régions, entraînant une réorganisation de l'Onisep.
Cependant, la loi "ne permet pas d’aboutir à une situation claire". Une "multitude d’acteurs, publics et privés, ont émergé et jouent un rôle croissant".
Les jeunes et leurs parents se sentent souvent "en manque de repères face à une offre de formation foisonnante, aux règles du jeu opaques et instables".
Un sondage de mai 2024 par la Cour indique que 35 % des collégiens et 25 % des lycéens se disent insatisfaits des informations et conseils reçus. De plus, près de 20 % des bacheliers qui poursuivent leurs études regrettent leur choix d'inscription.
2. Déterminismes et Inégalités dans l'Orientation
Le processus d'orientation est fortement influencé par les résultats scolaires, l'image sociale des filières et l'offre de formation.
Déterminismes sociaux et territoriaux : L'orientation "tend donc plutôt à amplifier le déterminisme social". Après la classe de troisième, près d'un tiers des élèves (32% en 2022) rejoignent la voie professionnelle.
Les élèves issus de milieux peu favorisés sont davantage représentés dans les lycées professionnels.
"À notes équivalentes, les familles de milieux défavorisés font beaucoup moins souvent des choix d’orientation vers la seconde générale et technologique" et les décisions des équipes éducatives peuvent être influencées par le contexte social de l'élève.
Le lieu de résidence joue également un rôle, notamment pour les élèves en zone rurale éloignée où la voie professionnelle est plus souvent choisie en raison de difficultés de mobilité et d'un attachement au marché du travail local.
Le dispositif des Cordées de la réussite, bien que non évalué de manière exhaustive, semble avoir un impact positif sur le taux de proposition d'admission dans Parcoursup pour les élèves participants.
Déterminismes de genre : Les choix d'orientation "restent très genrés à tous les niveaux de formation". Les parents jouent un rôle majeur dans cette reproduction sociale.
Malgré des actions visant à sensibiliser et à lutter contre les stéréotypes, la mixité nécessite "une action concertée et continue de l’enseignement supérieur et du monde du travail dans les secteurs traditionnellement très genrés".
3. La Valorisation des Enseignements Professionnels et Technologiques
Un objectif prioritaire du gouvernement est de "Refonder l’orientation des élèves", en mesurant le nombre de métiers connus en fin de troisième et le taux d'élèves ayant bénéficié de la découverte des métiers.
La découverte des métiers est généralisée "dans toute la mesure du possible" dans tous les collèges depuis la rentrée 2023.
La part des élèves en voie professionnelle a diminué globalement (de 38% en 2007 à 32% en 2022), mais les demandes des familles pour cette voie ont augmenté récemment (de 32,5% en 2020 à 36,2% en 2024), témoignant d'une "réels progrès dans la valorisation de la voie professionnelle".
Cependant, le secteur industriel souffre encore d'un "déficit d’image".
La coexistence des voies professionnelle et technologique, avec une "image de relégation attachée à la voie professionnelle auprès des familles et des enseignants", contribue à ce sentiment.
Un rapprochement entre ces voies est suggéré, comme le modèle suisse où la filière professionnelle est "fortement valorisée" et suivie par 70 % des élèves, incluant les enfants de cadres.
4. L'Accompagnement à l'Orientation : Un Besoin Insatisfait
Il existe un "important besoin d’accompagnement à l’orientation insatisfait" qui a conduit à l'émergence d'une "multitude d’intervenants".
Les lycéens s'informent principalement via les forums/salons de l'étudiant (41%), les journées portes ouvertes/immersions dans les établissements d'enseignement supérieur (38%) et le site de l'Onisep (36%).
Le marché privé du conseil en orientation se développe en réponse à ce besoin, "accroissant en retour les inégalités entre les jeunes".
5. L'Organisation et les Moyens de l'Orientation dans les Établissements Scolaires
Le corps des psychologues de l'éducation nationale (psyEN), remplaçant les conseillers d'orientation-psychologues, s'est recentré sur le suivi psychologique des élèves.
Le ratio d'élèves par psyEN est de 1 147 élèves par psychologue de l’Éducation nationale, ne permettant pas une action individualisée.
Le transfert des missions des psyEN vers les régions est jugé "peu praticable, à l’heure actuelle".
La mission d'éducation à l'orientation, confiée aux enseignants, est "insuffisamment accompagnée".
Bien que l'orientation fasse partie de leur référentiel de compétences, les maquettes de formation initiale ne comportent pas de "formation obligatoire sur ce sujet".
Les heures d'accompagnement à l'orientation prévues au collège et au lycée général et technologique ne sont pas des "moyens fléchés" et sont perçues comme "non financées et non obligatoires".
La Cour estime le besoin de financement complémentaire pour sécuriser ces heures à entre 134 M€ et 309 M€ selon les modalités.
Deux outils sont en développement pour appuyer les enseignants : le programme Avenir(s) de l'Onisep (doté de 20 M€ sur 10 ans) qui vise à structurer l'outillage pédagogique et à créer un portfolio pour les élèves, et le module MonProjetSup (développé par le ministère de l'enseignement supérieur en lien avec l'Onisep) pour aider les lycéens à préparer leurs vœux dans Parcoursup.
L'absence de transparence des critères de décision dans Parcoursup est soulignée comme une difficulté.
6. La Répartition des Compétences entre l'État et les Régions
La répartition actuelle des compétences entre l'État et les régions "prête à confusion".
Les régions ont la responsabilité de la coordination et de l'animation de l'orientation tout au long de la vie pour les adultes, mais leur compétence pour les publics scolaires, étudiants et apprentis se limite à "l'information sur les métiers et les formations".
La phrase de la loi "la région organise des actions d’information", et non "les actions d’information", est jugée limitée.
Les régions revendiquent un "transfert plein et entier de la compétence « orientation »", mais contestent l'analyse de la Cour selon laquelle cela impliquerait de leur confier les décisions d'orientation et d'affectation.
Elles estiment que ces décisions relèvent de l'Éducation nationale.
La profusion de sites d'information et d'orientation (avec des exemples de sites publics et privés) illustre cette complexité.
Le développement de la plateforme Avenir(s) par l'Onisep est perçu par les régions comme faisant "doublon avec la compétence régionale sur l’information métiers" et rendant "invisibles les sites que toutes les régions ont développés".
Les régions demandent une clarification en remplaçant "des actions" par "les actions" dans le code du travail et un transfert global des missions et moyens nécessaires.
L'enveloppe actuelle de 8 M€ transférée aux régions pour l'information territorialisée est jugée "très insuffisante" au regard de leur engagement réel (plus de 170 M€ en 2024).
La mise en synergie des nombreuses structures accueillant les jeunes (CIO, bureaux Information Jeunesse, missions locales, structures régionales, chambres consulaires) est nécessaire pour améliorer l'efficience et la lisibilité pour le public.
Le "bassin d’éducation et de formation apparaît comme le niveau pertinent pour que les acteurs se connaissent et travaillent de manière harmonisée".
7. La Transformation de l'Offre de Formation Professionnelle
L'offre de formation "détermine pour une large part l’orientation des jeunes".
Les taux d'emploi à six mois des diplômés du baccalauréat professionnel (48%) et du CAP (33%) sont relativement bas (mais plus élevés que pour les bacheliers généraux ou technologiques n'ayant pas poursuivi d'études supérieures).
L'application Inserjeunes vise à fournir des informations sur les taux de poursuite d'études et d'insertion.
La "transformation indispensable de l'offre de formation professionnelle" est une priorité pour une meilleure insertion des jeunes en lien avec les besoins des territoires.
L'affectation dépend des capacités disponibles, et 25% à 30% des élèves n’obtiennent pas leur premier vœu, ce qui "peut renforcer le sentiment d’orientation subie".
La baisse prévue des effectifs de lycéens à partir de 2028 offre une "opportunité de conduire cette transformation".
Les campus des métiers et des qualifications sont un exemple d'articulation entre offre de formation et orientation, mais leur impact est variable.
8. Conclusions et Recommandations de la Cour des Comptes
Malgré les efforts, l'orientation reste marquée par de forts déterminismes sociaux, territoriaux et de genre.
L'éducation à l'orientation au collège est difficile à mettre en place en raison du manque de formation des enseignants et de l'absence de moyens fléchés pour les heures dédiées.
La répartition des compétences entre l'État et les régions doit être clarifiée, et une meilleure articulation locale des acteurs est nécessaire.
L'orientation est indissociable de l'offre de formation professionnelle, qui doit s'adapter aux besoins locaux.
La Cour formule les recommandations suivantes :
- Insérer dans les maquettes de formation initiale des enseignants un module obligatoire sur la compétence orientation.
- Adapter l'emploi du temps des professeurs principaux ou référents pour leur permettre d'assurer leur mission d'orientation.
- Expérimenter avec une ou plusieurs régions volontaires un rapprochement entre les voies du lycée, professionnelle, technologique et générale.
9. Réponses et Perspectives
Le Ministère de l'Éducation nationale signale qu'une concertation nationale sur l'orientation est en cours (novembre 2024 - mars 2025) pour "faire de la politique d’orientation un levier de réussite et d’égalité des chances".
Il souligne l'importance du programme Avenir(s) pour créer un "service public national, gratuit, exhaustif et égalitaire de l’orientation".
Concernant la recommandation 1, le ministère indique que la compétence d'orientation est déjà incluse dans le référentiel de formation des enseignants et que la réforme de la formation initiale permettra de réfléchir à l'évolution des contenus.
Il souligne également l'effort en matière de formation continue sur l'orientation (50 294 journées en 2023-2024).
Concernant la recommandation 2, le ministère ne prévoit pas de quantifier le volume horaire de la mission d'orientation pour éviter la rigidité et ne pas nuire à la mission de coordination.
Il précise que le dispositif actuel permet l'intervention de divers personnels et que tous les professeurs ont un rôle en matière d'orientation.
Concernant la recommandation 3, le ministère y voit un intérêt pour une perspective décloisonnée et travaillera en articulation avec l'enseignement supérieur.
Le ministère mentionne également une expérimentation d'"option santé" dans les lycées de déserts médicaux pour lutter contre les déterminismes territoriaux.
Il précise que MonProjetSup est intégré à Avenir(s) et vise à fournir des suggestions personnalisées basées sur les données de Parcoursup.
Il rappelle le rôle des psyEN en matière d'orientation, malgré une charge de travail accrue sur d'autres missions.
Régions de France partage le constat de la confusion des compétences et le manque de repères pour les jeunes et les parents.
Elles souscrivent aux objectifs de lutte contre les déterminismes et de valorisation des métiers.
Elles partagent aussi le constat de l'émergence des acteurs privés.
Cependant, elles contestent l'idée que leur demande de compétence pleine et entière implique de prendre les décisions d'orientation et d'affectation, qui relèvent selon elles de l'Éducation nationale.
Elles demandent une clarification législative en remplaçant "des actions" par "les actions" dans le code du travail.
Elles voient la plateforme Avenir(s) comme un doublon.
Elles réclament un transfert global des missions et moyens nécessaires, incluant les équipes des directions territoriales ONISEP et les directeurs de CIO, et jugent l'enveloppe actuelle transférée pour l'information "très insuffisante".
Elles soulignent que les moyens dédiés aux CIO diminuent et que les psyEN se concentrent davantage sur le suivi psychosocial, déportant l'accompagnement de l'affectation vers les régions sans moyens additionnels.
Régions de France souhaite que le rapport de la Cour contribue à une clarification de la compétence et regrette l'absence de recommandation sur ce sujet.
Elles souscrivent à l'expérimentation de rapprochement des voies au lycée et partagent le constat de l'inadéquation entre orientation et besoins réels des territoires.
En synthèse, les points clés à retenir sont :
Le système d'orientation actuel est complexe, coûteux, et manque de clarté, entraînant une insatisfaction chez les jeunes et leurs parents.
L'orientation est fortement marquée par les déterminismes sociaux, de genre et territoriaux, avec un besoin de renforcer l'équité.
La valorisation de la voie professionnelle est un enjeu majeur, avec un modèle comme la Suisse cité en exemple.
Le besoin d'accompagnement à l'orientation est important mais insuffisamment satisfait par le système éducatif public, favorisant l'émergence d'acteurs privés et l'accroissement des inégalités.
La formation des enseignants à l'orientation est jugée insuffisante.
Les heures dédiées à l'orientation dans les établissements manquent de moyens fléchés et ne sont pas toujours concrétisées.
La répartition des compétences entre l'État et les régions est source de confusion, et les régions réclament une compétence pleine et entière sur l'information et l'orientation métiers, mais pas sur les décisions d'affectation.
La profusion d'outils et de structures d'information et d'orientation nécessite une meilleure synergie et lisibilité locale.
L'offre de formation professionnelle doit être transformée pour mieux s'adapter aux besoins locaux et offrir des parcours d'insertion réussie.
Des expérimentations, comme le rapprochement des voies au lycée et l'option santé, sont des pistes explorées pour améliorer le système.
Cette note d'information résume les principaux éléments et les divergences de points de vue entre les acteurs sur la manière d'améliorer l'orientation des jeunes en France.