Cette transcription d'une vidéo YouTube de la chaîne "ÊtreProf" discute des inégalités sociales dans l'orientation scolaire post-troisième en France.
Des statistiques alarmantes révèlent un lien fort entre l'origine sociale et l'orientation vers des filières professionnelles, même avec des résultats scolaires équivalents.
L'entretien explore la complexité du système d'orientation, mettant en lumière des mécanismes de sélection opaques et potentiellement discriminatoires basés sur les notes, le genre et l'origine sociale.
Enfin, les conséquences pour les jeunes, notamment l'humiliation et le sentiment d'injustice, sont abordées, ainsi que la nécessité de réformer le système pour une plus grande équité.
Voici un sommaire minuté de la vidéo :
0:00-4:37 : Introduction à la discussion sur les inégalités sociales dans l’orientation scolaire en France, en particulier en ce qui concerne les lycées professionnels.
Le présentateur présente un « vrai-faux » sur des idées courantes sur les lycées professionnels afin de lancer la conversation.
4:38-7:43 : Prisca, sociologue spécialisée dans la formation professionnelle, présente des statistiques sur les lycées professionnels :
* 1 million d’élèves sont orientés en lycée professionnel après la troisième ou la seconde générale, ce qui représente 40 % des jeunes scolarisés après la troisième.
* 80 % de ces élèves ont quinze ans ou moins.
* Les élèves issus de milieux populaires ont 93 fois plus de chances d’être orientés en seconde professionnelle et 163 fois plus de chances d’être orientés en CAP, à résultats égaux en troisième.
* 30 % des élèves de lycée professionnel ont cherché une place en apprentissage mais n’ont pas pu la trouver.
7:44-12:38 : Discussion sur l’opacité et la complexité du système de sélection pour l’orientation professionnelle, qui s’effectue en trois étapes :
* La décision d’orientation vers la voie professionnelle.
* Le choix de la spécialité.
* Le choix entre le lycée professionnel et l’apprentissage.
Prisca souligne le manque d’information des élèves et de leurs familles face à cette complexité, et met en évidence le rôle des notes en français et en mathématiques dans la décision d’orientation, malgré leur faible valeur prédictive de la réussite en bac pro ou en CAP.
12:39-21:03 : Discussion sur le rôle de l’origine sociale dans l’orientation. Prisca explique que les familles favorisées s’opposent souvent à l’orientation de leurs enfants vers la voie professionnelle et parviennent à la faire modifier.
Elle souligne également que les équipes éducatives, même inconsciemment, ont tendance à penser que les élèves de milieux favorisés auront plus de soutien familial et de moyens pour réussir, ce qui les incite à les orienter vers la voie générale, même à niveau égal.
Prisca utilise le terme « discrimination » pour décrire ce phénomène. L’animateur partage son expérience de correcteur et constate le même biais dans l’évaluation des copies.
21:04-29:07 : Discussion sur le genre comme facteur de sélection, notamment en apprentissage.
Prisca met en avant la pression exercée sur les filles pour les orienter vers des filières traditionnellement féminines, telles que l’esthétique ou la coiffure.
Elle souligne les difficultés rencontrées par les filles qui souhaitent s’orienter vers des filières « masculines » et la sélection opérée par les employeurs sur des critères de savoir-être et d’apparence, en particulier dans les filières féminisées.
29:08-30:57 : L’animateur s’interroge sur le sentiment de « ségrégation » engendré par le système d’orientation et sur la dissonance entre l’objectif affiché de réussite pour tous et la réalité de la sélection.
30:58-42:38 : Discussion sur les changements dans l’orientation depuis les années 1980 :
* L’intégration de la formation professionnelle au sein de l’Éducation nationale a conduit à une hiérarchisation des filières.
* La création du bac pro visait à atteindre l’objectif des 80 % d’une classe d’âge au bac.
* Cette intégration a privé les lycées professionnels des meilleurs élèves.
* La mission de l’enseignement professionnel est passée de la transmission d’un métier à l’accès à l’emploi, avec une augmentation des périodes de stage.
* Prisca souligne que la formation du citoyen et aux métiers est de plus en plus réduite.
42:39-47:45 : Discussion sur le rôle de la politique et du capitalisme dans l’orientation professionnelle. Prisca évoque la campagne du Medef « Si l’école faisait son travail, j’aurais du travail » comme exemple de la remise en cause du rôle de l’école.
L’animateur s’interroge sur l’orientation professionnelle comme « fer de lance » du capitalisme et Prisca confirme la présence d’une logique de marché dans l’apprentissage.
47:46-55:58 : Discussion sur l’âge des élèves au moment de l’orientation (treize-quatorze ans) et les conséquences de ce choix précoce :
* Confrontation au travail trop jeune, avec des conditions de travail difficiles, notamment l’exposition à des produits cancérogènes.
* Difficultés particulières pour les filles dans certains secteurs, comme l’esthétique ou le soin à la personne.
55:59-64:37 : Discussion sur la manière dont les jeunes s’approprient le système d’orientation :
* Prisca évoque son ouvrage sur « l’indocilité » des jeunes face à l’orientation subie.
* Les jeunes expriment un sentiment d’injustice et d’humiliation lié à l’orientation, qu’ils perçoivent comme un mépris de classe.
* Cette humiliation nourrit un sentiment d’injustice qui se poursuit dans la recherche d’une place et la confrontation au travail.
* Les jeunes ont une « sagacité sociologique » et perçoivent les mécanismes de sélection à l’œuvre.
* Leur principale revendication est qu’on les « dépossède de leur jeunesse » en les obligeant à « jouer à l’adulte ».
64:38-69:05 : L’animateur fait un lien entre le sentiment d’humiliation des jeunes et la montée du vote Front National chez les jeunes, notamment en milieu rural.
Prisca nuance ce lien en soulignant les différences entre les lycées professionnels en milieu rural et en périphérie des grandes villes. Elle conclut en soulignant la colère d’une partie de la jeunesse.
69:06-78:19 : Discussion sur les pistes de réflexion pour un système d’orientation plus juste et au service de la réussite de tous :
* Autoriser les passerelles entre les filières.
* Ouvrir des spécialités pour les filles.
* Penser les ponts avec l’enseignement supérieur.
* Remettre en question la hiérarchisation des savoirs et la dévalorisation des qualifications ouvrières et employées.
* Repenser le rôle de l’évaluation et s’interroger sur son objectif : est-elle au service de l’individu ou de la sélection ?.
L’animateur remercie Prisca pour cet échange qui ouvre des pistes de réflexion sur l’orientation professionnelle en France.