Document de Briefing : Analyse des Auditions sur l'Organisation du Système de Santé
Date :2025
Objet : Synthèse des points clés des auditions de l'Ordre et des syndicats de médecins sur l'organisation du système de santé, axée sur l'accès aux soins et la démographie médicale.
Source : Extraits de la table ronde avec l'Ordre et les syndicats des médecins sur l’organisation du système de santé.
Résumé Exécutif :
- Les auditions révèlent une convergence de vues entre l'Ordre et les syndicats de médecins concernant le constat critique de la situation actuelle du système de santé français, en particulier l'accès aux soins et les difficultés démographiques.
Tous les intervenants soulignent l'urgence de trouver des solutions, tout en mettant en garde contre la précipitation et les mesures coercitives.
Les thèmes centraux incluent le manque cruel de données démographiques précises, la transformation de la pratique médicale due au vieillissement de la population et à la multimorbidité, l'iniquité territoriale, la nécessité de collaborateurs médicaux (assistants et infirmières), et l'importance d'une approche territoriale coordonnée et incitative plutôt que coercitive.
La formation des jeunes médecins, l'intégration des retraités et la régulation de certaines activités (comme la médecine esthétique) sont également identifiées comme des leviers essentiels.
Points Clés et Analyses :
Constat Démographique et Accès aux Soins :
- Un accord général sur l'énorme préoccupation concernant l'accès aux soins.
- Le problème démographique a été alerté dès 2010, mais sans réaction suffisante des élus et tutelles.
- Malgré l'augmentation du nombre d'étudiants (4000 par an prévus), les effets positifs sur la démographie médicale ne se feront sentir que dans 5 ans minimum, voire une douzaine d'années pour un impact significatif.
- Le numérus clausus (années 1980-2000) est largement identifié comme la cause principale de la pénurie actuelle. "nous sommes en grande difficulté c'est une réalité", "ça fait 40 ans que ça dure avec un numérus clausus qui a été extrêmement dur".
- Il y a un manque crucial de données démographiques précises et fiables sur le nombre de médecins par spécialité, par type d'exercice (traitant, urgences, soins non programmés, etc.) et par territoire. Impossible de construire une politique de santé efficace sans savoir de quoi on parle. "comment construire une politique de santé quand on ne sait pas de quoi on parle".
- Seulement environ 40 000 médecins généralistes sur près de 100 000 sont considérés comme des "médecins généralistes traitants" ayant en charge un nombre significatif de patients (plus de 200 contrats, moyenne 1000-1100). Cela signifie que 60 % de la profession générale fait autre chose.
Transformation de l'Exercice Médical et Temps Médical Disponible :
- Le temps médical disponible par médecin a diminué : une consultation moyenne prenait plus de temps qu'auparavant (passant de 35 à 25 consultations par jour pour un même temps de travail dans l'exemple donné).
- Cela est dĂ» Ă deux facteurs principaux :
- Augmentation du temps administratif (+30% en 10 ans). "le temps administratif qui a augmenté de 30 % en 10 ans".
- Multimorbidité et complexité des patients : vieillissement, maladies chroniques multiples, problèmes psychosociaux. "les patients sont plus compliqués ils ont un voire deux voire plus maladies chroniques et ils ont des problèmes psychosociaux".
- La nécessité de collaborateurs médicaux (assistants médicaux, infirmières en pratique avancée - IPA) est cruciale pour aider les médecins dans la gestion administrative et la prise en charge des patients complexes/chroniques. L'assistant médical permettrait de prendre près de 300 patients supplémentaires en médecin traitant et d'augmenter la file active de 120 patients en moyenne.
Iniquité Territoriale et "Effet Dominos" :
- L'iniquité territoriale est une réalité, avec 87% des territoires sous-dotés.
- Les zones rurales sont particulièrement touchées par le départ à la retraite de médecins plus âgés, créant un "effet dominos" : le départ d'un médecin submerge les autres, qui finissent par partir également.
- L'attractivité des territoires est un facteur majeur : les jeunes médecins s'installent avec leur conjoint, et la disponibilité d'emploi et d'infrastructures (crèche, école, etc.) pour la famille est primordiale. Le modèle du "patriarcat médical est mort".
Rejet des Mesures Coercitives :
- Un consensus fort s'exprime contre les mesures coercitives, comme la régulation forcée de l'installation ou le retour des gardes obligatoires.
- Ces mesures sont considérées comme "une mauvaise solution et une solution de facilité" en période de pénurie et pourraient avoir des effets inverses, comme le départ des médecins à l'étranger, vers le salariat ou d'autres secteurs d'activité moins contraignants. "Je crois que c'est un remède qui soit pire que le mal".
- L'expérience de pays ayant mis en place de telles mesures (Canada, Québec) est citée comme exemple de leurs limites.
- Importance de l'Approche Territoriale et Incitative :
- La solution réside dans une organisation territoriale des soins, définie collectivement et adaptée aux besoins locaux. "le mot qui a été prononcé le plus c'est le mot territoire".
- Il faut développer une politique de "aller vers" : faciliter le transport des patients vers les zones de soins et permettre aux médecins d'aller consulter dans les zones sous-dotées (consultations avancées, médicobus). Les consultations avancées sont vues comme un dispositif fonctionnel basé sur le volontariat et la responsabilité collective.
- La permanence des soins (PDSA) est citée comme un exemple de responsabilité collective qui fonctionne (97% du territoire couvert le weekend, 93% en soirée, avec 40% des médecins généralistes participants). L'idée de la rendre obligatoire est vue comme risquant de "casser quelque chose qui est en train petit à petit de s'améliorer".
- Il faut une meilleure coordination entre les différents acteurs de santé sur un territoire (hôpitaux publics/privés, cliniques, médecins libéraux, agences de santé). Le travail "en silo" est délétère.
Formation et Attractivité de la Profession :
- Il est crucial d'augmenter le nombre de terrains de stage en libéral et en établissements privés pour les étudiants en médecine (externes et internes). Cela permettrait de mieux les former aux réalités de l'exercice libéral et de l'ensemble du système de santé. "les stages de nos étudiants en libéral sont indispensables".
- La réforme de la première année de médecine (Numérus Apertus couplée à la réforme) est jugée "extrêmement délétaire", ayant conduit à des abandons importants (15-20% après la 2ème année) et potentiellement une sélection de profils moins adaptés.
- Les internes sont dans un état psychologique "extrêmement altéré".
- Il faut simplifier l'exercice médical pour le rendre plus attractif (auto-déclarations d'arrêt de travail, simplification des prescriptions de transport, etc.).
- La "financiarisation du système de santé" qui oriente l'activité vers ce qui est le plus facile et lucratif, au détriment des besoins de la population, est un problème identifié.
Mobilisation de Ressources Additionnelles :
- Réactiver la réserve médicale en proposant des stages cliniques annuels et un accès à la formation continue pour les médecins retraités volontaires.
- Créer un statut de "médecin retraité remplaçant" pour permettre une activité à temps très partiel sans pénalités financières liées aux charges de retraite active. L'actuel système incite à travailler à plein temps ou pas du tout en retraite active.
Coopération avec les Autres Professions de Santé :
- La coopération avec les autres professions de santé est une "évidence".
- Elle doit se faire dans le cadre d'un exercice protocolisé et coordonné par le médecin, pour garantir la sécurité des patients et éviter une "perte de chance". "il faut unir tout le monde autour des malades la seule chose qui nous importe c'est l'accès aux soins l'absence de perte de chance".
Pertinence des Soins et Prévention :
- La "pertinence des soins" est la "mère des batailles". Elle permet de libérer du temps médical et de générer des économies (environ 30% d'examens seraient non pertinents).
- La prévention est insuffisante et doit être développée, même si ses effets sont à plus long terme. L'exemple du faible taux de vaccination contre la grippe chez les professionnels de santé est cité.
- Régulation de la Médecine Esthétique et Autres Activités Non Essentielles :
- La fuite de médecins (généralistes et spécialistes comme les dermatologues) vers des "niches" comme la médecine esthétique est un problème majeur qui contribue aux difficultés d'accès aux soins. "c'est une plie pour la profession".
- Il est nécessaire d'encadrer la médecine esthétique (et potentiellement d'autres activités où le niveau de preuve scientifique est faible) pour garantir un équilibre entre l'activité "esthétique" et l'activité de "mission de soins".
- Une proposition évoquée est d'encadrer la "double activité" en exigeant que la deuxième activité soit minoritaire par rapport à la spécialité principale.
- L'argument est également avancé que l'interdiction totale de la médecine esthétique par des médecins entraînerait l'essor de praticiens non qualifiés ("fake injectors"), avec des complications sanitaires à la charge de la sécurité sociale. Il faut donc trouver un équilibre.
- La certification des médecins dans leurs différentes activités est une piste pour aborder cette régulation.
Gestion des Médecins Étrangers :
- Les médecins étrangers sont une ressource précieuse, mais il est crucial de maintenir des évaluations sérieuses de leurs compétences ("supprimer les EVC supprimer les PCC supprimer toutes les critères qui permettent de les évaluer est une mauvaise idée").
Propositions Concrètes Évoquées (parmi d'autres) :
- Création d'un observatoire de la démographie en médecine générale.
- Élargissement dans le temps de la mesure protégeant les patients du départ à la retraite de leur médecin traitant.
- Développement massif des assistants médicaux et infirmières en pratique avancée dans les cabinets médicaux.
- Développement des consultations avancées et médicobus dans les zones sous-dotées.
- Mise en place d'un statut de médecin retraité remplaçant et réactivation de la réserve médicale.
- Définition claire des territoires de santé pour l'organisation des soins.
- Intégration de la formation à la régulation et aux gardes dans le cursus universitaire.
- Augmentation des lieux de stage en libéral et privé pour les étudiants.
- Assouplissement des carrières et valorisation des acquis de l'expérience pour les secondes activités minoritaires.
- Encadrement de la médecine esthétique et potentiellement d'autres activités.
- Développement des équipes de soins spécialisés sur les territoires.
- Amélioration de la pertinence des soins.
- Renforcement de la prévention.
- Réflexion sur la carte hospitalière et la permanence des soins en établissement de santé.
Conclusion :
- Les auditions confirment la gravité de la crise d'accès aux soins, largement imputée aux politiques démographiques passées.
L'Ordre et les syndicats plaident pour une approche globale, incitative et basée sur la coopération territoriale pour y remédier. Ils soulignent l'importance cruciale d'investir dans les ressources humaines (médecins et collaborateurs) et de simplifier l'exercice pour le rendre plus attractif.
Le rejet des mesures coercitives est net, au profit de solutions basées sur la responsabilité collective et les incitations.
La nécessaire régulation de certaines activités médicales non essentielles est également un point de convergence fort.
Recommandations Potentielles pour la Commission :
- Appuyer la création d'un observatoire national précis de la démographie médicale par spécialité et mode d'exercice.
- Soutenir les mesures incitatives pour l'installation dans les zones sous-dotées (aides à l'installation, aides aux conjoints, consultations avancées, etc.).
- Promouvoir le développement des assistants médicaux et IPA, et la coopération entre professionnels de santé, en veillant à la coordination médicale.
- Explorer les propositions relatives à la mobilisation des médecins retraités et à la simplification de l'exercice.
- Soutenir l'encadrement de la double activité médicale (notamment la médecine esthétique) pour préserver l'activité de soins essentielle.
- Veiller à l'amélioration de la formation initiale et continue des médecins, y compris l'accès aux stages en libéral et privé.
- Intégrer la réflexion sur la pertinence des soins et la prévention dans les politiques de santé.
- Considérer l'approche territoriale comme le socle de l'organisation future du système de santé, en définissant clairement les besoins et les ressources à l'échelle locale.
- Ce document est une synthèse basée sur les extraits fournis et ne prétend pas couvrir l'intégralité des débats ou des positions des intervenants.