Note de Synthèse : Relations Police/Population en France – Constats 2024 et Évolutions
Source: Extraits de "https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/2025-06/ddd_EAD-2024_volume-1_relations-police-population.pdf" (Défenseur des droits, "Relations police/population : contrôles d’identité et dépôts de plainte", Juin 2025).
Introduction et Contexte
Le Défenseur des droits, en tant qu'organe externe de contrôle de la déontologie des forces de sécurité, a publié la deuxième édition de son enquête "Accès aux droits" (EAD 2024), actualisant une étude menée initialement en 2016.
L'objectif est d'approfondir la connaissance des atteintes aux droits, notamment en matière de déontologie des forces de sécurité et des relations police-population.
Cette publication se concentre sur trois aspects clés : l'expérience des contrôles d'identité, l'expérience du dépôt de plainte ou de main courante, et la confiance envers l'institution policière.
L'étude de 2016 avait déjà mis en évidence des relations généralement satisfaisantes, mais notait des expériences plus contrastées pour certains groupes sociaux, notamment les jeunes hommes perçus comme noirs, arabes ou maghrébins, qui subissaient des contrôles plus fréquents et souvent dégradés.
Ces expériences négatives étaient corrélées à une faible confiance envers les forces de sécurité.
Une recommandation clé du Défenseur des droits en 2016 était la mise en place d'une traçabilité des contrôles d'identité pour lutter contre les discriminations.
L'édition 2024, menée entre octobre 2024 et janvier 2025 auprès de 5 030 personnes représentatives de la population de France métropolitaine (18-79 ans), utilise une méthodologie comparable à 2016, mais enrichie de nouvelles thématiques (notamment sur le dépôt de plainte).
Elle intègre des variables sociodémographiques détaillées (âge, sexe, origine perçue, religion, orientation sexuelle, handicap) pour une analyse intersectionnelle des discriminations.
Thèmes Principaux et Idées Clés
1. L'Expérience des Contrôles d'Identité
Les contrôles d'identité sont un point de contact majeur entre la police et la population, avec environ 47 millions estimés en 2021.
Leur cadre juridique est jugé "complexe et flou", laissant une "large marge d'interprétation aux forces de sécurité, ouvrant la voie à des usages divers, et parfois controversés".
L'existence de discriminations dans ce cadre a été reconnue à plusieurs reprises par la justice.
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Augmentation significative de la fréquence des contrôles :La proportion de personnes ayant été contrôlées au moins une fois au cours des 5 dernières années est passée de 16 % en 2016 à 26 % en 2024, soit une augmentation de 63 %.
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Cette hausse touche toutes les catégories de population, y compris celles "auparavant peu contrôlées" : +81 % pour les cadres, +148 % pour les 55-64 ans, et +79 % pour les personnes perçues "comme blanches exclusivement".
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En 2024, les contrôles multiples (plusieurs fois sur les 5 dernières années) sont majoritaires (15 % de la population contre 11 % pour un contrôle unique).
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Modalités et justifications des contrôles :90 % des contrôles rapportés en 2024 ont impliqué une vérification des titres d'identité (contre 68 % en 2016).
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Cependant, une part significative des contrôles est "poussée" : 22 % ont fait l'objet d'une fouille, 11 % ont reçu l'ordre de quitter les lieux, 6 % ont été plaquées contre un mur ou une voiture et 3 % ont été emmenées au poste.
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Pour plus d’une personne contrôlée sur deux, le motif du contrôle n’est pas explicité par les forces de sécurité. Seules 42 % des personnes ayant subi un contrôle "poussé" ont bénéficié d'une justification.
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Comportements inappropriés :19 % des personnes contrôlées déclarent avoir été confrontées à des comportements inappropriés (tutoiement, provocation, insultes, brutalité), une proportion qui était de 28 % en 2016 (bien que les questions aient pu évoluer).
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14 % ont été tutoyées, 7 % provoquées ou insultées, et 7 % ont subi des comportements brutaux.
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Disparités socio-démographiques et discriminations :Les jeunes hommes perçus comme noirs, arabes ou maghrébins sont 4 fois plus à risque d’avoir été contrôlés que le reste de la population, et 12 fois plus à risque de faire l’objet d’un contrôle « poussé » (fouille, palpation, conduite au poste, injonction à quitter les lieux).
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Ils rapportent également plus fréquemment des comportements inappropriés : 30 % d'entre eux contre 15 % des personnes perçues comme blanches uniquement.
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Les personnes financièrement précaires (32 %) sont également plus contrôlées que celles à l'aise financièrement (22 %).
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Les personnes non hétérosexuelles ont 50 % de risque en plus d'être confrontées à des comportements inappropriés lors d'un contrôle d'identité.
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La "marge d’appréciation offerte par le droit actuel laisse les policiers et les gendarmes seuls avec leur propre instinct et leurs éventuels préjugés", ce qui "peut induire des comportements discriminatoires, volontaires ou non, et faire peser une suspicion sur l’ensemble des contrôles".
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Le manque de traçabilité des contrôles d'identité est un obstacle persistant à la preuve des discriminations et à l'effectivité du droit au recours.
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Réactions aux comportements inappropriés :Seules 8 % des personnes ayant subi des comportements inappropriés ont tenté de faire reconnaître la situation (via une association, avocat, Défenseur des droits, police/gendarmerie).
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La majorité (73 %) en a parlé à des proches.
2. L'Expérience du Dépôt de Plainte ou de Main Courante
Le dépôt de plainte est une autre modalité cruciale d'interaction avec les forces de sécurité.
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Fréquence et profil des plaignants :35 % des personnes interrogées se sont rendues dans un commissariat ou une gendarmerie pour déposer une plainte ou une main courante au cours des 5 dernières années.
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Les personnes en difficultés financières, en situation de handicap, ou atteintes de maladies chroniques ont une propension plus élevée à porter plainte.
Comportements non déontologiques lors du dépôt de plainte :21 % des personnes ayant souhaité déposer une plainte se sont heurtées à un refus, alors que le refus de dépôt de plainte est interdit par la loi (Article 15-3 du code de procédure pénale).
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Les refus de plainte touchent plus fréquemment les personnes en situation de handicap (37 %), celles portant un signe religieux (33 %), au chômage (30 %), résidant dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (30 %), ou perçues comme noires, arabes ou maghrébines (28 %).
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10 % des personnes ayant voulu déposer plainte rapportent des comportements inappropriés des forces de sécurité (tutoiement, insultes, humiliation, intimidation).
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Les personnes en situation de handicap ont un risque double d'être exposées à des comportements inappropriés lors d'un dépôt de plainte.
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Les jeunes (18-24 ans) et les personnes perçues comme non-blanches ont également un risque 80 % plus élevé d'y être confrontées.
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Expériences négatives multicontextuelles :Certains facteurs, comme l'origine perçue (noir, arabe, maghrébin), l'âge (jeunes 18-24 ans) et le chômage, surexposent aux comportements inappropriés "aussi bien lors d’un contrôle que lors d’un dépôt de plainte".
Cela "suggère l’existence de comportements discriminatoires car ciblés sur certains groupes sociaux plutôt que d’autres."
3. La Confiance en l'Institution Policière
La confiance se distingue en une confiance "diffuse" (missions générales de la police) et un soutien "spécifique" (évaluation basée sur des expériences concrètes).
L'enquête s'intéresse au soutien spécifique.
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Niveaux de confiance :50 % de la population se dit confiante ou rassurée en présence d'un policier ou d'un gendarme sur la voie publique.
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28 % sont indifférents et 22 % se sentent méfiants ou inquiets.
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Lien avec les expériences concrètes :La confiance est "étroitement liée" aux expériences vécues : 51 % des personnes ayant pu enregistrer leur plainte sans incident se déclarent confiantes, contre seulement 37 % de celles confrontées à un refus.
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59 % des personnes ayant vécu des discriminations lors d'un contrôle de police se sentent inquiètes ou méfiantes, contre 21 % de celles qui pensent que les discriminations existent mais ne les ont pas vécues personnellement, et 5 % de celles qui ne reconnaissent pas leur existence.
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Les personnes ayant fait l'expérience de comportements inappropriés (que ce soit lors d'un contrôle ou d'un dépôt de plainte) se déclarent plus fréquemment méfiantes ou inquiètes (respectivement 61 % et 51 %).
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Conséquences du manque de confiance :Le manque de confiance entraîne plus fréquemment une remise en question de la légitimité de l'intervention policière : 16 % des personnes méfiantes protestent lors d'un contrôle, contre 4 % des confiantes.
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Les personnes méfiantes sont plus nombreuses à percevoir le contrôle comme injustifié (59 % contre 18 % des confiantes).
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Une corrélation négative existe entre confiance et recours à la police : 21 % des personnes méfiantes déclarent ne pas avoir contacté les forces de sécurité par manque de confiance suite à une discrimination ou un harcèlement, contre 3 % des personnes confiantes.
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Cela crée une "dynamique délétère" qui "nourrit une défiance mutuelle lors des interactions police/population" et "peut conduire à une escalade des tensions en contexte d’intervention".
Conclusion Générale
L'enquête "Accès aux droits" de 2024 met en évidence une "dualisation des relations" entre les citoyens et les forces de sécurité en France.
Alors que l'expérience du contrôle d'identité s'est généralisée à une plus grande partie de la population, les modalités de ces interactions varient considérablement selon les caractéristiques sociales des individus.
Les catégories de population "traditionnellement" moins contrôlées (femmes, cadres, personnes âgées) sont désormais plus souvent contrôlées, mais généralement via des "simples contrôles d’identité, généralement ponctuels, courtois et perçus comme justifiés."
En revanche, pour les personnes perçues comme noires, arabes ou maghrébines, les jeunes, les hommes et les personnes précaires, on observe une persistance de contrôles plus fréquents, plus intrusifs ("poussés"), et accompagnés de comportements contraires à la déontologie.
Ces groupes sont également plus exposés aux refus de dépôt de plainte et aux comportements inappropriés lors de ces démarches.
Ces expériences négatives et discriminatoires ont un impact direct et significatif sur la confiance envers les forces de sécurité, conduisant à une méfiance accrue, une remise en question de la légitimité des actions policières, et une diminution du recours à la police.
L'étude souligne que cette "érosion de la confiance" peut "nourrir les crispations entre la population et les forces de sécurité et, in fine, peut conduire à une escalade des tensions en contexte d’intervention."
Le Défenseur des droits souhaite que ce rapport "favorise la réflexion pour établir des relations plus apaisées" entre la police et la population.