Voici un document de synthèse détaillé, reprenant les thèmes principaux et les idées clés de l'intervention d'Alain Depaulis, en incluant des citations et en français :
BRIEFING DOCUMENT : Analyse de la conférence "Comment penser (l')ensemble ?" d'Alain Depaulis
Source : Université Populaire Edgar Morin pour la Métamorphose - S01E05, 25 janvier 2025, Toulouse.
Intervenant : Alain Depaulis, Chercheur indépendant, psychothérapeute et psychanalyste, membre de l'école freudienne et du CIRET. Auteur de "Le complexe de Médée" et co-auteur de "Travailler ensemble, un défi pour le médico-social", "Complexité et altérité" et "L’agir pluridisciplinaire, Éthique et réflexivité".
Introduction
La conférence d'Alain Depaulis explore la question complexe du travail collectif et de la pensée conjointe, à travers le prisme de son expérience de terrain et de son engagement dans le champ médico-social.
L'objectif est de dépasser les cloisonnements disciplinaires pour atteindre une compréhension plus holistique des situations et favoriser le "mieux vivre ensemble". Depaulis s'appuie sur une analyse des obstacles au travail collectif pour proposer des pistes de réflexion et des outils concrets.
L'intervention est enrichie d'une analogie avec le processus de pacification en Afrique du Sud, mettant en lumière le rôle de la reconnaissance mutuelle, de l'éthique de la parole et de la réflexivité.
Thèmes Principaux et Idées Clés
Obstacles au travail collectif :
Hétérogénéité des positionnements : La diversité des corps de métier (médical, psychologique, social, etc.) rend difficile la conception d'un travail collectif cohérent. Méconnaissance mutuelle :
Chaque professionnel travaille dans son "pré carré", ignorant les impératifs, méthodes et contraintes de ses partenaires.
"Chacun travaille conduit par sa mission les impératifs de sa mission dans une ignorance complète de ce que sont les impératifs de ses partenaires".
Cloisonnement des services : Manque de communication, absence d'un langage commun, ce qui nuit notamment à la place de l'usager.
Passions humaines : Tendances à la certitude, à la maîtrise, rivalités entre services et professionnels, pervertissant les capacités professionnelles.
Contraintes extérieures : Contraintes économiques imposant une logique chiffrée, discours managérial imposant des protocoles, orientations politiques incohérentes, et enfin l'usager devient un "consommateur de service" ce qui modifie la relation.
La souffrance générée : L'absence de travail en commun peut générer de la souffrance chez l'enfant, ses parents et les professionnels eux-mêmes.
Le cheminement vers une pensée conjointe : De la question "Comment mieux travailler ensemble" à "Comment penser l'ensemble" : L'analyse institutionnelle du service a évolué d'une simple question pratique à une interrogation plus profonde sur la manière de penser au-delà des différences.
La clinique du partenariat : "Pour faire de la clinique en partenariat, il s'est trouvé inévitable à un moment de faire la clinique du partenariat".
Règles simples : Afin de pallier le manque de connaissance, l'équipe à mis en place une règle toute simple : celle de la rencontre physique avec les nouveaux partenaires, où chacun présente "les personnes, les formations, les statuts, les fonctions, les missions, les méthodologies et les contraintes".
Démarche transdisciplinaire : Mettre en pratique la transdisciplinarité au quotidien, soulignant les conditions permettant d'instaurer une dynamique transversale.
Plurict : L'association a crée un processus en 7 séances pour aider les équipes à réinterroger leur fonctionnement, en intégrant un espace d'auto-réflexion pour une amélioration collective.
Outils et principes pour la pensée collective :
Six axes critiques : L'analyse institutionnelle a mené à l'identification de six axes d'analyse, mis à l'épreuve dans divers contextes :
- État des lieux
- Objectif commun
- Permettre à l'usager d'être acteur
- Reconnaissance mutuelle
- Modalités de l'échange (éthique de la parole)
- Régulation des passions humaines (éthique et réflexivité).
Diagnostic en extension : Un outil pour mettre en commun des savoirs sans les dénaturer, en partant du principe que "chacun détient une part de la réalité complexe du sujet"
Deux principes de l'échange:Ne pas débattre : "Le premier principe de l'échange n'est pas de polémiquer... mais d'ouvrir un espace qui favorise la circulation des données".
Ne pas uniformiser : "Il consiste à chercher à ne pas unifier. Nous savons que la pratique de la synthèse conduit à l'amalgame, à la confusion et à la perte de singularité."
L'analyse pluridisciplinaire : Un document écrit où chaque expert expose son point de vue, ses acquis, ses doutes, la parole étant donnée à l'usager. Ce document devient un référentiel témoin de la vie du collectif, un "bien commun" permettant de dépasser le cloisonnement des expertises.
Vision en surplomb : L'analyse pluridisciplinaire offre une vision synchronique (instantanée) et diachronique (dynamique) permettant de prendre conscience du rôle de chacun, de ses actions et de leurs interdépendances.
Réflexivité :
Omniprésence de la réflexivité : "La réflexivité est la garantie de l'éthique". Présente dans le diagnostic en extension et dans les 6 axes, elle consiste à interroger notre propre façon d'agir, et pas seulement le contenu de l'échange.
Au-delà du "praticien réflexif" : Depaulis se distingue de l'approche du "praticien réflexif" à la mode, en s'inspirant de la tradition philosophique (Husserl, Habermas) et psychanalytique (Freud). "La réflexivité dont nous recommandons dans notre travail, elle a une autre source. On la trouve en particulier chez Husserl qui introduit le mot d'autoréflexion dans la philosophie".
Autoréflexion comme interrogation critique : Il s'agit d'interroger "toutes les illusions idéologiques, tous les errements dont on est victime" en s'inspirant de la psychanalyse où "le temps de la cure est une séance d'autoréflexion".
Réflexivité et pensée complexe : "La culture réflexive est, pour moi, indissociable de la pensée complexe, dans le sens où elle ne dissocie jamais l'acte de celui qui en est l'acteur dans son intime."
Réflexivité comme puissance d'agir : S'appuyant sur Paul Ricoeur, Depaulis souligne que la réflexivité permet "de recouvrer sa puissance d’agir, de penser, de sentir", puissance enfouie par les savoirs et les pratiques.
Analogie avec l'Afrique du Sud: Objectif commun malgré les divergences : De Klerk et Mandela avaient des objectifs politiques opposés, mais ils partageaient un objectif commun : sauver l'Afrique du Sud.
Reconnaissance mutuelle et dépassement de la haine : L'incarcération de Mandela lui a permis de "déposer sa haine" en apprenant la langue et la culture de ses adversaires, ainsi la reconnaissance était mutuelle.
Éthique de la parole : Lors des négociations, Mandela a affirmé sa position en accusant de Klerk de manquer de légitimité, démontrant la force d'une parole engagée.
Réflexivité : Mandela, par ses moments de distanciation et sa manière de prendre du recul, a su "se positionner au mieux par rapport à ses interlocuteurs"
Métamorphose : Malgré la complexité et les risques, l'expérience sud-africaine montre que l'aspiration à "penser ensemble" peut mener à une "métamorphose" collective.
Conclusion
La conférence d'Alain Depaulis offre une réflexion profonde sur les défis du travail collectif et la nécessité de développer une pensée conjointe.
En s'appuyant sur son expérience de terrain, il met en lumière les obstacles et les solutions possibles pour une véritable démarche transdisciplinaire.
La mise en pratique de la réflexivité, comprise non comme un outil de performance mais comme une interrogation philosophique, apparait comme la clé de voûte d'une pensée collective, qui favorise la reconnaissance de l'autre, le respect de la parole et l'acceptation des différences.
L'analogie avec le processus de pacification en Afrique du Sud illustre de manière poignante le potentiel d'une telle démarche pour une "métamorphose" collective.