Note d'Information : Masculinisme et Cybersexisme sur TikTok
Source : Extraits de l'audition "Association, chercheur et journaliste sur les contenus masculinistes & sexistes sur les plateformes"
Date de l'audition : 2025
Participants :
- Pierre Gau : Journaliste, réalisateur du documentaire "Masculins"
- Chanley Lemou McLaren : Activiste féministe, cofondatrice de l'association Stop Ficha
- Pauline Ferrari : Journaliste indépendante, auteure de "Formé à la haine des femmes comment les masculinistes infiltrent les réseaux sociaux"
- Tristan Duvernet : Doctorant en socio-anthropologie
Principaux Thèmes :
- TikTok comme catalyseur de la radicalisation masculiniste et sexiste :
Les intervenants s'accordent à dire que TikTok joue un rôle crucial dans la propagation des discours masculinistes et sexistes, servant souvent de "porte d'entrée" vers des communautés et des idées plus radicales.
L'algorithme de la plateforme est identifié comme un facteur clé favorisant cette radicalisation.
- L'architecture de TikTok encourage les interactions offensantes :
Plusieurs caractéristiques de la plateforme, telles que l'anonymat, le caractère éphémère des interactions, l'asymétrie d'exposition (streamers visibles, audience non visible) et la distance physique, contribuent à déréguler les mécanismes d'autorégulation sociale et encouragent les comportements offensants et violents.
- La monétisation de l'attention et des conflits :
Le modèle économique de TikTok, basé sur l'économie de l'attention, incite à la production de contenus spectaculaires, clivants et offensants pour générer de la visibilité et de l'engagement, ce qui se traduit par des profits pour la plateforme et les créateurs. Les "clashs" et les "punchlines" sont récompensés par l'audience via des "cadeaux" monétisés.
- Le cybersexisme et les cyberviolences basées sur le genre :
Les femmes et les filles sont touchées de manière disproportionnée par les cyberviolences.
L'association Stop Ficha documente une explosion de comptes diffusant des contenus intimes sans consentement (Ficha) et observe une misogynie constante et une représentation toxique des femmes sur la plateforme.
- L'influence des influenceurs masculinistes :
Des figures comme Alexis Chens, Bassem et Nasdas sont citées comme des exemples d'influenceurs promouvant le masculinisme et le sexisme, touchant particulièrement un public jeune et contribuant à banaliser les propos misogynes.
- Le lien entre masculinisme, extrême droite et antisémitisme :
Un chevauchement est observé entre les discours masculinistes et ceux de l'extrême droite, où les arguments sur le genre sont utilisés pour attirer les jeunes vers des idéologies radicales.
Des contenus antisémites utilisant l'architecture de TikTok ont également été signalés.
- Les lacunes de la modération et du signalement :
Bien que TikTok dispose de mécanismes de signalement et de partenariats de confiance avec des associations, la modération est jugée insuffisante pour les utilisateurs standards.
Les signalements de contenus offensants ou illégaux ne débouchent pas toujours sur une suppression, et le signalement des "lives" ou des messages privés pose des problèmes techniques.
- L'importance de la prévention et de l'éducation :
Au-delà de la régulation des plateformes, la sensibilisation des jeunes, des parents, des éducateurs et des forces de l'ordre est jugée essentielle pour lutter contre le cybersexisme et la radicalisation en ligne.
Idées et Faits les Plus Importants :
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TikTok comme "porte d'entrée" : "ces réseaux sociaux et donc TikTok étaient une porte d'entrée du discours masculiniste vers un discours qui était beaucoup plus radical après sur des communautés privées." (Pierre Gau)
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Stratégie des influenceurs : Les influenceurs utilisent des sujets comme la musculation, la séduction, le lifestyle pour attirer une audience qui est ensuite dirigée vers des contenus plus radicaux et des communautés privées payantes.
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Disproportion des cyberviolences : "60 % des femmes ont déclaré avoir été victimes de violence en ligne et elles sont 27 fois plus susceptible d'être harcelé en ligne que les hommes." (Chanley Lemou McLaren)
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Architecture de la misogynie en ligne :
Le cybersexisme est structurel, lié aux algorithmes sexistes, au manque de modération et à la sous-représentation des femmes dans la tech.
- Le rĂ´le de l'algorithme :
"quand on crée un compte sur TikTok à partir de centre d'intérêt divers on se retrouve à force de scroll à tomber sur des contenus de plus en plus extrêmes et de plus en plus radicaux." (Pauline Ferrari)
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Rapidité de l'exposition aux contenus masculinistes : Des jeunes hommes sont confrontés à des contenus masculinistes "en moins de 20 minutes". (Pauline Ferrari, citant une étude)
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Incidence dans la vie hors ligne :
Les discours masculinistes en ligne ont des conséquences concrètes, comme des projets d'attentats.
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TikTok favorise les représentations sexistes : Une étude du HCE a montré "à quel point TikTok favorisait en fait les représentations extrêmement sexistes des femmes". (Pauline Ferrari)
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La dérégulation des interactions : Le contexte numérique de TikTok "fait tomber certaines modalités de régulation des offenses" présentes dans les interactions ordinaires. (Tristan Duvernet)
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La visibilité comme moteur : La plateforme "fait du gain de visibilité un moteur central des conversations qui sont produites publiquement". (Tristan Duvernet)
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Le "combat conversationnel" : Les interactions sur TikTok Live peuvent prendre la forme d'un "combat conversationnel" où les participants s'affrontent par "une surenchère d'offense" pour générer du spectacle. (Tristan Duvernet)
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La monétisation des propos offensants : "les phrases choc finalement dans ce dans ce live les punchline... elles sont récompensées par des cadeaux". (Tristan Duvernet)
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L'âge des jeunes radicalisés : Dans les communautés privées, les jeunes hommes adhérents avaient souvent entre 15 et 21 ans. (Pierre Gau)
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Le "marchand de misère" : Expression utilisée pour désigner les influenceurs masculinistes qui exploitent le mal-être des jeunes hommes pour faire un business. (Pierre Gau, citant Stéphanie Lamier)
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L'impunité grandissante : De nombreuses personnes publient des propos misogynes et extrémistes "à visage complètement découvert" sur des plateformes mainstream, constatant une "très grande impunité". (Chanley Lemou McLaren)
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Le continuum en ligne/hors ligne : Les cyberviolences en ligne se conjuguent souvent avec des violences physiques dans la vie réelle. (Chanley Lemou McLaren)
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La romantisation du masculinisme : L'utilisation de musiques "patriotiques" ou "warrior" contribue à glamouriser les contenus extrémistes et à attirer les jeunes. (Chanley Lemou McLaren)
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Les lacunes de la justice et de la police numérique : Le manque de moyens et de formation des forces de l'ordre et de la magistrature limite la réponse judiciaire face aux cyberviolences. (Chanley Lemou McLaren)
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La relation entre masculinisme et extrême droite/antisémitisme : "tous les influenceurs d'extrême droite portent en eux une vision stéréotypée et masculiniste des rôles genrés." (Pauline Ferrari)
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Le business des influenceurs masculinistes : Ils vendent des ebooks, des formations, des programmes de coaching, voire des stages, et reproduisent des modèles basés sur l'exploitation, comme celui d'Andrew Tate. (Pauline Ferrari)
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Utilisation de TikTok comme vitrine pour Telegram : Des comptes Ficha sur TikTok redirigent vers des chaînes Telegram payantes pour accéder à du contenu intime exclusif. (Chanley Lemou McLaren)
Recommandations suggérées par les intervenants (en réponse aux questions) :
- Diminuer le poids de la visibilité (likes, compteurs d'audience) dans l'algorithme et l'architecture de TikTok.
- Rétablir des mécanismes de contrôle social en ligne, potentiellement en rendant les relations plus durables, en créant une symétrie d'exposition ou en renforçant le lien entre identités numériques et hors ligne.
- Lutter contre l'impunité en améliorant le signalement et le traitement des contenus illégaux, notamment pour les lives et les messages privés.
- Accroître la transparence de TikTok sur ses politiques de modération, le nombre de modérateurs francophones et les résultats des signalements.
- Investir massivement dans les moyens de la police numérique et de la justice pour traiter les cyberviolences.
- Renforcer les programmes de prévention et d'éducation aux médias et à l'information dans les établissements scolaires et auprès des familles.
- Former les professionnels (éducateurs, forces de l'ordre, magistrats) aux enjeux du cybersexisme et des cyberviolences.
- Utiliser des cadres législatifs comme le DSA et la loi Seraine comme bases pour une régulation plus efficace des plateformes.
Conclusion :
L'audition met en lumière le rôle préoccupant de TikTok dans la propagation des discours masculinistes et sexistes, amplifié par son architecture et son modèle économique.
Les conséquences de cette diffusion sont tangibles, allant de la banalisation de la misogynie à des projets d'attentats.
Les intervenants soulignent les lacunes de la modération de la plateforme et le manque de moyens de la réponse institutionnelle française, tout en proposant des pistes d'action axées sur la régulation, le contrôle social en ligne et surtout la prévention et l'éducation.