291 Matching Annotations
  1. Jan 2022
    1. Ceux qui étaient plus graves imitaient les belles actions et celles des gens d'un beau caractère; ceux qui étaient plus vulgaires, les actions des hommes inférieurs,

      Comme Socrate (platonicien) : c'est ainsi que cela doit être.

    2. il arrive que cette contemplation nous instruit et nous fait raisonner sur la nature de chaque chose,

      Ici, Aristote se distingue de Platon/Socrate puisqu'il défend que la littérature (et les arts vivants, comme le théâtre) peut être un outil à l'apprentissage et à la réflexion, voire à la réflexion d'ordre philosophique. Il propose, en somme, de voir la poésie en tant que domaine d'apprentissage qui procure de lui-même du plaisir.

    3. Cela tient à ce que le fait d'apprendre est tout ce qu'il y a de plus agréable non seulement pour les philosophes, mais encore tout autant pour les autres hommes

      Il y a, alors, une notion de plaisir à ajouter au fait d'apprendre. Cela ressemble à l'épicurisme (morale basée sur la notion de plaisir) en ce sens que l'on devrait vouloir apprendre (notamment) parce qu'apprendre procure du plaisir -- i.e. il est moralement bien d'apprendre.

    4. nature humaine dès l'enfance; et ce qui fait différer l'homme d'avec les autres animaux, c'est qu'il en est le plus enclin à l'imitation

      Mais cela est-il, réellement, inhérent exclusivement à la nature humaine que d'apprendre en imitant ? (Non) Cependant, Aristote nous dit qu'il y a ce trait propre à l'être humain (c'est dans sa nature) qui permet de faire une différenciation entre êtres humains et animaux non-humains. Ainsi, l'apprentissage par l'imitation n'est pas suffisant pour expliquer la naissance de la tragédie [pour reprendre Nietzsche].

    5. quel est le rôle de chacune d'elles et comment on doit constituer les fables (01) pour que la poésie soit bonne

      Il y a différentes sortes de poésies : c'est-à-dire, selon Aristote, qu'elles se différencient selon leur rôle. C'est, ensuite, à partir de cela (le rôle de chacune) que l'on peut les évaluer. "Bonne" = de bon goût ? ou ; "Bonne" = bien/bonté ?

  2. Dec 2019
    1. déliquescence.2

      En français, l’appel de notes s’insère avant la ponctuation (vous le faites à certains endroits, à d’autres non; li faudrait être cohérent(e)!)

      Si je fais des remarques aussi stupides, c’est parce que je dois éditer des centaines de textes mal typographiés – aussi bien le dire à mes camarades (qui publieront demain) dès aujourd’hui!

    1. .7

      C’est mineur, mais en français, l’appel de notes s’insère avant la ponctuation.

      (Si je fais chier avec des remarques aussi stupides, c’est parce que je dois traiter des centaines de textes mal typographiés – aussi bien le dire à mes camarades dès aujourd’hui!)

    2. ´

      Faites gaffe, vous avez tapé des « forward-tick » (l'équivalent de l'accent aigu, sans la lettre en-dessous) partout au lieu de l’apostrophe!

      Je vous enjoins rapidement de trouver le bon caractère (l’apostrophe) sur votre clavier!

    1. la littérature et la philosophie comme sources de vie

      En pleine contradiction avec votre conclusion!

      Vous concluez que l'intérêt pour la philo et la littérature naît de l'amour pour la vie, alors que vous titrez que la philo et la littérature sont des « sources de vie »!

      Autrement dit :<br> dans le titre, la vie a deux sources, soit la littérature et la philosophie;<br> dans la conclusion, la littérature et la philosophie ont comme source l'amour pour la vie!

    2. son intérêt pour la philosophie et son intérêt pour la littérature naissent du même amour inépuisable qu’elle a pour la vie.

      L'argument mériterait d'être appuyé!

      Schématiquement, ça donne ça :

      1. (prémisse) amour pour la vie
      2. → (donc) intérêt pour la philo + intérêt pour la littérature

      Logiquement :

      • V : amour pour la Vie
      • P : amour pour la Philosophie
      • L : amour pour la Littérature
      V → (P & L) (hypothèse)
      V. (prémisse)
      ---
      P & L (conclusion)
      

      Certes, Beauvoir mentionne à plusieurs moments des triades concernant notamm. l'écriture, l'amour et la vie, mais cette conclusion me paraît vraiment hâtive!

    3. Elle est libre de choisir son avenir, de devenir une intellectuelle

      Oui et non! Je ne pense pas qu'elle était si « libre » que vous le laissez entendre – d'autant plus que la mère de Beauvoir était beaucoup moins coopérative que le père, sans compter le contexte social dans lequel elle se situait!

    4. mariage arrangé

      Un « mariage arrangé », vraiment?

      Certes, les femmes se marient vite et tôt, mais je confronterais cette réalité avec celle des « vrais » mariages arrangés (par exemple, d'adolescentes de 14 ans avec un homme plus âgé qu'elles n'ont jamais vu, choisi par les parents…)

    1. Si les divinités sont vides et fumeuses, c’est que la philosophie l’est aussi

      Drôle d'argument (implication logique) :

      Si les divinités sont vides et fumeuses, alors la philosophie l'est aussi.

      A → B (hypothèse)
      A. (prémisse)
      ---
      B. (conclusion)
      

      Drôle d'hypothèse!

    2. Il y a une critique de la culture contemporaine car elle corrompt les jeunes et le peuple,

      car qui corrompt les jeunes – la critique ou la culture? (ambiguïté syntaxique, même si le lecteur comprendra)

    1. et le fait que sa structure interne l’oblige à parler d’éléments contingents

      j'imagine que c'est ça, le « deuxième défaut majeur »?

      Il devrait être introduit avec la même structure que le premier!

    2. qui semble a priori fausse, vraisemblable

      fausse et vraisemblable ne sont pas synonymes! Il manquerait un marqueur de liaison ou un connecteur logique (ex. « fausse, bien que vraisemblable »)

    3. [1].

      Ce n'est pas ainsi que l'on fait les citations!

      D'abord, il faudrait citer sémantiquement avec la clef (ex. @brisson_1982) et non simplement recopier du texte en note de bas de page – mais les tutoriels de Marcello ne sont pas clairs 🙃

      Ensuite, pour appeler une note de bas de page, la syntaxe est la suivante (avec le ^):

      [^1]
      
      ...
      
      [^1]: Ma note de bas de page
      
    1. Ainsi, la philosophie est représentée comme une pensée figée, unificatrice et abstraite (elle ne construit pas), alors que la littérature saisit la vie, est pensée mouvante, potentielle, infinie - elle fait quelque chose

      Ce paragraphe a la qualité d'être très clair et très agréable à lire!

    2. saisir la sensibilité et la vie, là où la philosophie n’a nul pouvoir

      « nul pouvoir » : ça me paraît fort comme conclusion finale, mais c'est probablement juste!

      (la philosophie, prétendue reine de toutes les disciplines, serait attristée d'apprendre qu'il est un lieu où elle n'a aucun pouvoir… snif)

    1. l’imaginaire, en littérature, a le pouvoir de construire le réel, et c’est cela qui constitue la plus grande qualité de l’écriture qui, en répondant à sa propre logique matérielle et non à des idées abstraites extérieures à elle-même, se dote d’un pouvoir créateur.

      Je trouve ce passage très juste, et dont le propos est très pertinent!

    1. C’est possible, on peut en douter, c’est dogmatique.

      Je trouve ta façon de faire de la philosophie peu rigoureuse.

      « Possible, dogmatique »?

      WTF? As-tu quelque chose pour appuyer l'introduction d'une telle contradiction?

    2. l’antipode de l’entreprise symboliste, qui revendique et légitimise l’inverse de ce paradigme

      Selon qui? Selon le symbolisme? Qui donc revendique ce genre de chose et peut parler au nom du symbolisme?

    3. « les modalités du dialogue artistique dans la période de Mallarmé et Debussy [qui] visaient à maintenir l’indépendance entre poésie et musique »1

      Il manque un point à la phrase.

      Aussi, la référence pourrait être citée directement (sans note de bas de page)

    4. C’est un motif très répandu parmi le symbolisme de s’élever au-dessus des masses.

      Cette formulation est problématique :

      parmi le symbolisme

      non, plutôt : « parmi les symbolistes »

    1. – Un sujet très répandue au XVIII : lier la vertu et le bonheur (d’ ailleurs un sujet qui a été traité assez profondément par Aristote dans l’ Éthique à Nicomaque)

      – Le périple de Candide est constitué d´un grand catalogue de mésaventures . Une encyclopédie du mal serait plutôt dans les trois versions de la Justine de D.A.F. de Sade

      – La philosophie de l´optimisme de Pangloss est expérimenté par Candide. (La connaissance au XVIII se fait par l’ observation et par l’ expérience)

      – Sur le mal. Voltaire vs Leibniz. Voir: SUSAN NEIMAN. Evil in modern thought : an alternative history of philosophy. Princeton, N.J. : Princeton University Press, 2002.

      • Premier manuel des règles de l´art poétique.
      • La poésie est de l´imitation.
      • C´est l´objet imité qui définit le genre de poésie.
      • Mise en scène : tragédie et comédie
      • L´imitation d´une action = fable
      • La tragédie porte sur l´action des personnages représentant des êtres meilleurs (la noblesse, les dieux) dont l´histoire est grave. Une narration dont le but est de susciter de la pitié et de l´terreur qui entraînent la purgation des passions.
      • La comédie, sur des êtres pires (tous ceux qui ne sont ni nobles ni dieux) faire rire par l´exposition du ridicule.
      • Par rapport à l´étendue : Une action parfaite : début + milieu + fin
      • La poésie porte sur les généralités, l´histoire sur des détails.
      • Il faut que les généralités mises en action par la poésie soient vraisemblables ou nécessaires dans le contexte d´une fable donnée.
      • Une mauvaise fable est composée d´épisodes, c´est-à-dire de façon non enchaînée, (sans considérer ni la vraisemblance ni la nécessité)
      • Action complexe : construite par péripétie suivie de reconnaissance qui résultent dans un évènement pathétique
      • Une péripétie : passage enchaîné d´un état à un autre état (celui-ci opposé au premier) pour causer de la pitié et de la terreur. (renversement de la condition d´un ou de plusieurs personnages). Fondamental pour une bonne tragédie.
      • Évènement pathétique (souffrance d´un ou plusieurs personnages)
      • Une fable parfaite : une imitation d´actions des êtres meilleurs, qui par une grave erreur ont leur vie changée (du bonheur au malheur) dans le but de promouvoir les sentiments de pitié et de terreur au public.
      • Cohérence : les mœurs s´accordent aux êtres imités. Dans la tragédie, des êtres meilleurs ont de bonnes mœurs. Dans la comédie, des êtres pires, ont des mauvaises mœurs
      • Formes d´arriver à la reconnaissance : par signes, par souvenir, créée par le poète, tirée d´un raisonnement, par l´enchaînement des faits
      • Dans une fable, les impossibilités vraisemblables sont préférables aux possibilités improbables
    1. Corrompre les jeunes > que Socrate fait, comme les sophistes est de mettre en question les valeurs. Les sophistes avaient l’idée que tout est argumentable. Pour Socrate « je ne sais pas ce qui est vraie, cherchons-le-nous ensemble », donc il met en question les valeurs majoritaires et traditionnels.

      • L´imitation est toujours faillible. Selon les degrés de rapport avec l´idéal, l´art occupe la dernière place.
      • L´imitation amène à l´illusion et finalement, à la tromperie
      • La poésie est agréable, dangereuse et elle suscite des passions.
      • L´homme sage ne se laisse pas emporter par les passions.
      • Caricature des philosophes, des dieux
      • Il est absurde et inutile d´étudier la philosophie parce qu´elle ne sert à rien d´utile. Ce que Sokratès de Mêlos, et Khæréphôn connaissent n´a pas d´importance.
      • Si on laisse aux philosophes de discuter de la justice, on met les traditions en danger. Si les traditions, les dieux, la famille, la justice l´est aussi; car, l´unique justice possible est celle des dieux.
      • La philosophie et le sophisme sont en fait la même chose. L´étude de la philosophie n´est rien de plus que l´étude la rhétorique. L´art de bien parler pour apprendre à tromper les autres. Ainsi, le discours, comme métaphore de la philosophie, peut tout mettre en question et élaborer une pensée détournée . Donc, par la philosophie, il est impossible d´arriver à la justice
    1. Les Nuées sont des divinités d’une pensée progressiste > Par exemple, elles disent que les dieux traditionnels n’existent pas. Aristophane met en questions des choses religieuses. Il aussi est en danger par rapport aux valeurs traditionnels > Aussi Simone de Buvoir critique l’irrationnel de la société bourgeoise.

    2. rès adroitement. Il a fait fondre de la cire, puis il a pris la puce, et il lui a trempé les pattes dedans. La cire refroidie a fait à la puce des souliers persiques ; en les déchaussant, il a mesuré l’espace.

      La recherche philosophique qui ne porte à rien > s’interroger sur combien saute la puce, est une question que ne porte à rien. Mais aussi aujourd’hui est présent > on croit qu’est inutile.

      Paradoxe de la critique des valeurs traditionnels > quelle est la frontière de la capacité de mettre tout en question et d’avoir encore des valeurs. Aristophane voit à quel point la pensée critique peut devenir un danger parce qu’elle nous laisse sans appuis.

    1. conciliait tout

      Satisfaction d'atteindre une globalité, une compatibilité universelle.

      (Son alliance avec Sartre est d'ailleurs une autre manifestation de sa « conciliation » : partager la vie d'un homme en préservant toute l'émancipation sexuelle, en-dehors de l'institution religieuse et dogmatique du mariage).

    2. C’est que je venais de faire une cuisante découverte : cette belle histoire qui était ma vie, elle devenait fausse au fur et à mesure que je me la racontais.

      Le passage est en écho à celui-ci (p. 222) :

      Ma vie serait une belle histoire qui <mark>deviendrait vraie au fur et à mesure que je me la raconterais</mark>.

      Oups! Beauvoir se rend compte (avec lucidité, en rétrospective) de la fiction qu’elle écrivait!

    3. Mystère et mensonge des journaux intimes

      Beauvoir écrit un roman autobiographique, censé refléter sa fidèlement sa vie (écriture et vie réelle débordent sans cesse l’un sur l’autre).

      Beauvoir ayant consigné beaucoup de carnets de jeunesse, on pourrait penser que ceux-ci préfiguraient à l’écriture des Mémoires (autobiographiques); or, « ces journaux intimes ne disent pas tous la vérité<sup>1</sup>! »


      1. Golay, Annabelle Martin. Beauvoir intime et politique: La fabrique des Mémoires. Presses Universitaires du Septentrion, 2017, p. 141.
    4. J’avais toujours préféré la réalité aux mirages

      Affinité de Beauvoir pour la vérité (« réalité ») par opposition aux mirages, à l’illusion (à la fiction? quel rapport à la littérature dans ce cas? est-ce que la littérature chez Beauvoir, sans refuser la fiction, doit d’abord se subordonner à la réalité? le roman autobiographique en serait un exemple assez tangible…)

    5. Mais quelque chose finissait.

      Beauvoir ne veut pas d’une existence cul-de-sac (c’était le cas par exemple avec Jacques, avec lequel elle deviendrait « Mme Languillon »).

      Si quelque chose doit finir, elle doit s’en détacher (par exemple, se marier et devenir la femme de quelqu’un sans rien de plus); elle souhaite progresser à l’infini.

    6. Il ne s’enracinerait nulle part, il ne s’encombrerait d’aucune possession : non pour se garder vainement disponible, mais afin de témoigner de tout.

      Le non-enracinement laisse libre cours à la liberté (et ne force pas la contingence à s’installer dans quelque particularisme – Sartre peut déployer sa pensée partout dans le monde, et pas seulement là où il ferait pousser ses racines).

    7. L’œuvre d’art, l’œuvre littéraire était à ses yeux une fin absolue ; elle portait en soi sa raison d’être

      Existentialisme de l’œuvre d’art (notamment littéraire), d’où une certaine nécessité de l’art (comme source de vérité, comme révélation).

      C’est aussi, paradoxalement, quelque chose de fini (c’est la « fin absolue »); le constat est surtout paradoxal lorsque confronté à son pendant religieux (la fin ultime comme Dieu). La connotation est aussi théologique que philosophique.

    8. la contingence n’était pas une notion abstraite, mais une dimension réelle du monde : il fallait utiliser toutes les ressources de l’art pour rendre sensible au cœur cette secrète « faiblesse » qu’il apercevait dans l’homme et dans les choses

      Sartre, contrairement à d’autres philosophes (qui refusent la contingence par opposition à la nécessité), s’intéresse aux potentialités de ce qui est contingent (caractéristique essentielle de l’art), et notamment pour « rendre sensible » (Hume prêchait en ce sens avec la sympathie).

    9. il paraissait vivre ailleurs que dans les livres

      Beauvoir, obsédée par la littérature, reproche aux hommes (comme Sartre) de « vivre dans les livres », de manière détachée de la réalité.

      Cette forme d’existentialismeparaître vivre ailleurs que dans les livres ») que Beauvoir relève chez Herbaud, semble être une qualité.

    1. p.126 > incapacité d’articuler le spectacle de l’Aleph - l’incapacité de le représenter à l’aide du langage. En essayant de décrire Aleph, Borges répète la phrase «J'ai vu» plusieurs fois en un seul paragraphe, comme si, à travers l'anaphore et l'accumulation de détails, il pouvait capturer l'émerveillement d'Aleph et confirmer ainsi la véracité de son expérience.

  3. Nov 2019
    1. Je revenais à mon livre, à la philosophie, à l’amour.

      Triangle de la vie de Beauvoir : livre (écrire), philosophie (penser), amour (aimer…)

      Sa vie tourne autour de ces trois pôles.

    2. Pour Jacques, se marier, c’était décidément faire une fin et moi je ne voulais pas en finir

      Beauvoir ne veut pas « finir » sa vie comme « simple femme », (la « future Mme Languillon, p. 305).

      Beauvoir veut pouvoir progresser (peut-être à l’infini, sans bornes), et c’est pourquoi elle veut un mari « plus parfait » qu’elle (comme Sartre, qu’elle admire).

    3. Je continuai à subordonner les questions sociales à [Page 312]la métaphysique et à la morale : à quoi bon se soucier du bonheur de l’humanité, si elle n’avait pas de raison d’être ?

      Les questions sociales et la politique sont inférieures à la « métaphysique et la morale » (autrement dit, la philosophie).

      philosophie > politique
      

      Beauvoir lance ici une question existentialiste« à quoi bon se soucier du bonheur de l’humanité, si elle n’avait pas besoin d’être? »

    4. La philosophie avait fortifié ma tendance à saisir les choses dans leur essence, à la racine, sous l’aspect de la totalité ; et comme je me mouvais parmi des abstractions, je croyais avoir découvert, de façon décisive, la vérité du monde.

      Beauvoir explicite l’influence de la philosophie sur sa manière d’avoir une « saisie » sur le monde, dans les termes de la philosophie (« essence », « racine », « totalité », « abstractions »).

      L’aboutissement de ce constat, celui de « croire avoir découvert, de façon décisive, les <mark>vérités du monde</mark> », demeure rhétorique (elle » croit », mais n’en a pas la certitude; oxymore avec « façon décisive »…)

    5. Je partageais la révérence qu’inspirait à mes parents le papier imprimé : à travers le récit que me lisait Louise, je me sentis un personnage ; peu à peu cependant, la gêne me gagna. « La pauvre Louise pleurait souvent amèrement en regrettant ses brebis », avait écrit ma tante. Louise ne pleurait jamais ; elle ne possédait pas de brebis, elle m’aimait : et comment peut-on comparer une petite fille [Page 20]à des moutons ? Je soupçonnai ce jour-là que la littérature ne soutient avec la vérité que d’incertains rapports.

      Surgit aussi très tôt la question du rapport entre littérature et vérité; + L'écriture, encore une fois, est tenue en haute estime.

    6. Un soir, devant un ami de mon père, je repoussai avec entêtement une assiette de salade cuite ; sur une carte postale envoyée pendant les vacances, il demanda avec esprit : « Simone aime-t-elle toujours la salade cuite ? » L’écriture avait à mes yeux plus de prestige encore que la parole : j’exultai.

      Il y a à ses yeux un certain prestige dans l'écriture que la parole n'a pas

    7. Sa perfection excluait sa réalité.

      <mark>KANT : l’existence n’est pas un prédicat réel</mark> (exister n’ajoute ni n’enlève rien au concept – l’existence ou non des licornes ne change rien à la définition d’une licorne – in your face, Descartes).

      L’existence n’est donc pas une qualité (on peut l’exclure de la définition de l’être parfait, Dieu).

    8. J’avais imaginé que la loi morale tenait de lui sa nécessité : mais elle s’était si profondément gravée en moi qu’elle demeura intacte après [Page 183]sa suppression. Loin que ma mère dût son autorité à un pouvoir surnaturel, c’est mon respect qui donnait un caractère sacré à ses décrets.

      Kant!

    9. Ce qui m’attira surtout dans la philosophie, c’est que je pensais qu’elle allait droit à l’essentiel. Je n’avais jamais eu le goût du détail ; je percevais le sens global des choses plutôt que leurs singularités, et j’aimais mieux comprendre que voir ; j’avais toujours souhaité connaître *tout* ; la philosophie me permettrait d’assouvir ce désir, car c’est la totalité du réel qu’elle visait ; elle s’installait tout de suite en son cœur et me découvrait, au lieu d’un décevant tourbillon de faits ou de lois empiriques, un ordre, une raison, une nécessité. Sciences, littérature, toutes les autres disciplines me parurent des parentes pauvres.

      Beauvoir touche à la philosophie, à son essence et à l’affinité qu’elle éprouve vis-à-vis d’elle :

      • sens global
      • comprendre
      • totalité du réel
      • ordre, raison, nécessité
    10. Quand mon cavalier me serrait dans ses bras et m’appliquait contre sa poitrine, j’éprouvais une impression bizarre, qui ressemblait à un vertige d’estomac, mais que j’oubliais moins facilement. Rentrée à la maison, je me jetais dans le fauteuil de cuir, hébétée par une langueur qui n’avait pas de nom et qui me donnait envie de pleurer. Je pris prétexte de mon travail pour suspendre ces séances.

      Beauvoir éprouve un grand malaise vis-à-vis des rapports corporels (avec contact direct, comme en danse).

    11. transfigura

      Curieux terme : il y a quelque chose de gadamérien (cf. Hans Georg Gadamer) dans cette idée de « transfiguration ».

      L’Art pour Gadamer a cette propriété de justement « transfigurer » le spectateur, qui entre en dialogue avec l’Œuvre d’art (ne se contentant pas simplement de la regarder passivement); l’Œuvre « transforme » le spectateur, ou quelque chose de plus : elle le « transfigure ».

    12. Je n’étais pas féministe dans la mesure où je ne me souciais pas de politique : le droit de vote, je m’en fichais. Mais à mes yeux, hommes et femmes étaient au même titre des personnes et j’exigeais entre eux une exacte réciprocité. L’attitude de mon père à l’égard du « beau sexe » me blessait. Dans l’ensemble, la frivolité des liaisons, des amours, des adultères bourgeois m’écœurait.

      Beauvoir formule ici les limites de sa propre « attitude féministe ». Elle ne se revendique pas d’un féminisme politique, mais d’une simple réciprocité des deux sexes l’un vis-à-vis de l’autre.

    13. Quelquefois, je pensais que les forces allaient me manquer et que je me résignerais à redevenir comme les autres.

      Beauvoir semble être dans un jeu d’« élitisme » constant, tentant de se distinguer de la masse populaire (par le bien-parler, par les idées, par la pratique assidue de la lecture, etc.).

      Elle souhaite ne pas être ordinaire, ce qui demande un effort constant (qu’elle redoute de perdre).

    14. entre moi et les âmes sœurs qui existaient quelque part, hors d’atteinte, ils créaient une sorte de communion

      Beauvoir témoigne d’un dialogisme par la littérature.

      Souvent seule dans ses lectures, elle trouve une résonance discursive à travers la littérature (avec d’autres « âmes sœurs »).

    15. Je m’abîmai dans la lecture comme autrefois dans la prière. La littérature prit dans mon existence la place qu’y avait occupée la religion : elle l’envahit tout entière, et la transfigura. Les livres que j’aimais devinrent une Bible où je puisais des conseils et des secours ; j’en copiai de longs extraits ; j’appris par cœur de nouveaux cantiques et de nouvelles litanies, des psaumes, des proverbes, des prophéties et je sanctifiai toutes les circonstances de ma vie en me récitant ces textes sacrés. Mes émotions, mes larmes, mes espoirs n’en étaient pas moins sincères ; les mots et les cadences, les vers, les versets ne me servaient pas à feindre : mais ils sauvaient du silence toutes ces intimes aventures dont je ne pouvais parler à personne ; entre moi et les âmes sœurs qui existaient quelque part, hors d’atteinte, ils créaient une sorte de communion ; au lieu de vivre ma petite histoire particulière, je participais à une grande épopée spirituelle. Pendant des mois je me nourris de littérature : mais c’était alors la seule réalité à laquelle il me fût possible d’accéder.

      Dans ce passage, c'est la lecture et la littérature qui sauvent Beauvoir.

      Le rôle « spirituel » et « total » de la religion est remplacé par la littérature.

      La métaphore religieuse est employée partout pour rendre compte d'une correspondance entre littérature et religion.

      « Réalité » : la littérature est une forme du « réel » pour Beauvoir; elle comporte une forme d'accès au réel, voire d’accès à la connaissance (fonction épistémologique).

    16. Je voulais qu’on jouât sérieusement

      Le jeu, comme le souligne l'anthropologue Serge Bouchard, est une affaire sérieuse (eh oui) : on ne joue qu'en respectant les règles; dès lors qu'il n'y a plus de règles, ce n'est plus un jeu; pour jouer véritablement, il faut jouer sérieusement.

      Émission C'est fou : le jeu (1<sup>ère</sup> partie), Radio-Canada, 2016, disponible ici.

    17. je préférais la littérature à la philosophie, je n’aurais pas du tout été satisfaite si l’on m’avait prédit que je deviendrais une espèce de Bergson ; je ne voulais pas parler avec cette voix abstraite qui, lorsque je l’entendais, ne me touchait pas. Ce que je rêvais d’écrire, c’était un « roman de la vie intérieure » ; je voulais communiquer mon expérience.

      vocation pour l'écriture

    18. Ces menues victoires m’encouragèrent à ne pas considérer comme insurmontables les règles, les rites, la routine ; elles sont à la racine d’un certain optimisme qui devait survivre à tous les dressages.

      Ici de Beauvoir semble expliquer son audace futur.

    19. Tante Alice ne me crut pas. Tante Lili [Page 19]me défendit avec feu. Elle était la déléguée de mes parents, mon seul juge ; tante Alice, avec son vieux visage moucheté, s’apparentait aux vilaines fées qui persécutent les enfants ; j’assistai complaisamment au combat que les forces du bien livraient à mon profit contre l’erreur et l’injustice.

      Comme pour Rousseau, la découverte de l'injustice est restée marquée.

    20. Je tenais particulièrement à les intéresser : je bêtifiais, je m’agitais, guettant le mot qui m’arracherait à mes limbes et qui me ferait exister dans leur monde à eux, pour [Page 16]de bon.

      Ce passage me rappelle comment dans Les Mots de Sartre, étant enfant il jouait à un rôle en quelques sortes afin de plaire à sa famille.

    1. p. 17

      on sait qu’après avoir chanté la guerre d’Ilion, il chanta la guerre des grenouilles et des rats, pareil à un dieu qui créerait d’abord le cosmos, puis le chaos

      Allusion à la Batrachomyomachia (« Le Combat des grenouilles et des rats ») un texte de 303 vers parodiant l’Iliade et ayant été attribué à tort pendant longtemps à Homère. Entre l’apocryphe et le faux, la référence à ce texte pose le problème de la véridicité et de l'auctorialité. Il fait écho à « ces intrusions » et « ces larcins » décelés par Nahum Cordovero et évoqués dans le « Post-scriptum de 1950 ».

    2. p.124 > Aleph est la première lettre de l'alphabet hébreu. Dans la tradition kabbalistique, Aleph symbolise l'origine divine de toute existence et est considéré comme la source spirituelle de toutes les lettres, paroles et langages. Bien qu’il soit l’origine du langage, l’Aleph ne peut être contenu par le langage car il comprend l’infini et est donc ineffable.

    3. p. 17

      Homère composa L’Odyssée ; aussitôt accordé un délai infini avec des circonstances et des changements infinis, l’impossible était de ne pas composer, au moins une fois, L’Odyssée. Personne n’est quelqu’un, un seul homme immortel est tous les hommes.

      Dans « Le credo d'un poète », une des conférences qu’il a prononcée à Harvard en 1967 et qui a été publiée en 2002 dans L’art de poésie (This Craft of Verse, Harvard University Press, 2000), Borges commente ainsi L'Immortel et « [c]ette idée d’un Homère oubliant qu’il était Homère » :

      « L’idée qui est derrière l’histoire – et cela surprendra peut-être certains d’entre vous qui ont lu cette histoire – c’est que, si un homme était immortel, au cours de cette longue, très longue durée, il finirait par arriver qu’il ait dit, fait et écrit toutes choses concevables. J’ai pris Homère comme exemple. Je l’ai imaginé comme ayant existé et écrit l’Iliade. Homère donc devait continuer à vivre et devait changer en même temps que les générations humaines changeaient autour de lui. Et un jour il devait oublier le grec, oublier même qu’il était Homère, découvrir la traduction de Pope, l’admirer comme une belle œuvre (ce qu’elle est) et même la juger fidèle à l’original. » (Gallimard, p. 106-107.)

    4. p. 129 :

      Mais les précédents (outre qu’ils ont le défaut de ne pas exister) sont de <mark>simples instruments d’optique</mark>.

      Les « simples » instruments optiques ne permettent que de voir certaines choses particulières qui sont perceptibles par l’optique, par les rebondissements de la lumière – loin d’être en mesure de pouvoir représenter l’Aleph!

    5. p. 126 :

      Je craignis qu’il ne restât <mark>pas une seule chose capable de me surprendre</mark>

      Le personnage a vu l’Aleph, il a vu l’infini (d’où l’énumération p. 125-126 dans laquelle il tente de rendre compte qu’il a tout vu, en donnant plein d’exemples particuliers); ce passage montre que le personnage pense être capable d’appréhender l’infini, la multiplicité infinie.<br> Sa seule « crainte » serait que quelque chose soit « capable de le surprendre » – il n’aurait dans ce cas pas compris l’infini, et sa crainte serait avérée.

    6. p. 124 :

      Peut-être les dieux ne me refuseraient-ils pas de trouver une image équivalente, mais mon récit serait <mark>contaminé de littérature, d’erreur</mark>. Par ailleurs, le <mark>problème central est insoluble : l’énumération, même partielle, d’un ensemble infini</mark>.

      La littérature fait peut–être erreur en ce qu’elle s’intéresse à des choses particulières, par opposition au discours universel des mathématiques et de la philosophie.

      Le passage sera suivi un peu plus loin d’une énumération d’exemples complètement étranges, laissant entendre qu’on pourrait continuer ainsi à l’infini sans jamais épuiser les possibilités.

    7. p. 125 :

      Chaque chose <mark>(la glace du miroir par exemple)</mark> équivalait à une <mark>infinité de choses</mark>, parce que je la voyais clairement de tous les points de l’univers.

      Borges souligne la récursion de l’infini dans chaque chose (ce qui n’est pas sans évoquer les monades de Leibniz).

      Il a recours au « miroir », exemple concret par excellence de la manifestation de l’infini dans la réalité (quel paradoxe).

    8. p. 124 :

      comment transmettre aux autres <mark>l’Aleph infini</mark> que ma craintive mémoire <mark>embrasse à peine</mark>?

      Borges évoque le problème de l’infini, dont l’idée est difficile, voire impossible à embrasser cognitivement.

      Si le personnage a (l’impression d’avoir) vu l’Aleph (l’infini), sa mémoire en rend difficilement le souvenir – précisément parce qu’il a entrevu l’infini, mais n’a certainement pas pu le saisir!

    9. p. 121 :

      Je précisais, pour plus de vraisemblance, que je ne parlerais pas le lundi suivant à Alvaro, mais le jeudi : au cours du petit dîner qui couronne d’habitude toutes les réunions du club des Écrivains (<mark>ces dîners n’existent pas, mais il est irréfutable que les réunions ont lieu le jeudi</mark>, fait que Carlos Argentino Daneri pouvait vérifier dans les journaux et qui donnait à la phrase une allure de vérité).

      Borges s’amuse souvent avec la fiction, à inventer des passages hyperboliques complètement farfelus (et qui ne sont pourtant pas si inutiles – on n’a qu’à se tourner vers la réalité pour se rendre compte de la lucidité de cette invention). 🙃

    10. p. 121 :

      […] je fis impartialement face aux perspectives d’avenir qui se présentaient à moi : a) parler à Alvaro et lui dire que le cousin germain de Beatriz <mark>(cet euphémisme explicatif me permettrait de la nommer)</mark> avait écrit un poème qui semblait <mark>reculer à l’infini les possibilités de la cacophonie et du chaos</mark> ; b) ne pas parler à Alvaro.

      La parenthèse constitue un amusant prétexte, une prétérition (figure stylistique consistant à prétendre ne pas parler de quelque chose pour justement pouvoir mieux en parler!)

      Mais la suite est plus sérieuse : « reculer à l’infini les possibilités du de la cacophonie et du chaos » renvoie peut-être à une manière détournée de parler de l’infinité, précisément de la manière dont la poésie fait chaque jour reculer l’horizon des possibles imaginables.

    11. Aleph p. 143

      Aleph) est à la fois la première lettre de l'alphabet hébreu et le chiffre 1. Il signifie l'origine de l'univers, le premier qui contient tous les autres nombres. En mathématiques il dénote les ensembles infinis -- il n'est pas anodin de noter ce fait étant donné que l'infini est un thème récurrent chez Borges. Selon Wikipédia, l'aleph rappelle la monade telle que conceptualisée par Gottlieb Wilhelm Leibniz, philosophe du XVIIe siècle. Tout comme l'aleph de Borges recense la trace de toute autre chose dans l'univers, la monade agit comme un miroir vers tous les autres objets (toutes les autres monades) du monde.

    12. Ne plus ultra des Colonnes d'Hercule > ça me rappelle le personnage d'Ulysse dans la Divine Comédie, qui a volu défier Dieu en allant au delà des colonnes. (Soif de connaissance). Ici on défie les régles de la Nature, en effet l'homme a toujours volu matriser la mort. Dans un sens large, l'homme fait de la littérature pour laisser une trace de soi > on vive pour toujours dans les mots qu'on écrit.

    1. Lecture de livres classiques > c'est un voyage dans le temps, ils sont capable de transmettre leur message à travers le siècles, parce qu'ils sont toujours "vivants". Comme pour les anciens batiments, ils sont une pierre angulaire de la culture et de la formation personnelle et forment l'esprit du lecteur.

      (pag 192)

    2. "fait que restituer au malade la volonté de se servir de son estomac,de ses jambes,de son cerveau,restés intacts." (180)

      Lecture qui rend l'homme indépendant, qui ouvre de nouveaux horizons sur le monde

    3. Le beau et la forme : éléments architecturaux et musicaux

      Proust évoque souvent des sentiments puissants que nous éprouvons, relatifs au beau (effet esthétique).

      Dans ce passage, il est question d’abstraction (formes abstraites, comme en architecture), ce qui rejoint le texte d’Eupalinos de Valéry :

      Ce sont les formes de cette <mark>syntaxe</mark>, mises à nu, respectées, embellies par son ciseau si franc et si délicat, qui nous émeuvent dans ces tours de langage familiers jusqu’à la singularité et jusqu’à l’audace et dont nous voyons, dans les morceaux les plus doux et les plus tendres, passer comme un <mark>trait rapide ou revenir en arrière</mark> en <mark>belles lignes brisées</mark>, le <mark>brusque dessin</mark>. Ce sont ces formes révolues prises à même la vie du passé que nous allons visiter dans l’œuvre de Racine comme dans une cité ancienne et demeurée intacte. Nous éprouvons devant elles la même émotion que devant ces <mark>formes abolies, elles aussi, de l’architecture</mark>, que nous ne pouvons plus admirer que dans de rares et magnifiques exemplaires que nous en a léguées le passé qui les façonna […] (p. 193)

      Il est beaucoup question de forme (« syntaxe », « lignes », « dessin », « formes abolies »).

      (Proust mentionne aussi une qualité remarquable et chère à Valéry, la durabilité – les « exemplaires » sont remarquables parce qu’ils ont traversé le temps.)

      Proust ne s’arrête pas en parlant d’architecture (il a notamment étendu son propos à « tous les arts », p. 190); il poursuit avec un discours autour du rythme et des silences (un autre aspect formaliste, relativement à la musicalité) :

      Souvent dans l’Évangile de saint Luc, rencontrant les <mark>*deux-points*</mark> qui l’interrompent avant chacun des morceaux presque en forme de cantiques dont il est parsemé, j’ai entendu le <mark>silence</mark> du fidèle qui venait d’arrêter sa lecture à haute voix pour entonner les versets suivants comme un <mark>psaume</mark> qui lui rappelait les psaumes plus anciens de la Bible. <mark>Ce silence remplissait encore la pause de la phrase</mark> qui, s’étant scindée pour l’enclore, en avait gardé la <mark>forme</mark> […] (p. 193-194)

      Proust s’attarde à des éléments très subtils de la forme (les « deux-points », les silences, les psaumes, les textes chantés) qui ne sont pas sans évoquer la musique, la « spatialisation des sons » ou encore une certaine « mise en forme » de la parole.

      Le rythme (c’est de la forme) contribue au sentiment de beauté.

    4. La lecture représente parfois un point de départ, un catalyseur pour la création – et donc une porte vers l’ouverture :

      […] l’exaltation qui suit certaines lectures ait une influence propice sur le travail personnel, on cite plus d’un écrivain qui aimait à lire une belle page avant de se mettre au travail. Emerson commençait rarement à écrire sans <mark>relire quelques pages de Platon</mark>. Et Dante n’est pas le seul poète que Virgile ait conduit jusqu’au seuil du paradis. (p. 180)

    5. Proust se prononce contre les dangers de la littérature et attribue à celle-ci une fonction positive supplémentaire, celle de rendre un esprit outillé contre les dangers des apparences (et des simulacres, et de l’imitation, cf. Platon) :

      Si le goût des livres <mark>croît avec l’intelligence, ses dangers, nous l’avons vus, diminuent</mark> avec elle. Un esprit original sait subordonner la lecture à son activité personnelle. Elle n’est plus pour lui que la plus noble des distractions, la plus ennooblissante surtout, car, seuls, la lecture et le savoir donnent les « belles manières » de l’esprit. (p. 189)

      Bref : littérature, mimésis et fiction FTW.<br> C’est le comeback d’Aristote!

    6. Chez Proust, la lecture prend la forme d’un appareil dialogique (figures lectrice et autrice en dialogue), continuellement dynamique et indéfiniment ouvert.

      […] il y a une société qui nous est <mark>continuellement ouverte</mark> de gens qui nous parleraient aussi longtemps que nous le souhaiterions […] (p. 173)

      Nous ne pouvons platement « recevoir » la vérité; nous devons la faire naître nous-mêmes (processus dynamique!) :

      Mais par une loi singulière et d’ailleurs providentielle de l’optique des esprits (loi qui signifie peut-être que nous ne pouvons recevoir la vérité de personne et que <mark>nous devons la créer nous-mêmes</mark>) […] (p. 177)

      L’ouverture de sens est actualisée par la lecture.

      Le caractère dynamique de cette activité est dénotée par l’« incitation » – incitation à poursuivre la sagesse après celle de l’auteur :

      C’est là, en effet, un des grands et merveilleux caractères des beaux livres […] que pour l’auteur ils pourraient s’appeler « Conclusion » et pour le lecteur « Incitations ». (p. 176)

    1. Tu ne sauras donc jamais quels temples, quels théâtres, j’eusse conçus dans le pur style socratique !

      Nous ne le saurons jamais, Socrate, puisque tu n’as fait que parler toute ta vie.

      Tu n’es qu’un philosophe, tu n’as jamais réussi à être architecte; tu n’as jamais rien réalisé…<br> (pardonne-moi, Socrate, te t’attaquer ainsi)

    2. Je me tromperai quelquefois, et nous verrons quelques ruines ; mais on peut toujours, et avec un grand avantage, regarder un ouvrage manqué comme un degré qui nous approche du plus beau.

      C’est le concept d’itération : un ouvrage n’est jamais parfait, mais d’autres architectes l’amélioreront!

      Par exemple :<br> L’iPhone de 3<sup>e</sup> génération a été amélioré par rapport à l’iPhone de 1<sup>ère</sup> génération; l’iPhone 3 est plus près de la perfection que l’iPhone 1, mais il comporte encore des lacunes (des « ruines »); la prochaine itération, l’iPhone 4, va encore être améliorée!

      (L’iPhone a encore beaucoup beaucoup de problèmes.)

    3. comment trouver les principes ?

      Ah! La belle question épistémologique des principes de l’architecture.

      (Une piste : Principes universels du Design, ouvrage publié chez Eyerolles, réunit de nombreux principes applicables notamment en architecture, reposant sur des textes fondateurs et des études en psychologie : organisation de l'espace urbain, environnement et sécurité, mais aussi des effets a posteriori, après la construction, comme les boucles de rétroaction).

    4. Mais l’arbre et toutes ses parties ; et le coq, et toutes les siennes, sont construits par les principes eux-mêmes, non séparés de la construction.

      La construction fait unité!

      L’architecte-philosophe s’assure que son projet se tienne en un, malgré ses différentes parties (la nature et les corps organiques offrent un bel exemple). L’unité est une qualité de la construction!

    5. ce sont choses mortes, inférieures dans la hiérarchie à ces tas de moellons que vomissent les chariots des entrepreneurs, et qui amusent, du moins, l’œil sagace, par l’ordre accidentel qu’ils empruntent de leur chute

      ce qui n'a pas été desseiné, planifié, n’est pas intéressant à contempler.

      La métaphore est aussi intéressante en art : on s’intéresse davantage au processus créatif, à la démarche, au contexte socio-politico-historique dans laquelle une œuvre d’art se manifeste; une œuvre vide de sens, de geste, de réflexion, n'est pas intéressante, aussi tape-à-l’œil soit-elle.

    6. Il apportait les soins les plus exquis aux enduits qu’il faisait passer sur les murs de simple pierre.

      Le design, comme l’architecture, relève d’une réflexion totale (notamment heuristique), constante et rigoureuse sur l'objet dans son environnement, autant dans sa réalisation que dans sa planification.

      Elle implique de nombreux cycles d'aller-retour (travail de perfectionnement – le terme est un peu mal choisi, puisqu'on ne vise pas la perfection, mais un projet fini).

    7. Il prescrivait de tailler des planchettes dans le fil du bois, afin qu’interposées entre la maçonnerie et les poutres qui s’y appuient, elles empêchassent l’humidité de s’élever dans les fibres, et bue, de les pourrir.

      Description fine de la technique : une telle prévoyance ne peut se réaliser sans le savoir-faire de la technique!

      À l’école du Bauhaus, tous les étudiants de « design » apprenaient d’abord en maniant les matériaux (bois, verre, métal…); on ne pouvait concevoir un projet sans une connaissance technique, un savoir-faire nécessaire!

      https://www.youtube.com/watch?v=4uN9JK66-vs