Synthèse de l'audition de Santé publique France sur la santé mentale et le handicap
Résumé
L'audition de Santé publique France devant la commission d'enquête met en lumière une dégradation persistante de la santé mentale de la population française depuis la pandémie de Covid-19, touchant particulièrement les jeunes de 18 à 24 ans et les femmes.
Les données de surveillance révèlent une prévalence élevée des troubles dépressifs et anxieux, avec un décalage majeur entre les besoins et le recours effectif aux soins.
Près de la moitié des adultes ayant connu un épisode dépressif caractérisé n'ont eu aucun recours thérapeutique.
Les principaux freins identifiés sont le coût des consultations, la difficulté à se confier et le manque d'information.
Concernant les personnes en situation de handicap, l'agence souligne une lacune importante dans les données de surveillance, rendant difficile la caractérisation fiable de leur état de santé et de leur prise en charge.
L'accès aux données des Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH) est identifié comme un levier majeur d'amélioration.
Face à ces constats, Santé publique France insiste sur l'importance cruciale de la prévention.
Les stratégies préconisées incluent le renforcement des compétences psychosociales dès l'enfance, la lutte contre la stigmatisation via des campagnes d'information et la promotion de la santé mentale positive. Des dispositifs comme le programme "Vigilance", qui a démontré un retour sur investissement positif (€1 investi pour €2 économisés en coûts de santé), sont mis en avant comme des modèles à généraliser pour une approche économiquement vertueuse de la santé publique.
1. Rôle et Méthodes de Surveillance de Santé publique France
Santé publique France, agence de santé publique créée en 2016, fonde ses missions sur un triple objectif :
1. Anticiper et répondre aux crises sanitaires, notamment par la gestion des stocks stratégiques de produits de santé et la mobilisation de la réserve sanitaire.
2. Surveiller l'état de santé de la population sur l'ensemble du territoire, y compris ultramarin, en couvrant les maladies infectieuses, chroniques et les expositions environnementales.
3. Développer la prévention et promouvoir la santé.
Pour la surveillance de la santé mentale, l'agence s'appuie sur plusieurs sources de données complémentaires :
• Les enquêtes en population générale :
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◦ Réalisées sur des échantillons aléatoires, elles utilisent des questionnaires et des échelles de santé mentale pour évaluer l'état de la population sans poser de diagnostic individuel.
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◦ Exemples notables : le Baromètre de Santé publique France (adultes), l'enquête ENABI (enfants de 3 à 11 ans, réalisée en milieu scolaire en 2022), et l'enquête EnCLASS (collégiens).
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◦ Pendant la crise sanitaire, l'enquête Coviprêve a permis un suivi plus rapide, bien que moins détaillé.
• Les bases de données médico-administratives :
◦ Le Système National des Données de Santé (SNDS) est une source majeure d'informations.
◦ Les données des services d'urgence (motifs de passage) et de SOS Médecins permettent un suivi en temps réel de certains indicateurs comme les troubles anxieux ou les tentatives de suicide.
L'ensemble de ces données permet d'obtenir une "photographie en vie réelle" de la santé mentale des Français, contribuant à l'élaboration de stratégies de prévention et de campagnes d'information.
2. État des Lieux de la Santé Mentale en France
2.1. Une Dégradation Post-Covid Durable
La surveillance épidémiologique confirme une dégradation nette de la santé mentale de la population française par rapport à la période pré-Covid.
• Populations les plus touchées : Les jeunes adultes de 18 à 24 ans, les jeunes filles et les femmes en général présentent les indicateurs les plus dégradés.
• Persistance : Les différents indicateurs de santé mentale se maintiennent à un niveau élevé, sans retour aux niveaux d'avant la crise sanitaire. Les causes sont multifactorielles (éco-anxiété, système économique, mais aussi une plus grande déclaration due à une libération de la parole).
2.2. Données Clés sur la Prévalence des Troubles
Les enquêtes récentes fournissent des chiffres préoccupants :
Population Cible
Indicateur
Donnée Chiffrée
Source (Année)
Adultes (18-79 ans)
Épisode dépressif caractérisé (12 derniers mois)
1 adulte sur 6
Baromètre SPF (2024)
Adultes (18-79 ans)
Trouble anxieux (12 derniers mois)
6 % de la population
Baromètre SPF (2024)
Enfants (6-11 ans)
Trouble probable de la santé mentale
Plus d'1 enfant sur 10
ENABI (2022)
Enfants (tous âges)
Consultation d'un professionnel pour des raisons psychologiques/d'apprentissage
1 enfant sur 5
ENABI (2022)
Collégiens
Consultation d'un psychiatre au cours de leur vie
1 tiers des collégiens
EnCLASS
2.3. Le Non-Recours aux Soins : Un Enjeu Majeur
Un décalage important est observé entre les besoins exprimés ou mesurés et le recours effectif à une prise en charge.
• Épisodes dépressifs : Près de la moitié (50 %) des personnes déclarant un épisode dépressif n'ont eu "aucun recours thérapeutique" (ni professionnel, ni traitement).
• Troubles anxieux : Cette proportion est de 1 personne sur 3.
• Profils concernés : Le non-recours aux soins est plus élevé chez les hommes que chez les femmes.
• Situations critiques : Près de 40 % des personnes déclarant une tentative de suicide ne se sont pas présentées à l'hôpital et n'ont pas consulté de professionnel de santé par la suite.
2.4. Les Freins à la Consultation
L'enquête Coviprêve a permis d'identifier les principaux obstacles au recours aux soins en santé mentale :
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1. Le prix de la consultation (cité par près de la moitié des répondants).
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2. La difficulté à se confier ou la peur de ce qu'ils pourraient découvrir sur eux-mêmes.
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3. Le manque d'information sur les professionnels et leur rôle.
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4. La difficulté à obtenir un rendez-vous.
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5. La peur que l'entourage l'apprenne (stigmatisation).
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3. La Situation Spécifique des Personnes en Situation de Handicap
Santé publique France reconnaît un manque de données structurées concernant l'état de santé des personnes en situation de handicap.
• Limites de la surveillance : La surveillance de cette population n'entre pas "strictement" dans les missions de l'agence, bien qu'elle soit incluse dans les enquêtes générales.
• Difficultés de caractérisation : Il est difficile d'identifier et de caractériser de manière fiable ces personnes dans les bases de données. L'Allocation Adulte Handicapé (AAH) est le principal repère, mais elle ne couvre que les adultes en âge de travailler avec des handicaps reconnus comme sévères.
• Besoin crucial de données : L'agence attend avec impatience la remontée des données des Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH) dans le SNDS, ce qui constituerait un "saut qualitatif et quantitatif" pour mieux orienter les politiques publiques.
• Vulnérabilités observées : Les données existantes montrent que les bénéficiaires de l'AAH sont "proportionnellement plus concernés par des événements cardiovasculaires graves".
4. Stratégies de Prévention et Pistes d'Amélioration
Face à ces constats, Santé publique France place la prévention au cœur de sa stratégie.
4.1. Axes de Prévention
• Prévention primaire :
◦ Compétences psychosociales (CPS) : Développer dès le plus jeune âge (école, associations sportives) des capacités à gérer le stress, communiquer, résoudre des problèmes.
Cette approche, inspirée des modèles anglo-saxons, est de plus en plus acceptée et intégrée, notamment par l'Éducation Nationale.
◦ Promotion de la santé mentale positive : Informer sur les comportements protecteurs (activité physique, sommeil, altruisme, pensée positive) au même titre que la santé physique.
• Lutte contre la stigmatisation :
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◦ Mener des campagnes d'information pour dédramatiser les troubles psychiques.
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◦ Mettre à disposition des ressources grand public comme le site santémentaleinfoservice.fr.
• Prévention tertiaire (prévention de la récidive) :
◦ Le dispositif Vigilance, qui consiste à rappeler les personnes ayant fait une tentative de suicide six mois après leur passage aux urgences, a fait l'objet d'une évaluation médico-économique très positive. Il est en cours de déploiement dans toutes les régions.
4.2. Pistes d'Amélioration
Santé publique France identifie plusieurs axes pour améliorer la connaissance et l'action :
• Mieux caractériser les personnes en situation de handicap dans les bases médico-administratives et médico-sociales.
• Mieux documenter la santé et le rôle des aidants.
• Poursuivre et développer les enquêtes en milieu scolaire pour un dépistage précoce.
• Renforcer l'information sur les signes de souffrance psychique et les parcours de soins gradués.
5. Enjeux Économiques et Décisionnels
L'audition a souligné la dimension économique de la santé mentale et l'importance de convaincre les décideurs publics d'investir dans la prévention.
• Coût des troubles psychiques : Estimé à 109 milliards d'euros pour la société française, dont près de la moitié en perte de productivité.
• Retour sur investissement de la prévention :
- ◦ L'évaluation du dispositif Vigilance montre que 1 € investi permet d'économiser 2 € de coûts de santé, avec un coût moyen évité de 248 € par patient.
- ◦ Santé publique France s'engage à évaluer de plus en plus le retour sur investissement de ses actions.
• Nécessité d'un plaidoyer : L'agence travaille au développement d'indicateurs sur le "fardeau de la maladie" (Global Burden of Disease) pour objectiver le poids des troubles sur la société et justifier les investissements en prévention.
Le manque de données fiables, notamment à un niveau territorial fin, reste un obstacle pour convaincre les acteurs locaux.