Document de Briefing : Évaluation et Perspectives de l'Enseignement Primaire en France
Date : 20 mai 2025
Source : Extraits du rapport de la Cour des Comptes : "20250520-Enseignement-primaire.pdf"
Vue d'ensemble : Ce document de briefing résume les principales conclusions d'une enquête menée par la Cour des Comptes sur l'enseignement primaire en France.
L'enquête a impliqué diverses directions ministérielles au niveau national, ainsi qu'un échantillon représentatif d'acteurs locaux, notamment des chambres régionales et territoriales des comptes, des services déconcentrés du ministère, des directeurs d'école, des enseignants, des parents et des élus.
Le rapport met en lumière les défis actuels, les disparités territoriales et les pistes d'amélioration pour le système éducatif primaire français.
Thèmes Principaux et Idées Clés :
Financement et Difficultés d'Estimation de la Dépense Nationale :
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Idée clé : Bien que la dépense de l'État soit précisément tracée, l'estimation de la contribution des collectivités territoriales et des ménages à la dépense nationale pour l'école primaire est difficile et probablement sous-estimée.
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Détails : La ventilation minutieuse de la dépense de l'État est imposée par la loi, mais isoler et mesurer exactement celles des collectivités et des ménages est complexe.
La méthodologie actuelle, notamment pour la dépense des ménages basée sur une enquête de 2013 actualisée, ne tient pas compte des évolutions récentes des modes de consommation.
L'estimation ne prend pas non plus en compte les autres financeurs privés (dons, legs), ce qui contribue à une sous-estimation probable.
- Difficultés pour les collectivités :
"Isoler et mesurer exactement celles des collectivités et des ménages est difficilement réalisable en l’état."
Les plus grandes collectivités sont tenues de produire un budget ventilé, mais les communes de moins de 3 500 habitants et les groupements sans communes de cette taille, qui représentent près de la moitié des écoles primaires et scolarisent 31% des élèves du public, n'ont pas cette obligation.
L'État estime leur contribution en extrapolant les données des communes de taille moyenne, ce qui est une approximation.
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Investissement des collectivités : En 2022, les collectivités ont investi 8,4 Md€ dans les établissements scolaires publics, dont 3,6 Md€ pour les écoles du premier degré, représentant environ 15 % de leurs dépenses d'équipement.
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Recommandation : Une meilleure estimation de la contribution des collectivités territoriales, dont le rôle a cru, est jugée indispensable. Une meilleure ventilation entre les dépenses des communes pour l'enseignement public et privé sous contrat est également nécessaire.
Gouvernance des Écoles et Rôle du Directeur :
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Idée clé : Le rôle et le statut du directeur d'école nécessitent une évolution pour renforcer leur capacité de pilotage pédagogique et la prise en compte des spécificités locales.
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Détails : Le système actuel de décharge, jugé "obsolète", limite fortement l'action du directeur.
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Pistes d'amélioration : "Créer un statut de directeur, ou à défaut généraliser une décharge totale, permettrait de clarifier le positionnement de ce dernier vis-à-vis de l’équipe pédagogique, de lui donner les leviers nécessaires pour piloter le projet pédagogique ou encore de renforcer son rôle auprès des partenaires extérieurs."
Cette évolution doit s'accompagner d'un projet d'école adapté aux spécificités locales, évalué et potentiellement formalisé par un contrat d'objectifs et de moyens pour les écoles les plus importantes.
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Diverses pistes de statut pour les directeurs : Création d'un corps spécifique, détachement dans le corps des "personnels de direction" (impliquant de faire des écoles des établissements publics), création d'un corps commun de direction écoles/EPLE, nomination sur emploi fonctionnel ou création de grade à accès fonctionnel.
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Rigidité du système : La rigidité actuelle ne prend pas en compte la diversité des situations et les enjeux de direction largement différents d'un site à l'autre pour un même nombre de classes.
Évaluation du Système Éducatif et des Élèves :
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Idée clé : Des évaluations régulières sont menées pour mesurer la performance du système et aider à l'adaptation pédagogique, mais des défis subsistent dans l'utilisation et la consolidation des données.
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Évaluations Internationales et Nationales : Le rapport fait référence aux études internationales (TIMMS, PIRLS) et aux évaluations nationales, notamment en début de CP, CE1 et CM1. Ces évaluations visent à la fois à mesurer la performance du système et à fournir des outils aux enseignants.
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Rôle des Évaluations Nationales : Les évaluations nationales exhaustives en début de CP et CE1 (depuis 2018) et CM1 (depuis 2023) sont un outil pour identifier rapidement les besoins des élèves et adapter l'aide.
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Évaluation des Écoles : Le Conseil d'évaluation de l'école (CEE), créé en 2019, a pour mission d'évaluer l'organisation et les résultats de l'enseignement scolaire.
Le processus implique une auto-évaluation interne et une évaluation externe, aboutissant à un rapport et un plan d'actions.
- Défis de l'Évaluation des Écoles : L'un des enjeux est l'utilisation de l'outil d'évaluation à l'échelon des écoles pour l'élaboration des projets d'école.
Un projet est en cours pour créer une application de stockage et d'analyse des rapports. L'articulation avec d'autres initiatives comme "Notre école, faisons-la ensemble" est également un enjeu.
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Disparités Territoriales et Lutte Contre les Inégalités :
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Idée clé : Malgré la volonté affichée, l'école ne parvient pas à lutter efficacement contre les inégalités territoriales, qui sont multifactorielles et structurelles.
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Diversité des inégalités : Les inégalités sont liées à des facteurs géophysiques, socio-économiques, politiques, historiques, etc., et se manifestent à toutes les échelles.
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Allocation des moyens : Au niveau national, des disparités existent dans l'allocation des moyens par l'État, notamment en termes de financements, recrutement et encadrement. "La crise globale d’attractivité des métiers de l’éducation se traduit de manière très hétérogène sur le territoire."
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Exemple de Lille : La commune de Lille, confrontée à un déterminisme social important, a mis en place une politique volontariste, faisant de l'éducation son premier poste budgétaire et développant un "projet éducatif global".
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Territoires ruraux vs. urbains : Les disparités entre les communes rurales peu denses (avec beaucoup d'élèves scolarisés en regroupement pédagogique intercommunal - RPI) et les grandes unités urbaines (avec de fortes inégalités économiques) ont des répercussions sur la réussite scolaire. Les enfants scolarisés en centres urbains ont en moyenne une meilleure progression en CP.
Conclusion :
"En dépit de la volonté affichée de lutter contre les inégalités territoriales et des efforts déployés en ce sens par ses acteurs, l’école n’arrive donc toujours pas à lutter contre les inégalités et semble participer de leur aggravation."
Mise en Réseau des Écoles et Gestion de la Baisse des Effectifs :
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Idée clé : La baisse attendue des effectifs offre une opportunité de redéfinir le fonctionnement de l'école, notamment à travers la mise en réseau et la mutualisation.
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Enjeu de pilotage : La baisse continue des effectifs rend le pilotage de plusieurs établissements, la mise en réseau et le maintien d'une offre pédagogique de qualité des enjeux importants.
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Regroupement Pédagogique Intercommunal (RPI) : Les RPI, qu'ils soient dispersés ou concentrés, permettent de mutualiser les équipements, de lutter contre l'isolement des enseignants, de créer un espace de concertation entre l'État et les élus, d'améliorer l'environnement de travail des élèves et la qualité de l'enseignement, et de préserver le rôle des maires.
La généralisation des RPI ou la mutualisation au sein de syndicats ou d'intercommunalités pourrait améliorer la connaissance des coûts des petites communes.
- Autres initiatives locales : Des réunions de directeurs d'école et "l'école du socle" (associant un collège à plusieurs écoles primaires) sont des pistes de mise en réseau.
Bâti Scolaire et Risques Environnementaux :
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Idée clé : Le bâti scolaire, souvent ancien et exposé à des risques climatiques et environnementaux, nécessite des efforts significatifs de rénovation et d'adaptation.
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État du bâti : Le bâti scolaire représente la moitié du patrimoine immobilier des communes.
Pour 40% des écoles, la conception est éloignée des standards actuels, situées principalement dans les petites communes sans capacités d'ingénierie suffisantes.
- Exposition aux risques : Une part très importante d'écoles primaires (52% ou 24 145 écoles) est exposée à au moins un risque climatique ou environnemental (vagues de chaleur, inondation, retrait-gonflement des argiles, sols pollués, risques industriels).
- Manque de données consolidées : Malgré les initiatives pour adapter les écoles à la transition écologique, il manque une consolidation des données pour quantifier précisément les besoins et les financements requis pour les chantiers. Les référentiels diffusés ne contiennent pas de chiffrages budgétaires.
- Impact de la démographie : La baisse rapide du nombre d'enfants nécessite une meilleure coordination des acteurs publics pour l'aménagement des locaux.
- Exemples de rénovation : Le rapport cite des exemples de communes (Saint-Priest, Saint-Martin-d'Uriage, Sathonay-Camp) engageant des travaux de rénovation pour l'efficacité énergétique, l'adaptation aux risques climatiques (désimperméabilisation des cours) et le bien-être des élèves.
Numérique à l'École: Défis et Usages :
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Idée clé : L'investissement dans les outils numériques à l'école primaire fait face à des défis de développement, d'utilisation, de maintenance et d'inégalités d'accès.
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Problèmes d'équipement et d'utilisation : Le rapport cite l'exemple de tablettes achetées mais non utilisées par manque de logiciels ou de formation. La maintenance des matériels (ordinateurs portables obsolètes) est également problématique.
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Inégalités d'accès : L'investissement financier inégal des collectivités territoriales conduit à des risques d'inégalité d'accès au numérique. L'État intervient pour l'impulsion initiale et les référentiels, mais n'a pas la capacité de mettre en place des mesures de compensation.
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Impact sur les apprentissages : Paradoxalement, peu d'études démontrent clairement la plus-value des outils numériques sur les apprentissages des élèves du premier degré. Une étude limitée a montré une amélioration significative dans un domaine spécifique des mathématiques.
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Risques liés à l'exposition : Un enjeu majeur, pas toujours identifié, est la progressivité de l'exposition des enfants aux outils numériques, compte tenu des risques soulignés par des rapports sur l'impact des écrans.
Formation des Enseignants :
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Idée clé : Des crédits de formation existent mais ne sont pas toujours utilisés, et il y a un manque de transparence dans leur allocation.
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Opacité budgétaire : Le ministère ne distingue pas les crédits de formation initiale et continue, ce qui rend difficile le suivi des moyens engagés.
- Sous-utilisation des crédits : Seul un tiers de la masse salariale disponible et deux tiers des crédits de fonctionnement alloués à la formation des enseignants du premier degré public ont été dépensés. Ces crédits servent de réserve, remettant en cause la sincérité de l'inscription budgétaire.
- Contrastes : Cette réalité budgétaire contraste avec les tensions observées au niveau local pour le remboursement des frais de formation.
- Implication des collectivités : Certaines collectivités (comme en Moselle pour le bilinguisme) s'impliquent dans la formation des enseignants, cofinançant des modules ou des diplômes.
Rôle des Parents d'Élèves :
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Idée clé : Le rôle des parents d'élèves est central dans le système éducatif, souvent consacré par la loi et représenté dans diverses instances.
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Place centrale : Dans de nombreux pays, la place des parents est jugée centrale.
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Représentation : Les parents d'élèves sont représentés au sein d'instances à différents niveaux (conseils consultatifs auprès du ministère, conseils d'école).
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Exemple de l'Italie : En Italie, un "Forum national des associations de parents d'élèves" existe au niveau national et régional, servant de lieu de rencontre entre le ministère, l'administration et les associations.
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Participation aux décisions : Dans certains pays, les parents peuvent avoir un rôle dans des décisions importantes, comme proposer un directeur d'école.
Comparaisons Internationales :
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Idée clé : Une comparaison avec seize institutions supérieures de contrôle étrangères révèle des modèles de gouvernance majoritairement décentralisés, des normes nationales et une gestion locale, une souplesse dans la gestion de la carte scolaire et une place centrale accordée aux parents.
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Gouvernance : La plupart des pays ont une politique majoritairement décentralisée, avec l'État définissant les normes nationales (programmes, évaluation, recrutement enseignants) et les collectivités locales gérant le quotidien (temps scolaire, transports, bâtimentaire, cantines, personnel non enseignant). Certains pays permettent une adaptation locale des programmes.
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Financement : Le financement varie. Au Danemark, les écoles gèrent leur budget de manière autonome. En Estonie et en Bulgarie, les subventions de l'État sont calculées sur le nombre d'élèves/classes.
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Carte scolaire : La gestion de la carte scolaire est majoritairement locale, basée sur des négociations et réalités locales.
Il n'existe pas de stratégie nationale ou de plan pluriannuel basé sur des projections statistiques dans la plupart des pays interrogés.
Les critères d'ouverture/fermeture sont similaires à la France (nombre d'élèves/classe/école). Peu de pays ont des seuils stricts, ils servent plutôt de référentiel.
- Innovation pédagogique : L'innovation pédagogique émerge souvent directement dans les écoles, avec la possibilité d'étendre les pratiques jugées pertinentes. Certains pays permettent une adaptation locale des programmes nationaux.
Baisse des Effectifs comme Opportunité :
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Idée clé : La baisse attendue du nombre d'élèves doit être vue comme une opportunité de repenser le modèle scolaire et d'améliorer le bien-être des élèves.
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Redéfinition de l'école : Cette diminution permet de redéfinir le modèle actuel de l'école et de réfléchir aux rythmes scolaires.
- Bien-être des élèves : Le bien-être est une priorité du ministère, avec des actions visant à protéger la santé mentale, favoriser les comportements responsables, construire une culture d'égalité et de respect mutuel, favoriser l'inclusion et promouvoir l'engagement. La lutte contre le harcèlement et la discrimination, la sensibilisation aux compétences psycho-sociales et les cours d'empathie sont cités comme exemples.
Points d'Attention Particuliers :
La sous-estimation persistante de la dépense pour l'école primaire, notamment celle des collectivités territoriales.
La nécessité urgente de revoir le statut et les missions des directeurs d'école pour renforcer leur rôle de pilotage.
L'incapacité de l'école à lutter efficacement contre les inégalités territoriales multifactorielles.
Les défis liés à l'utilisation des outils numériques, y compris les inégalités d'accès et le manque d'études probantes sur leur impact pédagogique, ainsi que les risques liés à l'exposition des enfants.
Les besoins importants en matière de rénovation du bâti scolaire, l'exposition aux risques climatiques et le manque de données consolidées sur les besoins et les coûts.
L'utilisation inefficace et l'opacité des crédits alloués à la formation des enseignants.
Ce briefing fournit un aperçu des conclusions clés du rapport de la Cour des Comptes concernant l'enseignement primaire en France, mettant en évidence les domaines nécessitant une attention particulière et des réformes potentielles.