Note de Synthèse : Efficacité Économique de la Réduction de la Taille des Classes
Source : Focus n° 113, mai 2025, Conseil d'analyse économique (CAE), Auteurs : Maxime Fajeau, Julien Grenet, Emma Laveissière, Orane Leonetti.
Introduction :
- Ce Focus du CAE examine la politique de réduction de la taille des classes en France, en particulier le dédoublement des classes dans l'éducation prioritaire, sous l'angle de son efficacité économique en utilisant le cadre méthodologique de l'indice d'efficacité des dépenses publiques (EDP).
L'objectif est d'évaluer le rapport bénéfice-coût pour la collectivité de cette politique, qui est bien documentée pour ses effets positifs sur les apprentissages, notamment dans l'enseignement primaire.
Principaux Thèmes et Idées Clés :
- La réduction de la taille des classes comme levier pour améliorer les apprentissages :
La littérature scientifique, notamment le projet STAR au Tennessee et diverses études utilisant des variations quasi expérimentales, confirme que la réduction de la taille des classes a un impact positif sur les performances scolaires, en particulier dans le primaire.
Cet effet est souvent plus marqué pour les élèves issus de milieux défavorisés.
Le Focus cite une évaluation du ministère de l'Éducation nationale sur le dédoublement des classes de CP en REP+ qui "s'inscrit dans cette fourchette, avec un gain moyen de 1,62 % d’écart-type par élève en moins".
- L'Indice d'Efficacité des Dépenses Publiques (EDP) : Cet indice, également connu sous le nom de Marginal Value of Public Funds (MVPF), est l'outil méthodologique central de l'étude. Il mesure la rentabilité sociale d'une politique publique en comparant les bénéfices sociaux générés à son coût net pour les finances publiques.
La formule est : EDP = ΔB / (ΔC - ΔE), où ΔB représente les bénéfices sociaux, ΔC le coût de déploiement pour l'État, et ΔE les recettes fiscales supplémentaires générées. Un indice supérieur à 1 indique un bénéfice net pour la société par euro investi.
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Application de l'EDP à la réduction de la taille des classes : L'analyse repose sur une chaîne de transmission : réduction du nombre d'élèves par classe -> amélioration des compétences scolaires -> augmentation des revenus futurs. Les paramètres clés pour le calcul de l'EDP sont :
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L'effet sur les compétences scolaires (θ) : L'impact d'un élève en moins par classe sur les résultats aux tests standardisés. Le Focus retient une estimation centrale de 1,62 % d'écart-type par élève en moins pour le primaire et 0,97 % pour le collège, basée sur des méta-analyses et des études françaises.
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L'effet des compétences scolaires sur les salaires (δ) :
L'impact de l'amélioration des compétences scolaires sur les revenus salariaux futurs.
L'étude estime qu'une augmentation d'un écart-type des performances aux évaluations nationales de 6e est associée à une amélioration de 9,5 % du revenu salarial à l'âge adulte (δ = 0,095).
- Le taux marginal moyen d'imposition (τ) :
La part des revenus supplémentaires captée par l'État via les prélèvements obligatoires (hors cotisations retraite). Estimé à 39,27 % du salaire superbrut.
- Valeur actualisée des salaires futurs (we) :
La valeur des revenus futurs perçus tout au long de la vie active, actualisée à l'âge d'exposition à la politique. Estimée à 441 356 € (primaire) et 482 282 € (collège).
- Coût par élève (ΔC) :
Le coût de la mise en œuvre de la politique par élève. Estimé en rapportant le coût d'un enseignant supplémentaire (salaire brut + cotisations employeur + coûts fixes non salariaux) au nombre d'élèves avant dédoublement. Estimé à 2 856 € en primaire et 2 723 € au collège.
- Externalité fiscale par élève (ΔE) :
Les recettes fiscales supplémentaires générées par l'augmentation des revenus futurs des élèves.
Calculée en appliquant le taux d'imposition aux gains salariaux attendus. Estimée à 2 934 € en primaire et 2 269 € au collège.
Résultats de l'EDP :
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Primaire : L'indice EDP est "infinie", ce qui signifie que "l’externalité fiscale générée par la politique est supérieure à son coût de mise en œuvre. Le dédoublement est donc autofinancé à long terme."
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Collège : L'indice EDP est de 7,7, ce qui indique que "chaque euro net investi dans le dédoublement génère un bénéfice social de 7,70 euros pour les bénéficiaires. La politique reste ainsi très rentable, bien qu’elle ne soit pas autofinancée à long terme."
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Dynamique temporelle de la rentabilité : Bien que les coûts soient immédiats, les bénéfices sociaux se matérialisent à long terme.
Dans le cas du primaire, le dédoublement des classes devient "socialement rentable (au sens où EDP > 1, c’est-à-dire ΔB > ΔC – ΔE) au bout de 28 ans" et "autofinancé au bout de 45 ans".
- Sensibilité des résultats et limites : Les résultats sont sensibles aux valeurs des paramètres θ (effet sur les compétences) et δ (rendement salarial).
L'indice EDP reste supérieur à 1 même avec des hypothèses plus prudentes, notamment dans le primaire.
Cependant, l'étude reconnaît être une "estimation conservatrice de la rentabilité sociale de la politique" car elle ne prend pas en compte d'autres externalités positives, comme l'amélioration des conditions de travail des enseignants ou la réduction potentielle de la criminalité.
- Comparaison Internationale :
La France se distingue par une taille de classes élevée par rapport aux standards internationaux, tant en primaire (21,7 élèves en moyenne contre 19,0 dans 17 autres pays de l'UE en 2024) qu'au collège (25,6 contre 20,7). Le taux d'encadrement élèves/enseignant est également supérieur à la moyenne européenne.
- Implications pour les Politiques Publiques :
Les résultats "plaident en faveur d’une mobilisation des marges budgétaires ouvertes par la baisse démographique pour poursuivre la réduire de la taille des classes là où les effets sont les mieux établis".
Cela suggère de cibler les niveaux et les zones (éducation prioritaire, écoles avec élèves défavorisés) où l'impact est le plus certain dans le primaire.
Pour le collège, où les effets sont plus incertains, l'étude recommande des "expérimentations ciblées" pour mieux documenter l'impact.
Points Importants et Faits Clés :
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Le dédoublement des classes de CP et CE1 en REP/REP+ initié en 2017 a conduit à une diminution significative de la taille moyenne des classes dans ces zones (de 22,7 à 16,7 élèves entre 2015 et 2024).
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En dehors de l'éducation prioritaire, la baisse démographique a également entraîné une réduction de la taille des classes, bien que dans une moindre mesure.
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Malgré ces évolutions, la taille des classes en France reste élevée par rapport à la moyenne européenne.
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L'étude utilise l'indice EDP pour évaluer la rentabilité sociale de la politique, prenant en compte les bénéfices sociaux (gains salariaux futurs) et le coût net pour l'État (coût de mise en œuvre moins externalités fiscales).
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Les résultats montrent une forte rentabilité de la politique, en particulier dans le primaire, où le dédoublement des classes est estimé être autofinancé à long terme par les recettes fiscales supplémentaires générées par l'augmentation des revenus des élèves.
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Au collège, la politique est également considérée comme très rentable (EDP > 1), bien que non autofinancée sur la base des gains salariaux modélisés.
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L'étude souligne que l'EDP calculé est une estimation prudente car elle ne quantifie pas toutes les externalités positives (ex: conditions de travail des enseignants, réduction de la criminalité).
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L'annexe méthodologique aborde la question de savoir si l'EDP du dédoublement peut être extrapolé à une réduction marginale de la taille des classes, concluant que sous l'hypothèse réaliste que la relation entre taille de classe et performance suit une loi en 1/n (rendements marginaux croissants), l'EDP reste identique pour un même coût.
En Résumé :
Le Focus n° 113 du CAE fournit une analyse quantitative solide de l'efficacité économique de la réduction de la taille des classes en France.
En utilisant l'indice EDP, les auteurs démontrent que cette politique, bien que coûteuse à court terme, génère des bénéfices sociaux substantiels à long terme, principalement via l'amélioration des compétences scolaires et l'augmentation des revenus futurs des élèves.
Les résultats sont particulièrement probants pour l'enseignement primaire, où la politique ciblée dans l'éducation prioritaire est jugée autofinancée.
Ces conclusions renforcent l'argument en faveur de la poursuite et potentiellement de l'amplification de cette politique, en particulier dans le primaire, tout en appelant à des recherches supplémentaires pour clarifier ses effets dans le secondaire.