Rapport d'information : Le droit à l'orientation dans l'enseignement secondaire en France
Ce rapport détaillé du Défenseur des droits examine le droit à l'orientation scolaire en France, mettant en lumière les défis persistants et les inégalités qui entravent l'épanouissement des jeunes.
Il s'appuie sur une littérature existante, des saisines et décisions du Défenseur des droits, des auditions d'acteurs variés et des contributions de jeunes.
I. Cadre juridique et définitions de l'orientation
L'orientation scolaire est un droit fondamental reconnu à l'échelle internationale et nationale.
- Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) : garantit le droit de l'enfant à l'éducation, et rend "ouvertes et accessibles à tout enfant l’information et l’orientation scolaires et professionnelles" (Art. 28).
Elle vise également à "favoriser l’épanouissement de la personnalité […] le développement de ses dons et ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités" (Art. 29).
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Conseil de l'Union européenne (2008) : définit l'orientation comme "un processus continu qui permet aux citoyens, à tout âge et tout au long de leur vie, de déterminer leurs capacités, leurs compétences et leurs intérêts, de prendre des décisions en matière d'éducation, de formation et d'emploi et de gérer leurs parcours de vie personnelle".
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Droit interne français (Code de l'éducation) : définit l'orientation comme "le résultat du processus continu d'élaboration et de réalisation du projet personnel de formation et d'insertion sociale et professionnelle que l'élève de collège, puis de lycée, mène en fonction de ses aspirations et de ses capacités" (Art. D. 331-23).
Il reconnaît également le "droit au conseil en orientation et à l'information sur les enseignements, sur l'obtention d'une qualification professionnelle [...] sur les professions ainsi que sur les débouchés et les perspectives professionnels" (Art. L. 313-1).
- Depuis les années 1960, l'orientation est devenue une politique publique visant à réduire les inégalités d'accès à l'éducation, avec la création de structures comme l'Onisep (1970) et les CIO (1971).
II. Contraintes de gouvernance et de coordination entre les acteurs de l'orientation
La politique d'orientation est fragmentée et manque de lisibilité, malgré l'implication de nombreux acteurs (État, régions, collectivités, académies, établissements, associations, parents).
Une compétence scindée et morcelée :
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État : définit la politique publique nationale, pilote l'accompagnement à l'orientation, et prend les décisions d'orientation et d'affectation des élèves. Il gère l'Onisep et les CIO.
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Régions : sont en première ligne pour le déploiement, agissant sur l'information et sa diffusion, en lien avec le contexte économique local.
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Difficultés d'articulation : "absence de pilotage national", "chef de fil peu identifié", "multiplicité d’acteurs, qui conduit tout à la fois à des doublons d’action, à l’illisibilité du système d’orientation, à la dilution de la responsabilité et de la capacité à évaluer les contributions respectives". (rapports variés cités)
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Manque de coordination régionale : Les Services Publics Régionaux de l'Orientation (SPRO) peinent à coordonner les acteurs sous différentes tutelles et financements.
L'offre d'information est segmentée.
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Transition lycée-enseignement supérieur : Manque de pilotage spécifique, chaque niveau se renvoyant la responsabilité. La plateforme Parcoursup et la Mission de l’orientation du scolaire vers le supérieur (MOSS) n'ont pas totalement résolu ce problème.
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Coût et incertitudes de la répartition des compétences : La nouvelle articulation entre l'Onisep et les régions pose des difficultés, notamment la "dissémination des ressources" et le "déficit de continuité éducative".
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Plateforme Avenir(s) : Malgré ses ambitions, son lancement a été confus, et les collectivités locales ont exprimé des doutes sur son association et le risque de doublon avec leurs propres outils.
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Inégalités territoriales et financement : Les budgets alloués à l'orientation varient fortement entre les régions, et les données sont rares et peu accessibles.
III. Un accompagnement insuffisant malgré une pluralité d'informations
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Les jeunes sont confrontés à une information foisonnante mais peu lisible, et à un manque d'accompagnement personnalisé.
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Information numérique foisonnante mais peu lisible : Une multitude de sites et plateformes (Onisep, Parcoursup, CIDJ) existent, mais les jeunes peinent à naviguer dans cette offre.
Manque d'experts en orientation :
- Les psychologues de l’Éducation nationale (PsyEN) spécialisés en orientation (EDO) sont les seuls spécifiquement formés, mais ils sont en nombre insuffisant.
Leur appellation de "psy" peut stigmatiser le conseil, faisant craindre aux élèves d'être perçus comme "en difficulté".
"Les élèves ont peur de prendre rendez-vous."
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Recommandation : Mettre en place un collectif de professionnels suffisant et définir un référent pilote formé à l'orientation pour coordonner et assurer un suivi individualisé.
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Établissements scolaires insuffisamment ouverts aux acteurs extérieurs : Bien que des initiatives existent pour s'ouvrir au monde économique, il est nécessaire d'élargir ces démarches à toutes les filières et de diversifier les interventions.
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Manque d'espaces dédiés : Les Centres d'Information et d'Orientation (CIO) sont les seuls lieux physiques dédiés, mais leur accès et leur stratégie de financement sont questionnés.
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Recommandations : Créer un bureau de l'orientation dans chaque établissement scolaire avec un pilote identifié, et valoriser les CIO à l'échelle départementale.
IV. Un parcours de l'orientation qui doit être choisi et éclairé
Le rapport souligne des lacunes dans l'intégration de l'orientation dans les programmes scolaires, l'impact des inégalités sociales et territoriales, et la nécessité de reconnaître un véritable droit à la réorientation.
Présence factice de l'orientation dans les programmes scolaires :
- Les heures dédiées à l'orientation sont rarement effectives. Un jeune interrogé regrette : "Je n’ai pas été accompagnée, mes parents avaient d’autres soucis et étaient à distance.
J’aurais aimé des heures d’orientation dans mon emploi du temps et du personnel scolaire dédié."
- Stages d'observation de 3ème : Plébiscités par les jeunes comme un levier efficace pour la découverte du monde professionnel.
Cependant, l'accès est inégal, le "poids du réseau familial et de l'environnement" étant déterminant. "Ça a été facile à trouver, mais j’ai été aidé par la famille."
Les élèves de milieux défavorisés acceptent souvent des stages "par défaut". "J’ai fini au boulot de ma mère par manque de réponse."
- Discriminations à l'accès au stage : Saisines du Défenseur des droits pour discriminations fondées sur l'apparence physique, l'état de santé ou l'origine.
Le phénomène des "stages réservés" (enfants de salariés) est encore répandu.
- Voie professionnelle : Les élèves de la voie professionnelle, souvent issus de milieux populaires, ont des stages plus longs et sont confrontés à des difficultés de recherche, parfois acceptant des missions peu intéressantes.
Le poids des inégalités sociales et territoriales :
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Fatalisme social : Les jeunes en situation de précarité ont "de moindres ambitions scolaires, même à notes équivalentes". Le discours scolaire peut les décourager : "J'aurais aimé faire une prépa mais malheureusement dans les lycées de banlieue, on ne donne pas toutes les options qui existent."
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Ségrégation scolaire : La faible mixité sociale freine les ambitions des élèves, accentuée par des logiques résidentielles.
Les jeunes des quartiers prioritaires de la ville (QPV) ou des Réseaux d'Éducation Prioritaire (REP) cumulent les facteurs d'inégalités.
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Autocensure : Les jeunes des milieux défavorisés témoignent d'une volonté de réussir mais aussi d'une "autocensure" : "À cause de l’environnement de classe je m’empêche de faire des choses."
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Discrimination des Mineurs Non Accompagnés (MNA) : Le Défenseur des droits a constaté des orientations vers des filières courtes pour garantir une autonomie rapide, sans toujours tenir compte des souhaits et capacités des jeunes.
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Inégalités territoriales et mobilité : Les élèves en milieu rural s'orientent moins vers la filière générale.
Le manque de moyens financiers est un frein majeur à la poursuite d'études hors du domicile familial.
L'éloignement des lieux de formation "alimente une forme d’autocensure chez les jeunes, qui estiment davantage que ces filières « ne sont pas pour eux »".
Inégalités filles-garçons et biais de genre :
- Constat connu : "Les filles s’orientent davantage vers l’enseignement général et technologique que les garçons mais sont moins nombreuses en proportion à s’orienter vers les filières scientifiques." (ministère de l'éducation nationale, DEPP). En 2022, seulement "24 % de femmes parmi les ingénieurs".
- Phénomène sociétal : Les stéréotypes de genre, souvent intériorisés dès le collège ("Bien que j’aimais beaucoup les sciences, en grandissant on m’a fait ressentir que c’était plus pour les hommes.
Je me suis posé des barrières seule"), influencent les choix. Les filières très féminisées sont souvent moins valorisées.
- Effet de la réforme du lycée : Le libre choix des filières a "renforcé le poids des stéréotypes", éloignant davantage les filles des parcours scientifiques les plus exigeants.
Le taux de féminisation de la spécialité "mathématiques" en 2021-2022 était au plus bas depuis 1994-1995.
- Recommandations : Instaurer des actions positives sur le genre et accompagner les élèves du lycée général et technologique pour lutter contre les représentations genrées.
Droit à la réorientation et à l'affectation effective :
- Passerelles vs. Droit à l'erreur : Le dispositif des passerelles (changement de voie en cours ou fin d'année) est peu appréhendé comme une modalité de droit commun et est souvent présenté comme une "réaction à ce qui est vécu comme un échec".
L'institution scolaire associe les orientations non concluantes des élèves à des choix "strictement personnels", minorant ses propres carences.
La terminologie "droit à l'erreur" est stigmatisante, notamment quand elle réoriente des élèves de la voie générale vers la voie professionnelle, suggérant que leurs ambitions initiales étaient "surdimensionnées".
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Recommandation : Mettre fin à la dénomination de "droit à l'erreur" et privilégier les terminologies de "passerelles" ou de "réorientation".
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Lycéens sans lycée : Le Défenseur des droits est "régulièrement saisi d’élèves qui se voient refuser une affectation dans une formation pourtant choisie et validée [...] faute de places disponibles."
En 2024, "23 600" élèves étaient sans affectation à la rentrée. La priorité est souvent donnée aux élèves non redoublants, créant une inégalité.
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Recommandation : Anticiper et accorder les moyens humains, financiers et matériels nécessaires pour mettre fin aux situations récurrentes d'élèves sans affectation, et augmenter le nombre d'enseignants, de divisions et de dotations horaires globales.
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Droit au maintien dans la classe d'origine : La loi permet aux élèves n'ayant pas obtenu satisfaction pour leur orientation de se maintenir dans leur classe d'origine pour une année.
"Ce n’est pas grave si on perd une année ou deux.
Il faut prendre le temps de se tromper, et se poser sur ses choix."
Ce droit est crucial pour limiter les sorties sèches du système scolaire.
Cependant, il est menacé par des "clauses de résiliation unilatérale" dans les contrats de scolarisation des établissements privés sous contrat, et un "phénomène d’éviction des élèves jugés insuffisamment performants" pour garantir de meilleures statistiques.
V. Recommandations Générales
Le rapport conclut en insistant sur l'urgence de définir des ambitions claires et partagées pour l'orientation scolaire, et de fournir aux professionnels les moyens et un cadre d'action clairs.
Parmi les nombreuses recommandations formulées, on retient :
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Mettre en place un suivi annuel consolidé des actions menées en matière d’orientation dans chaque région, tant quantitatif que qualitatif.
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Permettre à chaque élève d’être accompagné par un collectif de professionnels en nombre suffisant et désigner un référent pilote.
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Garantir l’existence de lieux physiques dédiés à l’information et à l’orientation (bureaux dans les établissements, valorisation des CIO).
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Rendre effectives les heures annuelles d'orientation dans les emplois du temps.
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Lutter contre l'autocensure en développant une information large et non stéréotypée.
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Rapprocher les jeunes des formations en développant une offre équilibrée à travers le territoire.
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Prendre en compte l’éloignement territorial des élèves dans le calcul des bourses.
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Favoriser la mixité en instaurant des actions positives sur le genre dans les filières.
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Anticiper les moyens pour mettre fin aux élèves sans affectation et garantir le droit au maintien dans la classe d'origine.
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Mettre fin aux clauses abusives des contrats de scolarisation dans les établissements privés.