Document de Synthèse : Violence en Milieu Scolaire – Sécurité vs. Santé Mentale
Source : Extraits de "France Culture Questions du soir : Sécurité ou santé mentale, quelles solutions contre la violence à l'école ?". Émission du 16.06.2025.
Invités : * Sylvain Berrios (Député indépendant apparenté Horizon), * Catherine Nafbecti (Secrétaire générale de la CFDT Éducation Formation Recherche Publique), * Johanna Dagorne (Sociologue et chercheuse à l'Observatoire international de la violence à l'école).
Introduction
L'assassinat d'une surveillante de 31 ans à Nogent par un élève de 14 ans a ravivé le débat sur la recrudescence des violences en milieu scolaire.
L'émission explore deux approches principales pour lutter contre ce phénomène : une réponse sécuritaire (portiques, fouilles, sanctions pénales) et une approche axée sur la santé mentale des jeunes (formation du personnel, détection des signaux faibles, augmentation des professionnels de santé scolaire).
I. Constat et Nature de la Violence
Hausse des violences graves mais pas généralisée :
- Catherine Nafbecti observe une angoisse accrue chez les assistants d'éducation et CPE suite au meurtre, notant des recours à des couteaux et tirs de mortiers près des établissements.
Cependant, elle précise : "Nous syndicalement, on n'a pas forcément un retour de nos équipes nous disant c'est une explosion des violences permanentes.
Mais depuis le Covid, beaucoup de collègues nous disent, quel que soit leur métier qu'ils perçoivent que des élèves en plus grand nombre qu'auparavant sont fragiles en terme de rapport aux autres, de rapport à la collectivité".
- Johanna Dagorne contredit l'idée d'une hausse globale de la violence chez les jeunes : "de manière globale, les chiffres de la violence et chez les jeunes diminuent. Par contre ce qu'il se passe qu'il y a davantage de violence paroxistique et puis la question des médias qui fait qu'elle est davantage porté à la connaissance de tous et toutes."
Elle se fonde sur des statistiques montrant une diminution de 4% des faits sur les mineurs l'année dernière, tout en reconnaissant une augmentation des violences "paroxistiques".
Origine de la violence : Société vs. Génération :
- Thèse de la "culture violente générationnelle" (Sylvain Berrios) : Sylvain Berrios suggère que "dans une génération, me semble-t-il un phénomène de culture violente qui existe". Il met en avant l'exposition des jeunes (93% des 15-24 ans ayant joué à GTA) aux jeux vidéo ultra-violents, comme GTA, "qui consiste globalement à tuer des gens dans la rue". Selon lui, cette culture va "marquer de façon assez durablement une génération", créant une "forme de déterminisme".
Il établit un lien entre cette exposition, la perte de repères d'autorité et les actes dramatiques, comme celui de Nogent.
- Contre-thèse : Violence historique, rôle de la masculinité toxique (Johanna Dagorne) : Johanna Dagorne réfute l'idée d'un fait générationnel, citant "La Guerre des Boutons" comme preuve de violences juvéniles passées.
Elle souligne plutôt "la question à la fois du sexe des auteurs, sur la question de la masculinité toxique, sur la question des violences retournées contre autrui."
Elle explique que les filles expriment davantage la violence par des automutilations, tandis que les garçons le font par l'agressivité.
Le cas de l'agresseur de Nogent :
- Le procureur de la République de Chaumont décrit l'accusé comme ayant "une certaine fascination pour la violence et la mort ainsi que pour les personnages les plus sombres des films ou des séries télévisées.
Il est adepte de jeux vidéos violents sans pour autant être addicte". Plus important, il "apparaît en perte de repère quant à la valeur de la vie humaine à laquelle il ne semble pas attacher une importance particulière."
- Sylvain Berrios y voit une combinaison de facteurs : exposition à la violence culturelle, perte de repères d'autorité (il était référent harcèlement mais sans réelle conscience des règles), et l'absence de règles.
II. Solutions Proposées : Sécurité ou Prévention Humaine ?
L'approche sécuritaire : Limites et contre-productivité :
- Portiques et fouilles : Sylvain Berrios mentionne l'intention du gouvernement d'expérimenter des portiques et soutient l'idée de fouilles régulières de sacs.
Cependant, il reconnaît les limites : "vous savez très bien que mois de septembre, il y aura pas des portiques partout.
Donc tout ça et je vous rappelle encore une fois que le drame qui a eu lieu a eu lieu un moment où on a fouillé des sacs, où il y a des gendarmes, où c'était un jeune qui était un bon élève, qui était référent harcèlement."
Catherine Nafbecti et Johanna Dagorne critiquent vivement ces mesures :
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Le couteau de Nogent n'aurait pas été détecté.
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Les fouilles par les forces de l'ordre sont logistiquement complexes, retardent le début des cours et créent des attroupements dangereux aux abords.
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Johanna Dagorne estime que la prévention situationnelle (portiques, vidéosurveillance) "ne va faire qu'augmenter en effet les rencœurs, la colère, les injustices et donc par conséquent va engendrer un manque d'autorité institutionnelle évidemment, mais également des violences."
Elle soutient que la violence étant majoritairement endogène (perpétrée par les élèves eux-mêmes), la prévention doit être "humaine".
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Justice pénale et centres éducatifs fermés : Sylvain Berrios préconise une réponse pénale précoce, y compris des détentions dans des centres éducatifs.
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Johanna Dagorne conteste l'efficacité de l'enfermement : "la dernière enquête de Bran et de Choqué [sur les contrats éducatifs fermés] montre qu'il y a 70 % de réitération de récidive.
On sait très bien que la question de l'enfermement de la coercition et là je suis juste uniquement sur le volet pragmatique, ça ne marche pas, c'est contreproductif."
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L'approche basée sur la santé mentale et l'humain :
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Détection des signaux faibles et formation du personnel :
C'est la priorité de Johanna Dagorne et Catherine Nafbecti.
Un élève "en repli sur soi, lorsqu'il est en décrochage, qu'il a de l'anxiété, une irritabilité soudaine" sont des signes faibles de danger.
- Manque criant de professionnels de santé scolaire :
Les chiffres sont alarmants : "un infirmier pour 1600 élèves, un psychologue pour 1500, un assistant ou une assistante sociale pour 4000 élèves et un médecin scolaire pour 13000 élèves.
Chez les médecins scolaires, le nombre de postes vacants dépasse par ailleurs les 40 %".
- Conséquences du manque de personnel : Les enseignants sont surchargés, n'ont pas le temps de détecter collectivement les élèves en difficulté.
Les médecins et infirmières scolaires, majoritairement des femmes, perdent le sens de leur travail et ne rencontrent plus les élèves.
Il n'y a pas de moyens budgétaires suffisants pour la revalorisation de ces métiers.
- Solution : Revalorisation des métiers du soin : Johanna Dagorne affirme que "c'est la question des métiers du CER qui sont sous-payés.
Donc augmenter les salaires, il y aura beaucoup plus de personnes qui se porteront volontaires. C'est systémique". Catherine Nafbecti partage cet avis, ajoutant la question des conditions de travail et du remboursement des frais de déplacement.
La question de l'autorité et de la justice scolaire :
- Perte d'autorité et de règles (Sylvain Berrios) : Pour Sylvain Berrios, l'absence d'autorité et de règles, combinée à l'exposition à la violence, est un facteur clé des drames.
- Justice scolaire et cohérence (Johanna Dagorne) : Johanna Dagorne met l'accent sur la "justice scolaire", définie comme la cohérence dans les punitions, sanctions et notations.
Les recherches montrent un lien fort entre la justice scolaire perçue par les élèves et la baisse des violences. Des évaluations encourageantes sont préférables à la coercition.
- La "violence institutionnelle" (Catherine Nafbecti) : Catherine Nafbecti évoque la "violence institutionnelle" qui peut être analysée philosophiquement et sociologiquement.
Elle questionne si la justice scolaire, bien qu'importante pour éviter le sentiment d'injustice, est suffisante pour prévenir les violences extrêmes.
Elle souligne le manque de moyens pour que les enseignants puissent être attentifs au harcèlement et aux signes de dégradation de la santé mentale.
III. Le Rôle des Familles et la Co-éducation
Responsabilisation des familles :
- Sylvain Berrios insiste sur le lien entre famille et école : "Je pense qu'on doit s'interroger sur le lien entre la famille et l'école à avoir une corrélation très très forte entre la famille et l'école."
Il déplore que l'école ait parfois pris le pas sur les parents dans l'éducation. Il observe que les familles aisées et instruites accompagnent mieux leurs enfants que les familles fragiles. * Il suggère une "fusion" ou une "accroche" entre la santé scolaire et la santé familiale.
Limites et culpabilisation :
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Johanna Dagorne estime que demander un effort aux parents les plus éloignés du système scolaire est "au mieux illusoire au pire culpabilisant", dans un système éducatif de plus en plus compétitif et "en train de trier l'élite plutôt qu'à réduire les inégalités sociales et scolaires".
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Catherine Nafbecti défend les parents, affirmant qu'ils ont "à cœur de bien éduquer leurs enfants" et qu'ils ne sont pas démissionnaires, même dans les cas dramatiques comme celui de Nogent.
Elle souligne aussi le manque de temps des parents qui travaillent pour participer aux réunions scolaires.
Conclusion
- Le débat met en lumière une situation complexe, où les solutions sécuritaires, bien que politiquement visibles, sont jugées inefficaces et potentiellement contre-productives face à une violence majoritairement interne à l'école.
L'accent est mis sur l'urgence d'investir massivement dans la santé mentale des jeunes, via la revalorisation et l'augmentation des professionnels de santé scolaire, ainsi que sur une approche humaine de la prévention, fondée sur la détection des signaux faibles et une "justice scolaire" cohérente.
La co-éducation entre famille et école est jugée essentielle, mais doit se faire sans culpabilisation des parents les plus fragiles.