Compte-rendu détaillé : Éducation Populaire et Liens avec l'École
Source : Extraits de "France culture être et savoir Tuerie dans un lycée de Nantes L'éducation populaire, quelles relations avec l'école 11192-28.04.2025-ITEMA_24116950-2025C14993S0118-NET_MFC_1282E914-3484-4849-8E09-1FE806076BE5-21.mp3"
Introduction : Un événement tragique comme point de départ et la nécessité de l'éducation populaire
L'émission s'ouvre sur le rappel d'une attaque au couteau survenue le 24 avril dans un lycée privé de Nantes, Notre Dame de toutes aide, où un élève de seconde a poignardé quatre camarades, causant la mort d'une lycéenne.
L'agresseur, Justin P., 16 ans, était inconnu des services de police et ses camarades le décrivent comme "un jeune homme perturbé".
Suite à cet événement, la sociologue Nathalie Paton, spécialiste des school shootings aux États-Unis, intervient pour commenter les réactions politiques, notamment la proposition du Premier ministre d'installer des portiques de sécurité.
Elle juge cette mesure "démesurée et presque légèrement délirante" dans le contexte français, soulignant que les school shootings sont un phénomène isolé en France, contrairement aux États-Unis où ils sont quotidiens et où de telles mesures n'ont pas prouvé leur efficacité, pouvant même générer un sentiment d'insécurité.
L'analyse des motivations de l'agresseur tend vers une "belle psychose" et un "délire", comme en témoigne un manifeste mêlant des références disparates (Hitler, Écoid).
Nathalie Paton souligne l'importance d'une approche psychiatrique pour comprendre cet acte, soulignant que le jeune homme était "clairement très mal, très délirant" et que son acte a été un "passage à l'acte" débordant d'une "grande angoisse".
Thème central : Le sous-financement de la pédopsychiatrie et de la médecine scolaire
Le cas de Nantes met en lumière les graves lacunes de la prise en charge de la santé mentale des jeunes en France. Nathalie Paton insiste sur l'état "extrêmement préoccupant" de la pédopsychiatrie française et le "délaiement" de la médecine scolaire.
Elle s'interroge sur l'absence de repérage et de prise en charge préalable de l'agresseur : "Qu'est-ce qui fait que il n'avait pas été pris en charge avant ?
Ça ça paraît difficile de penser que ça allait déborder pour la première fois ce jour-là."
Elle dénonce le manque de psychologues scolaires et le fait que la psychiatrie soit considérée comme une "médecine pauvre" par les politiques publiques, manquant cruellement de "politiques et d'investissements".
Cette première partie de l'émission sert de tremplin pour aborder le rôle crucial de l'éducation populaire dans la construction du lien social et la prévention, en complément de l'école.
L'Éducation Populaire : Histoire, Valeurs et Fonctions L'émission explore ensuite en détail le monde de l'éducation populaire, souvent invisible mais pourtant essentiel pour deux tiers des enfants et adolescents français (périscolaire, centres de loisirs, colonies de vacances, activités sportives et artistiques).
1. Fondements et mission historique : Former le citoyen éclairé
- Hélène Lacassagne, présidente de la Ligue de l'enseignement (créée en 1866 par Jean Macé), souligne la vocation profondément politique et républicaine de l'éducation populaire : "Les fondements même sont des fondements tout à fait républicains.
Il s'agit de faire en sorte que le vote populaire soit pas ne soit pas détourné parce que parce que ce vote populaire ne serait pas éclairé."
L'objectif est de "favoriser la création d'une école d'une école publique laïque" et de "former les citoyens pour que la démocratie s'exerce vraiment dans la République."
La Ligue agit "un mouvement complémentaire de l'école publique et elle agit y compris au sein de l'école publique."
2. Une éducation "au côté ou à côté de l'école" : Complémentarité et différences
L'éducation populaire se positionne en complément de l'école, mais avec des approches différentes. Wahid Ben Hamed, directeur du centre de formation des CEMÉA Île-de-France, insiste sur la nature des métiers de l'éducation populaire : "C'est des métiers du lien social.
C'est des métiers de la cohésion sociale." Il met en avant la dimension collective de l'apprentissage : "On apprend ensemble on apprend lorsqu'on se met autour d'objets communs."
Distinction fondamentale : L'absence de jugement et de compétition
Une différence majeure avec l'école est l'absence de jugement et d'évaluation. Laurent Bess, maître de conférence en histoire contemporaine, explique que "les animateurs par principe refusent de juger que ce soit les pratiques ou les réalisations des enfants alors que bah l'enseignant, il dit ce qui est vrai, ce qui est faux, ce qui est juste, ce qui est bon."
Cette approche favorise une "volonté de conserver la cohérence du groupe" en "abolissant ce jugement qui crée effectivement des différences entre les enfants."
Wahid Ben Hamed renchérit en affirmant : "C'est pas un concours, c'est jamais c'est ce qui différencie par exemple de la profession d'enseignant."
Pour lui, l'enjeu est de "réinterroger les représentations du groupe" pour "favoriser l'émancipation".
Il cite l'exemple du sport où l'on peut "imaginer autre chose" que le simple fait de gagner ou de perdre.
3. L'évolution de l'éducation populaire : Des cours du soir aux loisirs émancipateurs
Laurent Bess retrace l'histoire de l'éducation populaire, situant son "âge d'or" entre l'entre-deux-guerres et les années 1970.
Si au 19ème siècle, elle était davantage centrée sur des modèles scolaires (cours du soir), elle se transforme dans l'entre-deux-guerres autour de la "démocratisation des loisirs", visant à permettre aux enfants des milieux populaires d'accéder à de nouvelles pratiques (artistiques, sportives, plein air).
Des instituteurs ont d'abord encadré ces activités via les "œuvres laïques", avant d'être progressivement remplacés par des professionnels, les "animateurs socioculturels".
Aujourd'hui, l'accent est mis sur "l'aspect non scolaire de l'éducation populaire sur la reconnaissance des individus l'accent mis sur des relations qui se veulent horizontales des pratiques qui se veulent ludiques qui visent à former toujours."
Bien que l'ambition de former le citoyen demeure, le contenu politique est "moins mise en avant".
4. Le rôle crucial du "vivre ensemble" et de la "transformation sociale"
Patricia Ménard, directrice du périscolaire pour l'école du Four au sein de la Fondation Léo Lagrange (fondée en 1936), insiste sur les valeurs de son institution : "le vivre ensemble, la découverte et l'épanouissement de l'enfant et la mixité culturelle."
Elle définit le "vivre ensemble" comme "partager, c'est être ensemble, essayer de comprendre les autres, c'est vivre ensemble en tant que citoyen aussi sur un dans le loisir au sein de l'école, d'avoir les mêmes règles de l'école et du loisir, c'est être un enfant parmi toute une collectivité et être à plusieurs pour être bien en fait."
- Mohamed Magassa, coordinateur au centre de ressources documentaires des CEMÉA Île-de-France et président de l'association Reconnectus, met en avant l'importance de "rendre acteurs" les jeunes, de les "accompagner sur ces actions" pour qu'ils "s'approprient l'émancipation".
Il souligne que l'éducation populaire vise la "transformation sociale", en "essayant d'ouvrir une porte et de s'approprier en fait ce qu'on lui propose."
Défis et Perspectives de l'Éducation Populaire
1. La précarité des financements et ses conséquences
La question du financement est jugée "cruciale" par Hélène Lacassagne. Mohamed Magassa explique que son association dépend "systématiquement" de "subventions" et "d'appels à projet".
Hélène Lacassagne déplore que les appels à projet et les marchés publics se soient "substitués à la subvention", ce qui pose un "une vraie difficulté parce que le diagnostic n'est plus porté par l'association."
Elle regrette que cela mette en danger la "capacité d'innovation" des associations, autrefois moteurs de dispositifs comme les bibliobus.
- Elle critique également le fait que le système actuel "met en concurrence les associations là où naturellement quand on travaille sur un territoire... le travail de l'éducation populaire, c'est de mettre en réseau, c'est de construire du projet sur un diagnostic partagé avec d'autres associations, d'autres acteurs."
Ce modèle, qui exige du temps, est menacé par des politiques publiques qui ne "rencontrent pas les personnes pour lesquelles elle a été inventée", car le "dernier kilomètre, c'est le premier" pour les acteurs de terrain.
2. Le défi de l'attractivité des métiers et de l'innovation pédagogique
Les métiers de l'éducation populaire sont "pas très bien payés".
La motivation des professionnels comme Cyriel, une animatrice Léo Lagrange qui a créé l'atelier "raconte-toi", réside dans le sens de leur travail : "Je n'ai pas l'impression d'aller au travail.
En fait tous les jours, on a une situation différente et moi je trouve que c'est une chance de pouvoir leur transmettre des valeurs et les écouter."
Wahid Ben Hamed insiste sur "l'innovation pédagogique" au sein des centres de formation des CEMÉA, qui accueillent de nombreux jeunes ayant "une méfiance et une réticence au fait d'apprendre" suite à un "échec" ressenti vis-à-vis de l'Éducation Nationale.
L'approche des CEMÉA est non-verticale : "on part du principe que les gens qui sont ici et les apprenants ont des choses à nous apprendre nous à formateur en tant que formateur. Ils ont des des choses à apprendre au groupe qui est là."
L'exemple de la "Newton Room" au collège Jean-Mermoz d'Angers, un atelier scientifique scandinave, illustre cette volonté d'innover pour rendre les mathématiques "concrètes" et offrir des outils de qualité.
Ce type de partenariat vise à valoriser l'école publique et à lui donner une "étiquette" pour "exister sur des des établissements qui ont pignon sur rue" (privés).
3. Accueillir tous les publics et déconstruire les sujets sensibles
- L'éducation populaire s'adresse à l'ensemble de la population, y compris les "milieux populaires" qui ressentent un fort "sentiment de relégation".
Hélène Lacassagne souligne la nécessité d'une approche qui ne soit pas seulement "prestataire" mais qui permette de "recréer une relation, de remettre les de faire vraiment éducation populaire, c'est-à-dire de mettre les personnes en situation, de porter l'action, d'être non pas dans une relation de de consommation d'une action, mais d'être associé au diagnostic, au faire et à l'évaluation de la chose de façon à ce que les personnes se sentent reconnu en égale dignité avec les autres citoyennes, les autres citoyens."
Mohamed Magassa explique comment son association Reconnectus aborde les "questions vives" avec les jeunes.
Ces derniers "ramènent en fait les sujets qu'ils avaient entendu à l'école pour les déconstruire avec nous", abordant par exemple la discrimination avant la laïcité.
Leur propre expérience de la discrimination leur permet de mieux accompagner les jeunes : "le sujet de la laïcité s'impose à travers la discrimination."
Conclusion
- L'émission met en lumière la fragilité de la pédopsychiatrie et de la médecine scolaire en France, des lacunes qui peuvent avoir des conséquences dramatiques comme le cas de Nantes.
Face à cela, l'éducation populaire apparaît comme un pilier essentiel, bien que souvent sous-estimé et sous-financé.
Son rôle complémentaire de l'école, axé sur le lien social, l'émancipation individuelle et collective, et l'absence de jugement, en fait un acteur clé pour répondre aux besoins des jeunes et des familles.
Cependant, la pérennité et la capacité d'innovation de l'éducation populaire sont menacées par les modes de financement actuels, qui entravent la co-construction de projets adaptés aux réalités du terrain et au "premier kilomètre" des citoyens.
Le plaidoyer des intervenants est clair : reconnaître et soutenir davantage ce secteur pour qu'il puisse continuer à former des citoyens éclairés et à renforcer le tissu social.