Synthèse d'une Recherche sur les Associations et leurs Territoires
Synthèse
Ce document de synthèse présente les principaux enseignements d'un travail de recherche doctoral analysant les relations complexes entre les associations et leurs territoires.
La recherche démontre que le territoire d'une association n'est pas une simple donnée géographique, mais une construction dynamique et relationnelle façonnée par les interactions, les ressources mobilisées et les proximités (géographique, organisationnelle, institutionnelle) avec un écosystème d'acteurs.
L'étude distingue une zone d'activité, souvent locale, d'une zone d'influence (liée au projet associatif) beaucoup plus large, soulignant que ces deux dimensions sont complémentaires.
Il ressort que la coopération, centrale dans ce processus, est fortement guidée par l'appartenance sectorielle et le partage de valeurs, ce qui a des implications directes sur la recherche de financements et la légitimité des associations.
La méthodologie mixte, combinant une analyse quantitative nationale de 1600 bassins de vie et une étude qualitative approfondie de huit territoires, confère une robustesse significative à ces conclusions.
Ces travaux offrent des arguments concrets pour le plaidoyer, permettant aux associations de mieux valoriser leur contribution multidimensionnelle au développement et à l'attractivité des territoires.
1. Contexte et Problématique de la Recherche
Un Contexte Institutionnel en Tension
La recherche s'inscrit dans un contexte institutionnel marqué par un "vrai questionnement aujourd'hui et mise en péril du monde associatif". Cette tension est illustrée par une dichotomie fondamentale :
• D'une part, une reconnaissance croissante de l'importance des associations. Un rapport de la Cour des comptes de septembre souligne que "les associations mettent en œuvre des activités sociales relevant du périmètre de l'État", attestant de leur rôle crucial dans la "soutenabilité et la durabilité voir l'inclusion de notre société".
• D'autre part, une remise en cause systématique de leurs financements et de leur existence même.
Cette situation crée un paradoxe entre la vision nationale, qui reconnaît leur apport systémique, et les réalités territoriales, où la légitimité des associations à agir et à être financées est constamment interrogée.
L'Enjeu de la Relation au Territoire
La question centrale qui motive la recherche est de qualifier la relation entre les associations et les territoires. Le financement et la légitimité d'une association sur un territoire sont souvent liés à son périmètre géographique d'influence et d'activité. La recherche vise donc à dépasser l'idée que les associations sont simplement "non délocalisables". En effet, une association peut fermer des postes dans une ville pour en ouvrir dans une autre, ce qui constitue une forme de délocalisation. Le travail de recherche se propose de déconstruire la notion de "local" pour analyser comment une association passe de la simple localisation (présence dans un espace) à l'ancrage (relations établies) et à la territorialisation (devenir une composante spécifique et indissociable du territoire).
2. Le Cadre du Projet de Recherche Doctoral
Cette recherche est menée dans le cadre d'une thèse en CIFRE (Convention Industrielle de Formation par la Recherche) au sein du Réseau National des Maisons des Associations (RNMA), débutée en 2022.
Le Réseau National des Maisons des Associations (RNMA)
Le RNMA est un réseau national dont les membres sont des Maisons des Associations (MDA), qu'elles soient de statut associatif ou des services municipaux. Ses missions incluent :
• Faire remonter les problématiques du niveau local au niveau national.
• Accompagner le métier d'accompagnateur de la vie associative.
• Développer l'ingénierie, notamment en accompagnant la mise en place d'observatoires locaux de la vie associative, considérés comme des outils de co-construction de politiques publiques.
Les Objectifs de la Thèse
La thèse vise à qualifier et interpréter les relations entre les associations et le territoire à travers trois objectifs principaux :
1. Identifier et qualifier les variables socio-économiques qui expliquent la présence des établissements associatifs employeurs sur un territoire (approche quantitative).
L'hypothèse est que le tissu associatif est lié aux caractéristiques historiques, géographiques et culturelles d'un lieu.
2. Tester et démontrer les relations entre les caractéristiques du territoire et les caractéristiques organisationnelles et sectorielles des associations (approche qualitative).
3. Identifier les facteurs de diversité des associations, en analysant le processus qui mène de la localisation à la territorialisation.
3. Cadre Conceptuel et Méthodologie
Définitions Opérationnelles : Association et Territoire
La recherche s'appuie sur des définitions précises pour structurer son analyse :
• L'Association :
Elle est appréhendée non pas par sa définition juridique (loi 1901), mais comme une "forme organisationnelle construite" qui associe de manière intrinsèque une activité (réponse à des besoins) et un projet collectif.
Elle mobilise pour cela des moyens humains (bénévoles, militants, salariés) et matériels.
• Le Territoire : Il n'est pas considéré comme un espace géographique statique, mais comme "une construction qui vient de l'histoire de la fondation de la structure [...] et surtout des interactions qu'elle va avoir avec d'autres organisations". Le territoire est donc le produit des relations entre les acteurs.
Une Approche Méthodologique Mixte
La robustesse de l'étude repose sur une méthodologie en deux temps :
1. Phase Quantitative :
◦ Périmètre : Environ 1600 "bassins de vie" (définition INSEE) en France métropolitaine.
◦ Analyse : Une méthode statistique a été utilisée pour croiser les caractéristiques socio-démographiques des bassins de vie (pyramide des âges, revenus, types d'emplois) avec la présence d'établissements associatifs employeurs (données INSEE Floress 2021).
◦ Résultat : L'analyse a permis de répartir l'ensemble des bassins de vie en trois grands groupes ("clusters"), c'est-à-dire trois familles partageant des caractéristiques similaires dans l'articulation entre leur profil socio-économique et la présence associative.
2. Phase Qualitative :
◦ Échantillon : Huit bassins de vie ont été sélectionnés, représentatifs des trois clusters et caractérisés par la présence d'une Maison des Associations (associative ou municipale).
Les territoires étudiés sont : Grenoble, Dijon, Amiens, Concarneau, Montrevault-sur-Èvre, Niort, Crayon et Mauguio.
◦ Collecte de données : 28 entretiens semi-directifs ont été menés (3 à 4 par bassin de vie) avec des associations de tous secteurs, employeuses comme non employeuses.
Le choix de se concentrer initialement sur les associations employeuses pour la partie quantitative s'explique par la disponibilité de données statistiques fiables et consolidées au niveau national (via les déclarations URSSAF), ce qui n'est pas le cas pour les associations non employeuses.
4. Étude de Cas : Le Bassin de Vie de Dijon
Pour illustrer la démarche d'analyse, le cas d'une association culturelle dans le bassin de vie de Dijon est présenté.
Caractéristiques Socio-économiques du Territoire
Indicateur
Donnée
Département
Côte-d'Or
Évolution de la population (2016-2021)
+2,5 %
Structure démographique
23 % de moins de 20 ans, 26 % de retraités
Catégories socio-professionnelles
11 % de cadres
Économie
83 % de l'emploi dans le secteur tertiaire
Tissu associatif employeur
947 établissements, générant près de 13 000 salaires
Le territoire est perçu par les acteurs locaux comme offrant une bonne qualité de vie ("bon vivre"), avec une université, une offre culturelle importante, mais aussi un côté "un petit peu bourgeois".
Modélisation d'une Association Culturelle
• Objet : Association de musique électronique, créée en 2004 par des passionnés suite à la fermeture d'un club.
• Structuration : D'abord bénévole, elle se professionnalise à partir de 2012 et compte aujourd'hui 3 salariés et une gouvernance de 8 personnes.
• Activités :
◦ Programmation/Production : Concerts, festivals. ◦ Création : Studios de mixage.
◦ Militantisme : Promotion de la musique électronique, professionnalisation du secteur, et mise en avant des valeurs de tolérance et de diversité.
◦ Publics diversifiés : Ateliers en EHPAD, sensibilisation pour les jeunes en MJC, "booms" pour enfants.
• Écosystème : L'association interagit avec de multiples acteurs à différentes échelles (commune, métropole, département, national) :
- autres associations (culturelles, environnementales),
- la MDA municipale,
- les financeurs institutionnels (Ville, DRAC, Conseil Régional), et
- des réseaux (Ligue de l'enseignement, fédérations culturelles).
Analyse via le Prisme des Proximités
La relation entre l'association et son écosystème est analysée à travers trois types de proximités :
• Proximité Géographique : Évidente avec ses salariés, son public local, les EHPAD, les MJC et les autres associations locales. Elle facilite la rencontre et la coopération.
• Proximité Organisationnelle : Le partage de modes de fonctionnement.
Elle existe avec toutes les associations (gouvernance démocratique, non-lucrativité) mais est beaucoup plus forte avec les associations du même secteur culturel, qui partagent des règles et des logiques d'action communes (ex: organiser un festival).
• Proximité Institutionnelle : Le partage de valeurs et de normes. De même, si des valeurs comme la solidarité sont partagées largement dans le monde associatif, cette proximité est nettement plus marquée au niveau sectoriel.
5. Principaux Résultats et Conclusions Transversales
L'étude de cas et les autres entretiens permettent de dégager des conclusions plus générales.
Le Territoire : Une Construction Dynamique et Relationnelle
Les résultats montrent que les associations ne sont pas simplement "localisées".
Leur capacité à s'ancrer et à se territorialiser repose sur des mécanismes complexes où la coopération occupe une place centrale.
Le territoire n'est donc "pas du tout figé ni fixe, il est tout à fait dynamique" ; il est multi-scalaire, multi-acteurs, et incarné par la capacité des associations à mobiliser des ressources et des proximités.
Distinction entre Zone d'Activité et Zone d'Influence
Une distinction fondamentale est établie :
• La Zone d'Activité : L'espace où se déploient les activités concrètes de l'association. Dans le cas de Dijon, elle est principalement concentrée sur la commune et la métropole.
• La Zone d'Influence : L'espace beaucoup plus large sur lequel rayonne le projet associatif (le militantisme, les valeurs, la reconnaissance du mouvement). Elle "dépasse largement tous ces périmètres là".
Ces deux zones sont complémentaires et dynamiques.
Le Rôle Central des Proximités et du Secteur d'Activité
• La Proximité Géographique est structurante : Elle est la condition première de la rencontre et de la connaissance mutuelle.
Les MDA jouent un rôle clé de "lieu ressources" et de "facilitateurs".
• Le Secteur d'Activité est déterminant : Les proximités organisationnelle et institutionnelle sont décuplées au sein d'un même secteur.
Les associations d'un même domaine partagent des règles, des logiques et surtout des valeurs spécifiques beaucoup plus fortes.
• Les Valeurs comme guide de l'action : La proximité institutionnelle (le partage de valeurs) est un facteur crucial pour la coopération et la recherche de financement.
Comme l'indique un verbatim marquant de l'étude : "On travaille pas avec quelqu'un tout court si on n'a pas les mêmes valeurs".
6. Implications pour le Plaidoyer Associatif
Les résultats de cette recherche offrent des pistes concrètes pour que les associations valorisent leurs activités auprès des acteurs publics et des financeurs.
1. Dépasser la logique de l'activité seule : Il est crucial de montrer que l'association ne se résume pas à son activité (qui contribue à l'attractivité et au développement local), mais qu'elle possède également un projet et une zone d'influence qui rayonnent bien au-delà.
2. Démontrer l'effet de levier : Un financement local (par exemple, "1 € d'un acteur d'une commune") n'est pas une simple subvention.
Il a un effet levier qui permet d'aller chercher d'autres financements à d'autres échelles (régionale, nationale), contribuant ainsi au rayonnement global de l'association et du territoire.
3. Valoriser l'attraction de ressources externes : Les associations, par leur réseau et leur zone d'influence, attirent des ressources extérieures (artistes, expertises, financements) qu'elles mettent à disposition des habitants et du territoire, renforçant ainsi son attractivité.