Synthèse détaillée des thèmes et faits marquants de la présentation de Valérie Masson-Delmotte
- Cette synthèse reprend les points essentiels de l'intervention de Valérie Masson-Delmotte sur les attaques contre les sciences du climat et de la durabilité, en contextualisant ces attaques par rapport aux faits scientifiques établis et en explorant les liens avec la vie démocratique et l'action climatique.
I. Les attaques contre les sciences du climat et de la durabilité : Une nouvelle phase d'obstruction systémique
- Valérie Masson-Delmotte introduit son intervention en situant sa propre expérience de recherche, notamment sur la géoingénierie polaire, comme une "distraction ou une diversion coûteuse" qui s'inscrit dans un contexte plus large d'attaques.
Elle décrit une "nouvelle phase" dans les politiques favorables aux énergies fossiles, caractérisée non plus par un simple "rideau de fumée" de désinformation, mais par une "obstruction tous azimuts".
A. Le Projet 2025 et ses objectifs
Cette nouvelle phase, pensée par le Projet 2025, est motivée par la clarté des connaissances scientifiques et la capacité croissante à répondre aux besoins humains sans énergies fossiles.
L'objectif est de "détruire la capacité à produire ces faits scientifiques".
Les actions concrètes de l'administration Trump (si elle était réélue, nommée "Trump 2" dans le texte) incluent :
- Affirmation d'une "urgence énergétique" et obstruction à la transition énergétique.
- Suppression des étiquettes énergie des politiques favorables aux énergies fossiles.
- Arrêt du plan Biden Inflation Reduction Act, favorable aux technologies propres.
- Destruction des "pierres angulaires du droit de l'environnement", notamment le suivi des espèces menacées.
- Ciblage de la décision de l'EPA (Endangerment Finding) classant les émissions de six gaz à effet de serre comme "dangereux pour le bien-être et la santé humaine".
B. Méthodes d'intimidation et de démantèlement
Les attaques se traduisent par :
- Intimidation des organisations scientifiques, menaces de coupes budgétaires et leur réalisation.
- Censure par mots clés et "licenciements massifs".
- Suppression de contenu lié au changement climatique sur les sites ministériels.
- Interdictions de formation intégrant les aspects liés au changement climatique.
- Démantèlement de la capacité à produire des connaissances, notamment sur la santé environnementale à l'EPA.
- Arrêt de financements de programmes de recherche sur le changement climatique et la santé pour le ministère de la Défense.
- Sabotage de la capacité de suivi de l'état de l'atmosphère, entraînant la dégradation des prévisions météorologiques et la fermeture d'agences d'alerte.
- Affaiblissement des capacités de suivi des lois environnementales (Endangered Species Act, Marine Mammal Protection Act).
- Destruction de la capacité d'évaluation nationale sur le changement climatique (US Global Change Research Program).
- Démantèlement de l'Office of Global Change au Département d'État, affectant la participation américaine aux instances internationales (IPCC).
- Coupes budgétaires massives par mots clés (NSF, NOAA, NASA) visant à éliminer les laboratoires de recherche sur l'atmosphère, l'océan, l'Antarctique, et les instituts coopératifs.
- Harcèlement (ex: arrêt du paiement du bail pour le laboratoire commun Columbia NASA).
- Décimation des centres d'adaptation au changement climatique, d'information sur l'énergie et des centres sur les sciences de l'eau.
- Volonté de démanteler l'agence de réponse rapide en cas de catastrophe.
- Ciblage du suivi des émissions de gaz à effet de serre, des centres de modélisation et des aspects liés aux injustices environnementales.
- Masson-Delmotte souligne l'interdiction explicite de mots clés tels que "atténuation", "gaz à effet de serre", "changement climatique", "science du climat", "risque climatique", "résilience", "justice environnementale", "pollution", "vulnérabilités", "evidence-based" et "science-based". Cette méthode, déjà observée sous Trump 1 à l'EPA, est désormais "généralisée", avec des leçons tirées pour une action "à une échelle plus large".
II. Le constat scientifique, "trop clair" et "très clair"
- La présentation met en lumière l'état actuel et l'évolution des indicateurs clés du système climatique, soulignant l'urgence et l'ampleur de l'influence humaine.
*** A. Émissions et concentrations de gaz à effet de serre**
- Émissions mondiales : Continuent d'augmenter, mais "moins vite sur la dernière décennie que précédemment". 24 pays ont réduit leurs émissions grâce à des politiques publiques efficaces.
- Chine : Les émissions n'ont pas augmenté depuis environ un an, grâce à l'électrification des mobilités et le déploiement des énergies renouvelables.
- Gaz à effet de serre fluorés : Baisse due à l'effet du Protocole de Montréal.
- Composés soufrés : Leur réduction (effet refroidissant) contribue à dévoiler l'effet réchauffant des gaz à effet de serre.
- Concentrations atmosphériques : Continuent d'augmenter, particulièrement vite pour le CO2 en 2023-2024, en partie à cause de l'effet El Niño qui a "fragilisé le puits de carbone terrestre". Le Global Carbon Project estime que l'effet climat a sapé "environ 27 % de l'augmentation du puits de carbone terrestre".
- Forçage radiatif : L'influence humaine atteint environ "3 W par mètre carré", avec un rythme d'augmentation sur la dernière décennie "encore plus fort que la décennie précédente".
B. Réchauffement climatique et ses conséquences
- Déséquilibre énergétique de la Terre : A augmenté pour atteindre "1 W par mètre carré".
- Réchauffement observé :
- Moyenne planétaire : "1,24°C" sur la dernière décennie.
- Océan : "1°C".
- Continents : "environ 1,8°C".
- Part attribuable aux activités humaines : "1,22°C" sur les 1,24°C observés.
- Rythme de hausse : "0,27°C de plus par décennie".
- Réchauffement attribuable à l'influence humaine (extrapolé) : "1,36°C plus chaud".
- Dépassement des seuils : Atteindre "plus d'un degré et demi comme en 2024 pour la première fois, c'est une chance sur 6" ; avec El Niño et variabilité chaude Atlantique Nord, "c'est une chance sur deux".
- Montée du niveau de la mer : "Quasiment 23 cm depuis 1900".
Rythme sur les 10 dernières années : "plus de 4 mm par an" avec une accélération due à l'accumulation de chaleur dans l'océan et la contribution croissante du Groenland et de l'Antarctique.
C. Attribution des responsabilités
Les méthodes d'attribution, développées par Klaus Hasselman, "n'ont fait que s'affiner pour un constat qui est vraiment très clair maintenant".
- Responsabilité historique par pays (depuis 1851) :
- États-Unis : "premier responsable du réchauffement à ce jour".
- Chine : "2e rang", devant l'Union européenne à 27.
- Certaines analyses suggèrent que l'effort de décarbonation en Chine pourrait faire qu'elle "ne rattrape jamais le niveau de responsabilité des États-Unis".
- Tensions géopolitiques : Les pays en développement estiment que l'Accord de Paris "remet à zéro" la responsabilité historique, tandis que les pays industrialisés et exportateurs d'énergies fossiles sont plus à l'aise avec cette approche.
- Pays les moins développés : "6 % des de contribution au réchauffement historique", alors qu'ils sont "le milliard de personnes qui vit dans l'ensemble des pays les moins développés" et sont les plus vulnérables.
- Responsabilité par catégorie de revenus (étude de 2024, incluant consommation et investissements) :
- "2/3 du réchauffement est attribuable au top 10 %" des émetteurs mondiaux depuis 1990.
- "1/5 au top 1 %" des émetteurs.
- Si tout le monde avait le même train d'émissions que les 10 % les plus riches, le réchauffement aurait déjà été de "3 degrés au lieu de 0,6°C depuis 1990".
- Le top 10 % contribue "6 et demi fois plus" que la moyenne planétaire par personne.
- Les émissions du top 10 % en Chine ou aux États-Unis ont une responsabilité "deux à trois fois plus grande que la moyenne de la population mondiale sur l'augmentation des vagues de chaleur dans des régions particulièrement vulnérables".
- Responsabilité des acteurs économiques : Application de la méthode d'attribution "end-to-end" (émission -> réchauffement -> événement extrême -> coût des dommages) aux "plus grandes supermajors pétrolières".
- Les cinq plus grandes entreprises pétrolières et gazières mondiales sont responsables depuis 1991 d'"environ 2 000 milliards de dollars de pertes économiques uniquement liées à la chaleur extrême".
- Ces constats "dérangent bien sûr" et posent la question de la "responsabilité par rapport aux pertes et dommages".
- Droits des générations futures : L'exposition "sans précédent" aux extrêmes climatiques des jeunes générations. Pour les personnes nées en 2020 :
- Si le réchauffement est limité à 1°C, "52 % de cette génération sera exposée de manière inédite".
- Si le réchauffement atteint 3°C, "la quasi-totalité de cette génération" (plus de 90 %) sera exposée de manière inédite.
- Ces connaissances scientifiques "très claires" peuvent "nourrir... des contentieux juridiques, des délibérations politiques" et sont perçues comme "hostiles" par certains acteurs économiques ou catégories de la population qui "tirent partie de la situation actuelle".
III. Démocratie et action climatique : Des liens cruciaux et des défis
Valérie Masson-Delmotte explore les liens entre la gouvernance démocratique et la capacité à mettre en œuvre une action climatique efficace, soulignant les vulnérabilités et les leviers d'action.
A. Trajectoires socio-économiques et risques
Le scénario de
- "rivalité régionale",
- "résurgence du nationalisme",
- "préoccupation en matière de compétitivité sécurité",
- "perte d'une vision plus large",
- "baisse des investissements dans l'éducation et le développement technologique",
- "développement économique lent",
- "consommation à forte intensité matérielle",
- "aggravation d'inégalité",
- "faible priorité aux problèmes environnementaux",
- "forte dégradation de l'environnement" (SSP3)
est le scénario "à plus haut risque" pour l'atténuation et l'adaptation. * Il existe un "jeu d'acteur organisé puissant ancré dans le national conservatisme qui vise en fait à créer une bifurcation par rapport aux tendances récentes au focus mis sur la soutenabilité créer une bifcation vers ce type de trajectoire".
B. Démocratie comme levier d'action climatique
- Réduction des émissions : "24 pays qui l'ont déjà réduit les ont déjà réduites fortement dans la durée tous des démocraties".
- Politiques publiques efficaces : Une étude comparant 1500 politiques publiques montre que "60 des 63 exemples de combinaison de politique publique efficace sont des pays qui ont des indices de démocratie parmi les plus élevés". Les exceptions sont l'Arabie Saoudite et la Chine.
- Caractéristiques des démocraties efficaces : "Pluralisme, la liberté de la presse, le dynamisme de la société civile, contrôle de la corruption".
- Capacités de transformation (selon le GIEC) : Vont de pair avec la capacité de "délibérer, de construire des transitions justes qui tiennent compte des inégalités des vulnérabilités des droits humains des enjeux de cohésion sociale", l'engagement des parties prenantes (y compris la jeunesse), le renforcement des processus délibératifs (assemblées citoyennes), des rôles clairs pour les pouvoirs publics, et un suivi et évaluation.
C. Obstacles démocratiques à l'action climatique
- Clientélisme et corruption : Le développement démocratique n'est associé à la réduction des émissions que dans les pays "qui ont un faible niveau de clientélisme et de corruption".
- Rente des énergies fossiles : Les "effets de rente liés aux énergies fossiles sapent les institutions et la capacité à mettre en œuvre de manière efficace les lois et régulation environnementale". Les pays dépendants de l'extraction de pétrole et de gaz ont souvent des "difficultés de contrôle de la corruption" et maintiennent des "subventions élevées aux énergies fossiles".
- Inégalités de revenus : Sapent la capacité à agir efficacement. Dans les pays les plus inégalitaires, les personnes à hauts revenus (très émettrices) "s'opposent au renforcement de la régulation environnementale" et leur opposition est renforcée par la possession de médias privés et le contrôle des réseaux sociaux.
En conclusion, Valérie Masson-Delmotte souligne l'importance de "renouveler et vivifier la vie démocratique" face aux attaques des discours populistes et du contrôle de la désinformation.
Le "renforcement des délibérations qui s'appuient sur les connaissances et les faits est pour moi un levier d'action critique par rapport à la défense de la capacité de délibération des sociétés démocratiques vis-à-vis du renforcement de l'action pour le climat".