Compte-rendu détaillé : La prévention en santé, passons aux actes !
- Ce document de synthèse est basé sur les discussions et présentations tenues lors de la séance plénière du CESE consacrée à la prévention en santé, avec un accent particulier sur la santé au travail.
Il vise à identifier les thèmes principaux, les idées clés et les faits marquants soulevés par les différents intervenants, en incluant des citations pertinentes.
1. La Prévention : Un Enjeu Sociétal Majeur et Sous-Estimé
- L'ensemble des intervenants s'accorde sur l'importance cruciale de la prévention en santé, qui dépasse largement le seul cadre médical pour englober la société dans son ensemble. Malgré cette évidence, la prévention demeure trop souvent le "parent pauvre des politiques publiques".
1.1 Prévenir Plutôt que Guérir : Une Évidence non Appliquée
Le constat est unanime : "Prévenir plutôt que guérir, voilà qui semble évident et pourtant la prévention est encore trop souvent le parent pauvre des politiques publiques." (Déclaration introductive).
Il est souligné que la santé ne se limite pas aux hôpitaux, médecins et médicaments, mais est une affaire de société.
1.2 Un Investissement, non un Coût
- Investir dans la prévention est présenté comme une "stratégie d'avenir", non un coût. Les bénéfices sont multiples : "moins de souffrance évitable, moins de dépenses publiques sur le long terme, plus de qualité de vie". (Déclaration introductive).
De plus, elle redonne aux citoyens un "pouvoir sur leur propre santé", les plaçant comme "acteur de tout" plutôt que comme patient.
1.3 Historique et Concepts : Prévention vs Promotion de la Santé
- Le Professeur Emmanuel Ruche, Président de la Conférence Nationale de Santé, met en lumière une spécificité française : une approche historiquement "très centrée sur la prévention et peut-être un peu moins sur la promotion de la santé". Il insiste sur la complémentarité de ces deux approches, qu'il faut "articuler". Il cite le Directeur Général de l'OMS : "La santé ne commence pas dans les cliniques ou les hôpitaux pas plus que la justice ne commence dans les tribunaux ou que la paix ne commence sur le champ de bataille. La santé commence dans les conditions dans lesquelles nous sommes nés et avons grandi dans les écoles les rues les lieux de travail…". Cette vision élargie souligne que la santé est façonnée par les "déterminants commerciaux" (tabac, alcool, aliments transformés, combustibles fossiles), qui sont responsables d'un tiers des décès dans le monde.
1.4 Efficacité et Retour sur Investissement
- L'efficacité des actions de prévention n'est "plus à démontrer" (Professeur Ruche), s'appuyant sur des "données probantes bien établies".
Le retour sur investissement est "une évidence" pour les études scientifiques, l'exemple de la prévention du tabagisme montrant "1900 % de retour sur investissement".
Malgré cela, le financement reste difficile, nécessitant des "dispositifs de financement incitatifs et pérennes" et pluriannuels.
2. Les Déterminants de la Santé et les Inégalités
La discussion met en évidence la multiplicité des déterminants qui influencent la santé, soulignant leur rôle dans la création et l'aggravation des inégalités.
2.1 Déterminants Sociaux et Économiques
- Emmanuel Cambois, Directrice de recherche à l'INED, explique que les inégalités de santé se créent non seulement par des comportements individuels mais aussi par des facteurs "qui s'imposent en quelque sorte aux individus et qui peuvent se combiner à d'autres". Ces facteurs incluent la "situation socio-économique", l'"entourage, soutien social, et à contrario l'isolement", la "charge mentale", les "traumatismes" et les "phénomènes d'exclusion". Les inégalités se manifestent aussi dans l'accès aux soins et dans les parcours professionnels (pénibilités, carrières hachées). L'approche en "parcours de vie" est essentielle, car les risques "se cumulent au cours de la vie" rendant certains groupes "beaucoup plus à risque de problème de santé et beaucoup moins en capacité de lutter contre ces risques". La prévention doit donc "couvrir les différentes sphères d'activité qu'elle soit domestique professionnelle ou social et surtout suivre l'ensemble de des âges de la vie".
2.2 Déterminants Environnementaux et Risques Émergents
- Jean-François Guégan, Directeur de recherche à l'INRAE, aborde l'impact de l'environnement sur la santé, notamment face aux "évolutions climatiques". Il souligne une "confusion impressionnante" et un "manque de culture" sur les liens entre biodiversité et santé. Les activités humaines, comme la déforestation et l'élevage, sont identifiées comme des facteurs majeurs dans l'émergence de pandémies zoonotiques. Il met en garde contre une vision "naïve, idyllique et tronquée" de la nature, illustrant que même la "réintroduction de la nature en ville" peut introduire des "dangers microbiologiques" (moustiques, rongeurs, germes pathogènes). Le risque infectieux est un produit entre "des aléas" (micro-organismes) et "l'exposition humaine et la vulnérabilité des populations".
2.3 Déterminants Commerciaux et Influence de l'Industrie
- Karine Galopel Morvent, Professeure à l'EHESP, met en lumière le rôle des "acteurs commerciaux" qui "influencent de manière délétaire la santé et l'équité de la population". Elle cite le marketing et le lobbying comme des pratiques commerciales préoccupantes, en particulier pour les industries du tabac, de l'alcool, des aliments ultra-transformés et des combustibles fossiles, responsables d'environ "un tiers des décès". Elle dénonce le "pouvoir accru des multinationales" et la sous-estimation des budgets marketing par rapport aux campagnes de prévention (ex: 250 millions d'euros par an pour l'alcool contre 3 millions pour la prévention). Le lobbying est "très fort", bloquant des avancées comme la hausse des taxes sur le tabac ou la généralisation du Nutri-Score. Les solutions incluent l'"encadrement des conflits d'intérêt", la "transparence sur le lobbying", l'"interdiction de publicité" et l'"information et éducation sur ces déterminants commerciaux".
2.4 L'Approche Genrée en Santé
- La question de l'approche genrée dans les politiques de santé est soulevée.
Emmanuel Cambois et Lormier soulignent que la santé des femmes et les défis auxquels elles sont confrontées (troubles musculosquelettiques, troubles anxiodépressifs, carrières hachées) sont souvent sous-estimés ou mal compris.
Il est crucial d'adopter des "approches différenciées entre les hommes et les femmes" dans la prévention et la personnalisation des soins, car les symptômes et les parcours de vie peuvent varier considérablement.
3. Innovations et Défis dans la Prévention
La discussion explore les nouvelles méthodes et outils, notamment le numérique, tout en identifiant les freins persistants à une prévention efficace.
3.1 Le Numérique : Opportunité et Défi
- Lormier, experte à l'Institut Montaigne, présente le numérique comme une "réponse indispensable au défi actuel de la prévention", offrant "personnalisation", "ciblage amélioré", "meilleure adhésion du patient" et "anticipation des risques".
Les données de santé massives et l'intelligence artificielle permettent une "détection précoce" (ex: radiologie), un "soutien personnalisé" (applications mobiles, chatbots) et une "télésurveillance" des paramètres vitaux.
Cependant, des "freins" persistent : un "décalage culturel et organisationnel" du système de santé axé sur le curatif, la nécessité de "former" les professionnels de santé, et les "déterminants numériques de la santé" (accès, connectivité, confiance). L'objectif est de passer "d'une médecine épisodique à un suivi continu".
3.2 Financement et Volonté Politique
- Pierre-Louis Bra, Inspecteur général des affaires sociales, nuance la question du financement, affirmant que la prévention n'est pas "simplement des financements" mais "la capacité à mettre en cause des intérêts privés".
Le succès de la lutte contre le tabagisme, principalement par l'augmentation des taxes, en est la preuve. Il souligne que "ça ne demande pas de financement public, au contraire, c'est des taxes, ça apporte des financements publics".
Il critique le recours au "bon sens" plutôt qu'aux "données probantes" pour certaines initiatives de prévention coûteuses (ex: bilans de santé périodiques).
Il insiste sur la nécessité d'investir dans les réseaux de prévention de base (médecine scolaire, PMI, médecine du travail), qui sont "en difficulté".
3.3 Gouvernance et Coordination
- Plusieurs intervenants appellent à une meilleure gouvernance et coordination des politiques publiques.
Le Professeur Ruche et Emmanuel Cambois insistent sur la nécessité d'une "intersectorialité et interministérialité" au niveau national, et d'une "déclinaison territoriale au plus près des territoires et des populations".
La promotion de la santé plaide pour "introduire la santé dans toutes les politiques publiques".
La CNS recommande une "stratégie nationale de santé" sur 10 ans et des "feuilles de route prévention promotion de la santé" au niveau territorial avec un "rendu de compte".
4. La Santé au Travail : Un Pilier de la Prévention
La deuxième partie de la séance est spécifiquement dédiée à la santé au travail, soulignant ses défis et les pistes d'amélioration.
4.1 Des Chiffres Alarmants
- Les chiffres présentés par Cécile Gondard Lalane et Jean-Christophe Repont sont frappants : "1287 décès liés au travail par an", "5800 maladies professionnelles accidents et 47400 maladies professionnelles" en 2022.
Cela montre que "malgré un accord interprofessionnel national sur la prévention au travail une loi en décembre 2020 une loi en août 2021 sur la prévention au travail, on est à un niveau qui stagne en terme de prise en charge de prévention primaire au travail".
4.2 Des Bouleversements qui Pèsent
Le monde du travail est confronté à des "bouleversements" majeurs :
- Réchauffement climatique : La chaleur a des "effets physiologiques" et des "conséquences mortelles", entraînant des "pertes de productivité" et des "risques psychosociaux".
- Approche genrée : La santé au travail est encore "trop centrée sur les hommes". Alors que les accidents du travail ont baissé de 27% pour les hommes sur 20 ans, ils ont augmenté de "plus de 41 %" pour les femmes.
Les troubles musculosquelettiques, première cause de maladie professionnelle, touchent "trois femmes sur 5 et un homme sur deux". La "répartition genrée du travail domestique" impacte aussi la santé mentale des femmes. * Santé mentale : Les principaux facteurs de risque sont le "stress chronique" (80%, surcharge mentale, burnout, troubles du sommeil, suicide) et les "violences internes ou externes" (20%, incivilités, harcèlement, discrimination).
La "fatigue liée aux outils et à l'utilisation des outils numériques" est un nouveau défi. * Pratiques managériales : Elles sont "déterminantes" mais apparaissent "trop verticales et trop hiérarchiques" en France, avec un manque de "confiance au salariés" et un "besoin de maîtrise et de contrôle encore très important" (Dr. Florence Bénichou).
4.3 Les Nouveaux Visages du Travail
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L'étude met en lumière la situation des travailleurs indépendants et des plateformes. Les livreurs et VTC subissent des "risques forts" (accidents, TMS, problèmes de santé mentale dus à la "pression" des algorithmes et à l'angoisse de la perte de revenus). L'accès aux assurances est "très peu connu" et utilisé.
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4.4 Pistes d'Amélioration : Vers une Prévention Primaire Renforcée
Les rapporteurs proposent trois axes pour améliorer la prévention au travail :
- Former et sensibiliser : Renforcer la formation des étudiants en médecine à la santé du travail et environnementale pour attirer de jeunes professionnels. Étendre la formation à la santé du travail aux "acteurs du dialogue social", salariés et employeurs, avec des "formations communes".
- Identifier et prévenir : Accompagner les dirigeants de TPE dans la mise en œuvre du "document unique". Souligner le rôle des "services de prévention en santé au travail" et des "branches professionnelles". Insister sur l'"approche genrée" et l'intégration du "management" dans la prévention.
- Anticiper par le dialogue social et l'écoute : Inscrire l'"écoute des salariés" dans les principes généraux de prévention du Code du travail, car "ce sont bien les travailleurs qui connaissent mieux les risques et auxquels ils s'exposent". Prendre en compte l'"articulation des temps de vie" et le "déploiement de l'IA" dans le dialogue social.
4.5 Des Exemples de Succès et une Volonté Politique
- Bernard Tibba, co-président de la charte sociale des JO 2024, témoigne du succès de cette initiative qui a permis de diviser par quatre l'accidentalité sur un "chantier énorme".
Cette approche, qui combine "volonté politique, des moyens, une mobilisation des différents acteurs publics comme privés", montre qu'il n'y a "pas de fatalité en matière d'accidentologie".
Madame Astrid Panosian Bouvet, Ministre chargée du travail et de l'emploi, salue le rapport et confirme l'importance du sujet. Elle rappelle que la santé au travail n'est pas "assez haut sur l'agenda public".
Elle insiste sur la "lutte contre les accidents du travail grave et mortel", un phénomène qui n'est "pas une fatalité" et dont beaucoup sont "évitables".
Elle confirme la volonté de "capitaliser sur ce succès" des JO et de "dupliquer la méthode" notamment via le "dialogue social au sein des branches" et une "meilleure coopération interministérielle".
Elle souligne que la prévention doit être au "cœur des préoccupations" et non un "codicille au contrat de travail".
5. Conclusion Générale
- La prévention en santé est un impératif stratégique, économique et social. Elle exige un changement de paradigme, passant d'une logique curative à une culture proactive.
Cela implique une approche globale et transversale, intégrant les déterminants sociaux, environnementaux et commerciaux.
Le numérique offre des outils prometteurs, mais leur déploiement doit être inclusif et accompagné.
Le financement n'est pas le seul obstacle ; la capacité à remettre en question des intérêts privés et la volonté politique sont primordiales.
La santé au travail, avec ses défis liés aux changements climatiques, aux inégalités de genre et aux nouvelles formes de travail, est un exemple criant de la nécessité d'une prévention primaire renforcée, basée sur le dialogue social et l'écoute des travailleurs.