Synthèse du webinaire : "Créer une communauté d'action : comment se lancer ?"
Résumé
Ce document de synthèse analyse les principaux enseignements du webinaire organisé par le Réseau National des Maisons des Associations (RNMA) et La Fonda, centré sur la création et l'animation de "communautés d'action".
Fondée sur la méthodologie de la stratégie d'impact collectif, cette approche vise à structurer la coopération entre divers acteurs territoriaux pour répondre de manière concertée et transversale à des enjeux complexes.
Les points clés sont les suivants :
1. Une Méthodologie Structurante :
La démarche s'appuie sur des phases claires (impulsion, structuration, pérennisation) et cinq conditions de réussite, dont la plus cruciale est l'existence d'une "fonction de soutien".
Cette fonction, véritable colonne vertébrale de la coopération, est chargée d'animer, de coordonner et de faciliter le travail collectif.
2. Deux Expérimentations Riches d'Enseignements :
Pendant deux ans, des expérimentations ont été menées à Morlaix (portée par le Résam sur la transition écologique et alimentaire) et à Mulhouse (portée par le Carré des associations sur la jeunesse).
Ces deux cas pratiques démontrent la capacité de la méthode à fédérer des acteurs hétérogènes (associations, citoyens, collectivités, institutions) et à produire des résultats concrets, allant de l'amélioration des parcours pour les jeunes à la création de projets sur la sécurité sociale de l'alimentation.
3. Des Résultats Tangibles au-delà des Projets :
L'impact majeur réside dans la transformation des modes de collaboration.
Les expérimentations ont permis de renforcer l'interconnaissance, d'instaurer des relations plus horizontales, et d'ancrer la méthode au sein de politiques publiques locales (Contrat de Ville, Contrat Territorial Global de la CAF à Mulhouse).
4. Le Défi Central du Financement : La pérennisation de ces dynamiques se heurte à un obstacle majeur : le financement de la fonction de soutien.
Les financeurs publics privilégient traditionnellement les "actions concrètes" au détriment du temps d'animation et de coordination, pourtant essentiel à la réussite et à la durabilité des coopérations.
5. Des Perspectives d'Essaimage :
Le webinaire a confirmé un fort intérêt pour la méthode. Les participants ont exprimé des besoins clairs en matière d'outils, de formation et d'échanges entre pairs.
Le RNMA et La Fonda envisagent la création d'une "communauté d'apprentissage" pour accompagner les territoires désireux de se lancer.
En conclusion, la création de communautés d'action représente une voie prometteuse pour renforcer l'impact des initiatives locales.
Sa réussite dépend cependant d'un changement de paradigme, notamment de la part des financeurs, pour reconnaître et soutenir le travail indispensable de mise en lien et d'animation territoriale.
I. Le Cadre Méthodologique : La Stratégie d'Impact Collectif
La démarche de création de communautés d'action s'ancre dans l'approche de la stratégie d'impact collectif, présentée comme un cadre permettant de structurer et de pérenniser la coopération sur un territoire.
A. Définition et Promesse
L'impact collectif est défini comme la capacité à mettre en cohérence des actions et à favoriser des dynamiques concertées pour apporter des réponses adaptées et transversales à des enjeux complexes et partagés.
La promesse de cette approche est de générer des réponses de meilleure qualité, car elles sont construites en commun autour d'objectifs partagés.
Le postulat de départ est que les enjeux territoriaux (du quartier à l'international) sont multifactoriels et appellent à la coopération.
L'objectif n'est pas de multiplier les projets, mais de relier ce qui existe déjà pour aligner les actions vers un changement souhaité, défini collectivement.
B. Les Étapes et Conditions de Réussite
La mise en œuvre d'une stratégie d'impact collectif suit trois grandes phases :
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1. Impulsion : Définition et partage de l'enjeu.
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2. Structuration : Mise en commun et coordination des moyens et des ressources.
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3. Pérennisation : Ancrage de la dynamique dans la durée.
Cinq conditions sont identifiées comme nécessaires à la réussite de la démarche :
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• Une vision partagée des enjeux.
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• Des actions qui se complètent mutuellement autour d'un plan d'action partagé.
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• Une approche de l'évaluation pensée dès le début et conduite en commun.
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• Une communication continue entre les acteurs.
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• L'existence d'une "fonction de soutien" dédiée.
C. La "Fonction de Soutien" : Clé de Voûte de la Coopération
La "fonction de soutien" est l'acteur ou la structure en charge d'animer et de faire vivre la coopération.
Elle est décrite comme la colonne vertébrale de la démarche.
Missions Clés :
- • Coordonner les engagements des partenaires.
- • Faciliter le dialogue et l'interconnaissance.
- • Assurer la fluidité et la circulation des informations.
- • Recueillir et analyser les données du terrain (notamment pour l'évaluation).
- • Proposer des orientations stratégiques à construire collectivement.
- • Rechercher des financements pour la communauté d'action.
Postures et Rôles :
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• Écoute : Pour comprendre les besoins et favoriser l'inclusion.
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• Coordinateur : Pour structurer les échanges et veiller au bon déroulement des actions.
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• Animateur : Adopter une "posture haute" pour affirmer une position dans certaines décisions, ou une "posture basse" pour favoriser la prise d'initiative des membres.
Cette fonction assure également un important travail "caché" entre les réunions : préparation des ordres du jour, rédaction des comptes-rendus et des documents stratégiques.
II. Retours d'Expérience : Les Communautés d'Action de Morlaix et Mulhouse
Deux territoires ont expérimenté cette méthode pendant deux ans, avec l'accompagnement du RNMA et de La Fonda.
A. L'Expérimentation de Morlaix (Résam) : La Transition Alimentaire
• Structure porteuse : Le Résam (Réseau d'échange et de service aux associations du Pays de Morlaix), une maison des associations associative à gouvernance partagée.
• Genèse du Projet : Le projet est né d'une demande des associations locales autour des transitions écologiques et d'un besoin de l'équipe du Résam de renouveler ses pratiques d'animation territoriale. Le contexte local, marqué par une pénurie d'eau inédite, a renforcé la pertinence du sujet.
• Déroulement et Acteurs : Sur une thématique large des "transitions écologiques", la communauté d'action a progressivement affiné son objet pour se concentrer sur l'autonomisation alimentaire du territoire respectueuse du vivant.
La dynamique a rassemblé un groupe hétérogène de citoyens, associations, entrepreneurs, techniciens de collectivités et élus, animé via des journées complètes de travail tous les deux mois. Un comité de pilotage a été formé avec le Résam, le Pôle ESS local et l'Ulamir CPIE.
• Difficultés Rencontrées :
- ◦ La gestion d'un groupe très hétérogène, avec des attentes et des capacités d'agir différentes.
◦ Le décalage de temporalité avec les politiques publiques locales, notamment le Plan Alimentaire Territorial en cours d'élaboration.
• Réussites et Résultats :
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◦ Une forte coordination et des habitudes de travail communes installées entre les trois structures de la fonction de soutien.
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◦ Une démarche perçue comme novatrice sur le territoire, réussissant à structurer un dialogue entre des acteurs variés.
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◦ Une forte dimension humaine, avec un plaisir partagé des participants à se retrouver.
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◦ La validation d'une charte commune après un travail collectif approfondi.
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◦ Le lancement d'une expérimentation sur la sécurité sociale de l'alimentation.
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◦ Une reconnaissance croissante de la "communauté d'action" sur le territoire.
B. L'Expérimentation de Mulhouse (Carré des associations) : L'Accompagnement de la Jeunesse
• Structure porteuse : Le Carré des associations, une maison des associations municipale, intégrée à la Direction cohésion sociale et vie des quartiers de la Ville de Mulhouse.
• Genèse du Projet : Le constat d'un territoire très dynamique mais peinant à pérenniser ses expérimentations et à faire travailler ses acteurs ensemble.
La ville de Mulhouse, très jeune et marquée par de fortes disparités sociales, a vu dans la méthode un moyen de créer du lien et d'améliorer l'accompagnement des initiatives.
• Déroulement et Acteurs : Partie d'un enjeu général d'accompagnement de projet, la communauté d'action s'est rapidement focalisée sur la jeunesse.
Elle a rassemblé des partenaires institutionnels variés : services de la Ville, État (politique de la ville), CAF, Alsace Active, Unicité, Mission Locale, etc.
Un principe clé a été l'adoption d'une posture horizontale, où la Ville n'est pas un décideur mais un partenaire égal aux autres.
• Difficultés Rencontrées :
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◦ Le départ de certains partenaires (État, France Active) par manque de temps ou d'alignement avec la thématique.
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◦ L'émergence récente de la question de la rémunération du temps de travail investi par les partenaires associatifs, posant un défi pour la pérennisation.
• Réussites et Résultats :
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◦ L'amélioration de la connaissance mutuelle et la transformation des relations hiérarchiques en coopération horizontale.
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◦ La méthode a nourri les pratiques de chaque structure partenaire (projets sociaux des centres sociaux, par exemple).
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◦ Des passerelles concrètes ont été créées, fluidifiant les parcours des jeunes entre les différentes structures (ex: lien entre le budget participatif de la ville et les jeunes suivis par Unicité).
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◦ La méthode a été inscrite dans des cadres structurants comme le nouveau Contrat de Ville et le Contrat Territorial Global (CTG) de la CAF.
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◦ Un poste pour la fonction de soutien est envisagé dans le cadre du CTG, offrant une voie de pérennisation.
III. Outils et Méthodes Clés
Deux outils structurants utilisés lors des expérimentations ont été présentés.
A. Le Scénario Idéal : Construire une Vision Partagée
Cet outil de prospective a été utilisé en phase d'impulsion pour définir une vision et une problématique communes.
• Objectif : Aider le groupe à se projeter dans un futur souhaitable pour identifier les enjeux prioritaires et se mettre d'accord sur un vocabulaire commun.
• Processus :
- 1. Identifier des tendances prospectives sur le territoire (ex: érosion de la biodiversité).
- 2. Prioriser ces tendances en fonction de leur impact et de la capacité du groupe à agir.
- 3. Formuler des scénarios idéaux à un horizon donné (ex: "En 2035, grâce à nos actions, le territoire est exemplaire...").
- 4. Décrire ce qui se passe concrètement dans ce futur souhaitable.
- 5. Formuler des problématiques sous forme de questions ("Comment faire pour...?").
- 6. Prioriser une "question essentielle" qui devient la problématique centrale de la communauté d'action.
B. La Cartographie des Acteurs : Rendre Visible et Relier l'Existant
Cet outil, utilisé en phase de structuration, vise à capitaliser sur l'existant plutôt qu'à créer de nouveaux dispositifs.
• Objectif : Rendre lisible comment les acteurs présents répondent déjà à l'enjeu partagé, identifier les complémentarités et les "trous dans la raquette".
• Processus :
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- Recenser les actions existantes menées par les membres de la communauté.
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- Catégoriser ces actions en fonction des objectifs intermédiaires et globaux de la communauté (ex: à Mulhouse, les actions ont été classées selon qu'elles relevaient de l'insertion, de l'appui à l'engagement, de l'appui aux initiatives, etc.).
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- Visualiser sur un schéma qui fait quoi et à quelle étape d'un parcours (ex: le parcours d'engagement d'un jeune).
• Utilité : La cartographie devient une boussole pour les professionnels, facilitant l'orientation des publics entre les différentes structures et renforçant la coopération opérationnelle.
IV. Enjeux et Perspectives pour l'Essaimage
La fin du webinaire a ouvert une discussion sur la transférabilité de la démarche.
A. Les Besoins des Acteurs de Terrain
Les participants ont exprimé un vif intérêt et ont formulé plusieurs besoins pour se lancer :
• Accès aux outils : Le site ressource en préparation par le RNMA est attendu.
• Formation : Des temps dédiés pour s'approprier la méthode de manière plus approfondie.
• Échange entre pairs et codéveloppement : Un espace pour partager les expériences, les difficultés et les réussites dans la durée.
B. Le Défi du Financement de la "Fonction de Soutien" C'est l'enjeu principal qui a émergé. Les financements publics sont souvent fléchés vers des actions visibles et quantifiables, rendant difficile la valorisation du temps d'ingénierie, de coordination et d'animation.
Or, sans ce temps dédié, les dynamiques coopératives peinent à se maintenir.
Les intervenants ont qualifié la reconnaissance de ce travail de "combat politique" à mener, tant par les associations que par les collectivités, pour démontrer que l'animation territoriale est une condition essentielle de l'impact des politiques publiques.
C. Vers une Communauté d'Apprentissage
En réponse aux besoins exprimés, le RNMA et La Fonda proposent de lancer une communauté d'apprentissage.
L'objectif serait de créer un espace d'échange de pratiques et de soutien pour les structures souhaitant impulser des communautés d'action sur leur territoire, que ce soit dans le cadre de Guide'Asso, de politiques alimentaires ou d'autres thématiques.
Des rencontres futures, notamment avec des acteurs de la philanthropie comme la Fondation de France, sont envisagées pour faire avancer la réflexion sur le financement de ces transformations systémiques.