Document de Synthèse : Les Politiques Publiques en Faveur de la Jeunesse – Constats, Défis et Recommandations
Source Principale : Extraits de la "Présentation du rapport annuel de la Cour des comptes - En direct", par Pierre Moscovici, Premier Président de la Cour des comptes, et compléments par Jacques Cressel, Président de la Commission Économie et Finances du CE.
- Introduction : Ce document de synthèse présente les thèmes principaux et les idées les plus importantes issues de la présentation du rapport annuel 2025 de la Cour des comptes, axé sur les politiques publiques en faveur de la jeunesse, ainsi que les réactions et compléments du Conseil Économique, Social et Environnemental (CE).
Ce rapport, fruit d'un travail collectif des chambres de la Cour et des Chambres Régionales et Territoriales des Comptes (CRTC), est enrichi par l'éclairage d'un groupe d'experts universitaires et chercheurs spécialistes de la jeunesse.
Il s'inscrit dans une nouvelle approche de la Cour, caractérisée par une publication thématique annuelle et une transparence accrue, avec 180 rapports publiés par an.
I. La Jeunesse en France : Portrait et Enjeux Démographiques
- Définition et Importance : La jeunesse, définie pour ce rapport comme la tranche d'âge des 15-25 ans, représente un investissement stratégique pour l'avenir de la société. Bien qu'il n'existe pas de définition juridique unique de la jeunesse, cette période est marquée par des étapes clés (croissance, puberté, parcours scolaires, acquisition de droits) et par la construction identitaire.
- Données Démographiques (15-25 ans) :En 2024, ils sont 9 millions en France, soit 13,2% de la population.
- Perspective Démographique Alerte : D'ici une quinzaine d'années, cette proportion sera inférieure à celle des plus de 75 ans, ce qui est qualifié d'"hiver démographique" et aura des "conséquences gigantesques dans tous les domaines". Les zones rurales seront les plus affectées.
- Accès à l'Autonomie Globalement Réussi mais des Défis Persistants :Les jeunes achèvent leurs études en moyenne à 21 ans et demi, et plus de la moitié sont diplômés du supérieur (au-dessus de la moyenne européenne de 42%).
- Ils quittent le domicile parental à 23 ans et demi (moins élevé que chez certains partenaires européens).
- À 25 ans, 88,5% des 15-24 ans sont en étude, formation ou emploi. Le taux de jeunes "NEET" (ni en emploi, ni en étude, ni en formation) est de 5,8% pour le chômage et 5,7% pour l'inactivité.
- Malgré ces succès, la France est "quasiment du simple au double" par rapport à l'Allemagne en termes de NEETs, ce qui "montre en tout cause que l'accès des jeunes à l'emploi demeure en France plus difficile qu'ailleurs".
II. Coût et Défis des Politiques Publiques en Faveur de la Jeunesse
- Coût Massif : Les dépenses de l'État spécifiquement dédiées aux 15-25 ans sont estimées à 53,4 milliards d'euros, soit 12% du budget de l'État (et 12% du PIB). Ce montant n'inclut pas les dépenses des collectivités locales et des organismes de sécurité sociale.
- L'éducation représente les 4/5e de cette dépense (plus de 40 milliards d'euros).
- Viennent ensuite les politiques de travail et d'emploi, les aides personnalisées au logement, et la protection judiciaire de la jeunesse.
- Inégalités Accrues : Le rapport met en évidence de profondes inégalités, le "fil rouge" de l'analyse :
- Pauvreté : Le taux de pauvreté des 18-25 ans est de 10% en France.
- Territoriales : Les jeunes ruraux sont 20% à accéder à l'enseignement supérieur contre 32% des jeunes urbains, malgré de meilleurs résultats éducatifs. L'accès aux transports collectifs, à la pratique sportive et à l'emploi est également inégal.
- Information et Accès aux Droits : Un taux important de non-recours aux droits des jeunes est observé.
- Fragmentations des Politiques Publiques :Il existe une multitude de dispositifs et d'acteurs, mais une "approche structurée et coordonnée" manque, conduisant à une "gouvernance assez fragmentée". Il y a "plutôt des politiques publiques en faveur de la jeunesse qu'une politique de et pour la jeunesse".
- Les politiques, longtemps centrées sur l'insertion professionnelle, se sont élargies depuis 2009 à l'autonomie, l'égalité des chances, et la participation à la vie publique.
III. Principaux Enseignements et Recommandations par Domaine
Le rapport se structure autour de 16 enquêtes réparties en quatre parties :
- Accès des Jeunes à l'Éducation et à la Formation :
- Orientation : Coût élevé (400 millions d'euros) mais inefficace pour dépasser les déterminismes et inégalités. Recommandations : modules obligatoires pour les enseignants, adaptation des emplois du temps, réflexion sur un début d'orientation plus précoce.
- Obligation de Formation (16-18 ans) : Objectif non atteint pour 150 000 jeunes en décrochage. Manque d'indicateurs et de cibles. Recommandations : améliorer le repérage et le suivi, diversifier les solutions, renforcer la collaboration.
- Échec en Premier Cycle Universitaire : Taux de réussite en 3 ans de seulement 36% (inférieur à la moyenne OCDE). Coût annuel des redoublements et sorties sans diplôme estimé à 534 millions d'euros. Dispositifs de remédiation (1,4 milliard depuis 2017) aux effets non démontrés. Recommandations : mieux identifier les causes, suivre les parcours, évaluer les dispositifs.
- Accès des Jeunes Ruraux à l'Enseignement Supérieur : Accès moins fréquent et offre moins développée. Recommandations : favoriser la mobilité, réexaminer l'attribution des bourses pour tenir compte de l'éloignement géographique.
- Aide à l'Entrée des Jeunes dans la Vie Active et l'Autonomie :
- Emploi des Jeunes : Amélioration depuis 2017 grâce à l'alternance, mais coût des dispositifs a "explosé" (7,3 milliards d'euros en 2023) sans lien de causalité confirmé entre moyens et résultats. Part des NEETs élevée. Recommandations : formaliser une stratégie cyclique, mieux articuler avec le droit commun, cibler les jeunes les plus éloignés de l'emploi.
- Accès au Logement : Vulnérabilité des jeunes due aux petites surfaces en ville, mobilités fréquentes, revenus faibles. Politique fragmentée, bénéficiant surtout aux étudiants. Recommandations : agir à l'échelle territoriale, renforcer la coordination locale, désigner un chef de file national.
- Mobilité en Transport Collectif : 38% des jeunes ruraux renoncent à des entretiens d'embauche par difficulté de déplacement. Les réductions tarifaires sont privilégiées sans cibler les plus défavorisés. Recommandations : meilleure connaissance des besoins, ciblage tarifaire sur les ressources, coordination de l'offre.
- Prise en Charge des Jeunes Majeurs Sortant de l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE) : 32 000 jeunes concernés en 2023. Modalités "trop hétérogènes" selon les départements (taux de prise en charge variant de 38% à 83%). Recommandations : garantir un socle de base, mieux insérer dans des dispositifs de droit commun.
- Politiques de Prévention à Destination de la Jeunesse :
- Accès au Sport : 80% des jeunes Français sont des sportifs réguliers, mais fort décrochage entre 15 et 25 ans. Politiques orientées vers la performance, négligeant les profils éloignés de la pratique (jeunes femmes, handicapés, difficultés socio-économiques). Recommandations : cibler ces profils dans une stratégie État-collectivités-acteurs privés.
- Maisons des Adolescents (MDA) : 123 structures accompagnent 100 000 jeunes pour un coût inférieur à 100 millions d'euros. Demande en forte augmentation (mal-être des jeunes). Recommandations : clarifier les attentes, rationaliser les missions, fusionner avec d'autres dispositifs.
- Addictions (Drogues illicites et Alcool) : "Enjeu crucial" où la France est "moins bonne que dans le reste de l'Union européenne". 1 jeune sur 10 s'estime dépendant ; 2,6% consomment de l'alcool quotidiennement. Cerveau des jeunes (jusqu'à 25 ans) particulièrement vulnérable. Recommandations : efforts de prévention à la hauteur des enjeux, réponse sanitaire insuffisante, approche plus volontaire et transversale (monde éducatif, campagnes, prix minimum de l'unité d'alcool).
- Obésité : Taux de prévalence alarmants dans les Outre-mer (38% en Nouvelle-Calédonie, 45% en Polynésie française contre 15% en métropole). Causes : alimentation déséquilibrée, sédentarité, précarité. Politiques de prévention non prioritaires. Recommandations : faire de la prévention une priorité.
- Politiques d'Apprentissage à la Citoyenneté et à la Vie dans la Cité :
- Journée Défense et Citoyenneté (JDC) : Obligation légale pour 800 000 jeunes/an (coût 100 millions d'euros). Objectifs divers mais dispositif "soumis à de très fortes tensions", raccourci, sur base juridique "fragile". Recommandations : rationaliser les objectifs, le contenu et la base juridique, "remilitariser".
- Entrée dans l'Impôt sur le Revenu : Seulement 1/4 des moins de 25 ans paient l'impôt ; 1/3 rattachés au foyer parental. Sondage : plus d'un quart des jeunes interrogés jugent "justifié de tricher sur ses impôts". Recommandations : renforcer la sensibilisation à l'impôt avant la majorité fiscale, simplifier la déclaration, envoyer un courrier d'information à 18 ans.
- Jeunes et Justice Pénale : Surreprésentation des jeunes dans la délinquance (12% de la population, mais 26% des mis en cause, 34% des poursuivis, 35% des condamnés en 2023). Efficacité limitée malgré au moins 2 milliards d'euros/an. Taux de récidive stable depuis 2010. Recommandations : améliorer les outils de compréhension du phénomène, déployer une action précoce auprès des familles, renforcer la coopération entre acteurs.
- Éducation Artistique et Culturelle (EAC) : Dépense de 3,5 milliards d'euros en 2023. Mise en œuvre hétérogène (dépend de l'initiative des enseignants), qualité variable. Référencement et contrôle minimalistes. Recommandations : garantir un parcours effectif, cohérent, de qualité, piloté par le chef d'établissement ; évaluation régulière des intervenants externes financés par le Pass Culture.
IV. Messages Transversaux et Orientations Stratégiques de la Cour des Comptes
- Non la Quantité, mais la Qualité et l'Efficience de la Dépense : "Le problème n'est pas d'abord la quantité d'indépendance notre jeunesse n'est pas sacrifiée elle n'est pas oubliée elle n'est pas abandonnée mais c'est que la qualité de la dépense et son efficience peuvent être améliorées."
- Mieux Cibler les Politiques Publiques : Renforcer la cohérence et l'efficacité par un meilleur ciblage.
- Six Grandes Orientations :Mieux différencier les soutiens et les mesures en fonction des publics ciblés (jeunes ruraux, urbains, quartiers prioritaires, ultramarins).
- Repenser l'organisation et le contenu des parcours de formation initiale pour mieux préparer l'autonomie sociale et économique (l'orientation est une clé).
- Élaborer une nouvelle stratégie nationale de lutte contre les addictions et promouvoir la santé et le bien-être des jeunes.
- Renforcer la lisibilité des dispositifs publics pour les jeunes (face au "non-recours" et à la "méconnaissance du système fiscal").
- Mieux coordonner les actions des acteurs publics et privés, clarifier les rôles et responsabilités.
- Mettre en place des outils de suivi et d'évaluation rigoureux pour les politiques jeunesse.
- Nécessité d'un Plan Stratégique : "Doter la France peut-être pour vous y réfléchir d'un plan stratégique en faveur des jeunes en un mot de planifier", pour donner une "colonne vertébrale" aux politiques éclatées.
V. La Situation des Finances Publiques (Constat Général de la Cour)
- "Extraordinairement préoccupante" : Taux d'endettement parmi les plus élevés de la zone euro (115%, derrière l'Italie et la Grèce, loin devant l'Allemagne à 60%).
- Déficit Public : Reste "pas éloigné de 6%", loin des 3% visés et de la moyenne européenne.
- Enjeux de Financement : Transition écologique, innovation, recherche, défense.
- Problèmes de Crédibilité, Soutenabilité, Souveraineté : L'augmentation de la charge de la dette réduit les marges de manœuvre pour les services publics essentiels.
VI. Compléments du CE et Perspectives
- Convergence des Constats : Le CE, à travers son Président de la commission Économie et Finances, Jacques Cressel, souligne les nombreux points communs avec ses propres travaux, notamment sur l'importance de l'éducation, les inégalités (sociales, éducatives, territoriales), la coordination des politiques publiques et des acteurs, et l'engagement des jeunes.
- Impact de la Démographie : L'"hiver démographique" est un facteur d'urgence, avec des conséquences "gigantesques" sur les territoires, les régimes sociaux (retraites) et les modes de consommation.
- Vitesse de Transformation des Compétences : Le système éducatif doit s'adapter à la "vitesse de transformation des besoins de compétences" due notamment à l'intelligence artificielle, qui peut aussi être une "potentialité pour renforcer l'égalité des chances".
- Enjeu de l'Orientation : Crucial pour limiter les échecs et mieux faire correspondre offre et demande d'emploi, face à une "assez forte insatisfaction des jeunes" et un coût de 4 milliards d'euros par an lié aux dysfonctionnements.
- Vision Globale et Évaluation : La complexité des enjeux liés à la jeunesse (emploi, logement, transports, éducation) nécessite une "vision globale de l'ensemble de ces politiques". Le CE insiste sur la nécessité de renforcer l'évaluation des politiques publiques en France, un domaine "assez largement en pauvre".
- Renforcement de la Collaboration : Les deux institutions expriment leur volonté de renforcer leur partenariat pour travailler sur l'évaluation et l'égalité des chances, qui sera le thème du prochain rapport annuel du CE sur l'état de la France.
Conclusion : Le rapport de la Cour des comptes, tout en dressant un état des lieux lucide des défis posés par les inégalités et la fragmentation des politiques, insuffle une note d'optimisme.
Il ne s'agit pas de déplorer un manque d'investissement, mais bien d'améliorer la "qualité de la dépense" et son "ciblage".
La jeunesse française est perçue comme un "atout", une "ressource inestimable" et "porteuse d'un dynamisme", justifiant ainsi un "témoignage de confiance".
Les recommandations visent à structurer une véritable "politique de et pour la jeunesse", intégrant planification, coordination et évaluation rigoureuse pour garantir une meilleure égalité des chances.