Note de synthèse : Les rythmes de vie des enfants et des jeunes en France
Introduction
Cette note de synthèse s'appuie sur une session d'audition d'experts et de jeunes panélistes, organisée par le CE (Conseil d'Évaluation de l'école), abordant la question cruciale des rythmes de vie des enfants et des jeunes, notamment en lien avec leur santé mentale, leurs apprentissages et leur développement global.
Les intervenants incluent * René Claris (Maître de conférence en psychologie, membre de l'ORTEJ), * Daniel Auverlot (Président du Conseil d'évaluation de l'école), * Bertrand Réo (Professeur au Cnam, coprésident de l'OVLEJ), * ainsi que les jeunes Alexandre et Louise, représentants d'un panel ayant travaillé sur la santé mentale des jeunes.
1. La santé mentale des jeunes et l'impact des rythmes scolaires (Témoignages du panel de jeunes)
Alexandre (12 ans) et Louise (17 ans) ont présenté les conclusions d'un panel de 20 jeunes tirés au sort (via des associations comme APF France Handicap ou UNICEF) ayant débattu de la santé mentale des jeunes.
Ils ont identifié trois thématiques prioritaires d'obstacles à une bonne santé mentale :
- L'environnement personnel
- Le système scolaire
- La discrimination et le jugement
Concernant le système scolaire, ils soulignent son importance car l'école est le lieu où les enfants passent le plus de temps.
Cependant, un chiffre frappant ressort : « 26 % des adolescents déclarent être souvent angoissés avant d'aller en classe. »
L'école est perçue comme une source de stress due à la pression des professeurs, des parents et des adultes.
Les applications scolaires (comme École Directe ou Pronote) empêchent la déconnexion et favorisent la comparaison des notes.
Le constat le plus important pour les panélistes est celui des rythmes scolaires : « Le rythme à l'école est beaucoup trop important, les journées sont trop longues, la charge de travail semble insurmontable. »
Ils se sentent « piégés » par l'accumulation d'évaluations et le manque de temps libre ou d'activités extrascolaires, menant à un « syndrome de grande fatigue ».
Le stress qui en découle est un signe de dégradation de la santé mentale.
Leurs propositions phares incluent :
Adapter les emplois du temps en réduisant le temps de cours (par exemple, des cours de 45 minutes au lieu d'une heure) pour une meilleure concentration et un meilleur apprentissage.
Mettre en place un processus délibératif et collégial entre les jeunes, les pouvoirs publics et l'Éducation Nationale pour cette adaptation.
Placer les cours théoriques (mathématiques, français) le matin et les cours plus participatifs (artistiques, sport) l'après-midi.
Améliorer la qualité des temps de pause avec de véritables « temps et espaces de repos aménagé et accessible pour toutes et tous. »
Ils suggèrent de favoriser les activités sportives, de relaxation ou de méditation après les repas.
Interrogés sur la charge de travail, Alexandre évoque « 4 heures de devoirs le weekend » au collège, tandis que Louise, au lycée, passait « au moins minimum 2 heures par jour » pour les révisions du bac, soulignant la disparité des temps de travail selon les individus.
Concernant la difficulté de parler de santé mentale, ils ont constaté que le « jugement » et les « tabous » sont de grosses barrières.
Ils préconisent la « formation autour de la santé mentale et plus en parler pour normaliser et banaliser le fait de s'éduquer et de s'informer autour de sa santé mentale. »
Le rôle des parents est nuancé : certains accentuent le stress par la pression des notes, d'autres sont plus laxistes.
La compétition scolaire (notes, classements Pronote) est reconnue comme néfaste, mais des solutions concrètes autres que la suppression des classements n'ont pas été explorées en détail par le panel.
L'idée d'un tuteur a été jugée intéressante pour la solidarité mais dépendante de la pédagogie de l'adulte.
Le dispositif "Devoirs faits" est perçu comme "superficiellement" mis en place et mal organisé.
Le manque d'espaces sans adultes à l'école, où les jeunes pourraient se retrouver, a été souligné, renforçant l'idée d'espaces de repos inclusifs.
2. Le regard scientifique sur les rythmes de l'enfant (René Claris)
René Claris introduit les concepts de chronobiologie (étude des variations rythmiques des fonctions biologiques, ex: température corporelle, veille-sommeil) et de chronopsychologie (étude des rythmicité du comportement et des performances, ex: attention, mémoire).
Il distingue les rythmes endogènes (propres à l'individu) des rythmes exogènes ou synchroniseurs (facteurs externes, sociaux, écologiques comme la lumière/obscurité, les impératifs horaires).
Un point crucial est que « les rythmes des enfants sont non aménageables, contrairement aux aménagements du temps de l'école. »
Les synchroniseurs sociaux peuvent alors jouer un rôle « d'entraînement ou d'altération » des rythmes biologiques et psychologiques.
Les études scientifiques montrent :
- Sur la journée : Les performances attentionnelles des CM1-CM2 sont moins bonnes avec une semaine de 4 jours qu'avec une semaine de 4 jours et demi (mercredi matin travaillé), elle-même moins performante qu'une semaine de 4 jours et demi (samedi matin travaillé).
L'optimum d'attention se situe entre « 9h30 et 11h30 le matin ».
L'après-midi, il faut éviter les tâches exigeantes avant 15h.
Les moments moins favorables (tôt le matin, début d'après-midi) sont à réserver à des activités familières.
La qualité et la durée de la pause méridienne sont essentielles pour la reprise de l'après-midi.
Il faut ajuster les exigences à l'âge de l'enfant, le profil de référence se construisant entre 4 et 10 ans.
L'analyse de la charge cognitive et émotionnelle des activités est importante.
Contrairement aux idées reçues, les activités motrices suivent les mêmes variations que les tâches intellectuelles.
- Sur la semaine : L'aménagement en 4 jours est le moins efficient, avec un déficit attentionnel en fin de semaine.
La désynchronisation des longs weekends affecte la performance du lundi matin.
Il faut « éviter la désynchronisation des longs weekends ainsi qu'une semaine scolaire sur 4 jours et préférer ainsi une organisation en 9 demi-journées. »
Il est essentiel de favoriser la socialisation et l'accès aux activités culturelles et sportives.
- Sur l'année : Un enfant ou adolescent a besoin de 2 à 4 jours (voire une semaine) pour ajuster son rythme veille-sommeil.
Des vacances d'une semaine sont insuffisantes pour un réel repos car l'enfant n'a pas le temps d'oublier le rythme scolaire et de se resynchroniser.
L'alternance de 7 semaines travaillées et 2 semaines de vacances est préconisée.
Il faut aussi « donner la possibilité à l'enfant de ne rien faire, de faire autrement, de faire ailleurs » car ces temps sont nécessaires à son développement harmonieux.
- Concernant les 2 semaines de vacances de la Toussaint, bien que la raison historique ait été la réduction des incidents scolaires,
Claris souligne la vulnérabilité saisonnière des enfants en octobre-novembre et février. Il serait favorable à une 3ème semaine en décembre, en déplaçant une semaine de début juillet.
Sur le consensus scientifique, il affirme qu'entre chronobiologistes et chronopsychologues, il existe un consensus international, mais que la mise en œuvre dépend des décideurs.
3. Les constats du Conseil d'évaluation de l'école (Daniel Auverlot)
Daniel Auverlot, en tant que président du Conseil d'évaluation de l'école, présente les constats issus de milliers de rapports d'évaluation d'établissements scolaires (écoles, collèges, lycées), réalisés sur 5 ans avec la participation des enseignants, parents et élèves.
Il identifie trois thèmes récurrents et un thème peu abordé :
Le débat 4 jours vs 4 jours et demi (pour le premier degré) n'est pas stabilisé :
- 4 jours : Apprécié des enseignants pour le travail d'équipe.
La coupure est favorable au repos des enfants. Mais l'après-midi est "très long", et l'heure d'activité pédagogique complémentaire (APC) est difficile à placer.
- 4 jours et demi : Favorise une plus grande régularité dans les apprentissages.
L'heure d'APC est plus productive. Mais les rapports soulignent une « plus grande fatigue des enfants à partir du jeudi » et une grande hétérogénéité dans la qualité des activités périscolaires.
- La pause méridienne: C'est un sujet constant.
La qualité des locaux (espace, bruit) est souvent pointée du doigt. Les enfants perçoivent des règles différentes entre enseignants et personnels communaux.
La question est de savoir si ce temps favorise la concentration et la reprise de classe l'après-midi.
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Le trajet de l'enfant : De la maison à l'école et inversement, il pose problème, notamment en milieu rural où les horaires de transport scolaire déterminent l'organisation de la journée, rendant difficile la mise en place d'aide aux devoirs.
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Le thème peu abordé : La continuité éducative.
La réforme des rythmes scolaires de 2013 visait à créer une logique entre temps scolaire, périscolaire et extrascolaire.
Cependant, les rapports donnent l'impression d'un « temps segmenté avec de multiples acteurs et pas forcément coordonnés. »
Daniel Auverlot liste ces acteurs : * le temps familial (écrans le soir, fatigue), * le temps de déplacement, * l'accueil périscolaire (qualité variable), * le temps scolaire (stress des enseignants), * la pause de midi, les activités périscolaires (hétérogénéité).
Il souligne que « la semaine de 4 jours, c'est 140 jours de classe sur 365, c'est-à-dire qu'il leur en reste 215 où l'école n'est pas concernée. »
Il mentionne l'intégration des services Jeunesse et Sport à l'Éducation Nationale comme un motif d'espoir pour une meilleure articulation, mais note que les acteurs ont encore tendance à ne pas se parler.
4. Les inégalités d'accès aux loisirs et vacances (Bertrand Réo)
Bertrand Réo met en lumière le fait que l'école représente « 32 % du temps disponible » de l'enfant. La question est : « Qu'est-ce qu'on fait en dehors de l'école ? »
Les trajectoires sont multiples et les acteurs nombreux.
Alors que les pratiques culturelles et sportives sont relativement documentées, la connaissance statistique sur les vacances des enfants est beaucoup plus faible.
L'OVLEJ (Observatoire des Vacances et des Loisirs des enfants et des jeunes) a mené des enquêtes révélant des inégalités persistantes de départ en vacances :
- 62 % des enfants partent en vacances, les autres ne partent pas.
- 33 % n'ont bénéficié d'aucun séjour.
- 57 % des non-départs s'expliquent par un manque de moyens financiers, mais aussi par une préférence à rester à la maison.
- Les écarts sont « beaucoup plus grands lorsque l'on compare bien évidemment les foyers à haut revenu par rapport au foyers à bas revenu. »
- Bertrand Réo mentionne le concept américain de « summer loss » (pertes d'apprentissage strictement scolaires durant les vacances d'été), où les écarts peuvent être cumulatifs, menant à « quasiment un ou 2 ans d'écart d'apprentissage » sur plusieurs années.
En France, le débat est différent, se concentrant sur ce qu'apportent les vacances collectives, qui développent d'autres types d'apprentissages :
« L'ouverture à l'autre, la notion de respect, le développement de l'entraide, l'autonomie, les compétences relationnelles. »
Il appelle à penser le temps de l'enfant dans sa globalité, car il ne s'agit pas de silos séparés mais d'une « articulation des temps sociaux ».
Conclusion générale
Les intervenants convergent sur l'idée que les rythmes de vie des enfants en France sont trop souvent segmentés et désarticulés.
Les jeunes panélistes expriment une surcharge et une fatigue liées aux rythmes scolaires actuels.
Les scientifiques soulignent l'importance des rythmes biologiques de l'enfant, non négociables, et la nécessité d'adapter les aménagements du temps.
Enfin, les observations du Conseil d'évaluation de l'école et de l'observatoire des vacances mettent en évidence les disparités et le manque de coordination entre * les différents temps de l'enfant (scolaire, péri-scolaire, extrascolaire, vacances) * et les acteurs impliqués, insistant sur la nécessité d'une réflexion globale et interdépendante pour le bien-être et le développement harmonieux des enfants et des jeunes.
Le droit à ne rien faire et le temps libre sont également mis en avant comme des éléments essentiels pour leur développement.