Synthèse du Webinaire : Concilier les Enjeux de l'Alimentation Durable et la Précarité
Résumé
Ce document de synthèse résume les échanges du webinaire "Comment concilier les 4 enjeux de l'alimentation durable et la précarité ?", organisé par le CRES et le GRAINE PACA.
Il met en lumière la complexité de la précarité alimentaire, un phénomène hétérogène et difficile à quantifier, qui toucherait environ 8 millions de personnes en France.
La région PACA se distingue par un taux de pauvreté élevé, le troisième plus important de France, exacerbant les inégalités d'accès à une alimentation de qualité.
Les interventions scientifiques ont démontré que les quatre piliers de l'alimentation durable (nutrition/santé, environnement, socio-économique, socio-culturel) ne convergent pas naturellement.
Cependant, des études approfondies révèlent qu'un régime alimentaire à la fois sain et à faible impact environnemental peut être moins coûteux.
La clé réside dans une "végétalisation saine" de l'alimentation : une réduction de la consommation de produits animaux, notamment la viande de ruminant, compensée par un apport accru en céréales complètes, légumineuses, fruits et légumes.
La région PACA dispose d'un écosystème structuré pour aborder ces défis, avec des instances de coordination comme la COALIM et des réseaux thématiques (Précalim, Éducalim, Régalim, PAT) visant à décloisonner les approches.
Des programmes nationaux comme "Mieux Manger Pour Tous" et des réglementations telles que la loi EGalim offrent des cadres financiers et légaux pour transformer les systèmes alimentaires, y compris l'aide alimentaire.
Enfin, l'étude de cas de l'épicerie sociale de Mouans-Sartoux illustre une transition réussie d'un modèle d'aide basé sur les invendus à une offre de produits frais, bio et locaux.
Cette transformation, rendue possible par la volonté politique, des partenariats stratégiques (Biocoop, producteurs locaux) et l'accès à des financements dédiés, prouve qu'il est possible d'améliorer radicalement la qualité et la durabilité de l'aide alimentaire tout en respectant la dignité des bénéficiaires.
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1. Introduction et Contexte du Webinaire
Organisé par le CRES PACA (Comité Régional d'Éducation pour la Santé) et le GRAINE PACA (Réseau Régional pour l'Éducation à l'Environnement et au Développement Durable), ce webinaire a bénéficié du soutien financier de la DREAL, et a été mené en partenariat avec la DRAF et l'ADEME Provence-Alpes-Côte d'Azur.
Il s'inscrit dans le cadre du programme Mieux Manger Pour Tous et fait partie d'un cycle de deux webinaires portés par deux réseaux régionaux majeurs :
• Précalim : Réseau régional de lutte contre la précarité alimentaire.
• Éducalim : Réseau régional de l'éducation à l'alimentation durable et au goût.
Les objectifs principaux du webinaire étaient les suivants :
• Approfondir les connaissances sur la notion d'alimentation durable et les leviers pour concilier ses enjeux chez les personnes en situation de précarité.
• Identifier les principales réglementations liées à l'alimentation durable pour tous.
• Découvrir une action de terrain inspirante et reproductible.
2. Le Cadre Stratégique et les Réseaux d'Acteurs en Région PACA
2.1. L'Écosystème Régional pour une Alimentation Durable
Présenté par Peggy Bucas (DRAF), le maillage régional en PACA est conçu pour maximiser l'efficacité des actions en faveur de l'alimentation durable.
• La COALIM : Cette instance réunit les institutions régionales (DRAF, DREAL, DREETS, ARS, ADEME, Région) qui pilotent des missions et des financements liés à l'alimentation durable. Elle assure une concertation et une complémentarité des actions.
• Les Réseaux Thématiques Régionaux : Quatre réseaux principaux apportent un soutien thématique et méthodologique aux porteurs de projet.
◦ Précalim : Focalisé sur la lutte contre la précarité alimentaire. ◦ Éducalim : Centré sur l'éducation à l'alimentation durable et au goût. ◦ Régalim : Dédié à la lutte contre le gaspillage et les pertes alimentaires. ◦ Réseau des PAT : Anime les 29 Projets Alimentaires Territoriaux (PAT) de la région.
Les PAT sont des leviers essentiels pour favoriser les coopérations, casser les fonctionnements en silo et développer une approche systémique. Ils ont pour mission d'intégrer un volet "justice sociale" pour réduire la précarité alimentaire.
2.2. Le Réseau Précalim et le Programme "Mieux Manger Pour Tous"
Présentés par Sandrine Fort (DREETS), le réseau Précalim et le programme MMPT sont des piliers de la lutte contre la précarité alimentaire dans la région.
Le Réseau Précalim :
• Membres : Près de 600 membres (institutions, associations, collectivités). Un appel est lancé pour intégrer davantage d'acteurs agricoles.
• Objectifs :
◦ Créer de l'interconnaissance entre les acteurs.
◦ Favoriser le partage d'initiatives et les retours d'expérience.
◦ Promouvoir les synergies et les coopérations.
◦ Valoriser les actions et les acteurs.
• Actions : Journées de rencontre, webinaires thématiques, ateliers "accélérateurs de projets" et une plateforme collaborative sur l'espace de l'ADEME.
Le Programme "Mieux Manger Pour Tous" (MMPT) :
• Origine : Issu du plan d'action pour la transformation de l'aide alimentaire.
• Budget national : 60 millions d'euros en 2023, avec une progression de 10 millions par an prévue jusqu'en 2027.
• Objectifs :
1. Améliorer la qualité nutritionnelle et gustative de l'aide alimentaire.
2. Soutenir la participation et l'accompagnement des personnes précaires.
3. Transformer les dispositifs locaux de lutte contre la précarité alimentaire (ex: paniers solidaires, groupements d'achat).
4. Réduire l'impact environnemental du système d'aide alimentaire.
• Chiffres du programme en PACA :
◦ 2023 : 51 projets financés pour 1,7 million d'euros. ◦ 2024 : 62 projets financés pour 2,5 millions d'euros. ◦ 2025 : Enveloppe de 3,3 millions d'euros, avec 46 projets supplémentaires en cours d'instruction.
3. La Précarité Alimentaire : Définitions et Chiffres Clés
3.1. Définitions Fondamentales
Terme
Définition
Alimentation Durable (FAO)
Régimes alimentaires qui contribuent à protéger la biodiversité, sont culturellement acceptables, économiquement équitables et accessibles, et nutritionnellement sûrs et sains. Elle repose sur quatre enjeux : Nutrition/Santé, Environnement, Socio-économique, et Socio-culturel.
Lutte contre la Précarité Alimentaire
Favoriser l'accès à une alimentation sûre, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante pour les personnes en situation de vulnérabilité, dans le respect de leur dignité et en développant leur capacité d'agir.
Aide Alimentaire
Fourniture de denrées alimentaires aux personnes vulnérables, assortie d'une proposition d'accompagnement.
Insécurité Alimentaire (FAO)
Situation dans laquelle une personne n'a pas un accès régulier à suffisamment d'aliments sains et nutritifs pour une croissance et une vie active et saine. Elle est mesurée par l'échelle FIES (Food Insecurity Experience Scale).
3.2. État des Lieux de la Précarité Alimentaire
La mesure de la précarité alimentaire en France est complexe en raison de l'absence de méthode de recensement homogène et régulière.
Les données sont issues du croisement de plusieurs sources (statistiques publiques, études ponctuelles comme INCA 3, données des associations).
Chiffres nationaux (estimations) :
• Personnes en insécurité alimentaire : 8 millions, soit 11% de la population (Anses).
• Insatisfaction alimentaire : 16% des personnes déclarent ne pas avoir assez à manger et 45% ne pas avoir les aliments souhaités (CRÉDOC, 2022).
• Bénéficiaires de l'aide alimentaire : Entre 2 et 9 millions. La DGCS recense 5,3 millions de personnes inscrites auprès des associations habilitées.
• Non-recours à l'aide alimentaire : 75% des personnes en insécurité alimentaire n'ont pas recours à l'aide alimentaire (étude INCA 3, 2015).
• Difficultés financières : 38% des Français rencontrent des difficultés financières pour consommer des fruits et légumes frais tous les jours (Baromètre Ipsos/Secours Populaire, 2024).
Impacts sur la santé :
• La prévalence de l'obésité est près de quatre fois plus élevée chez les adultes les plus pauvres.
• La consommation de fruits et légumes est deux fois plus faible chez les personnes en insécurité alimentaire (230g/jour en moyenne contre une recommandation de 400g/jour).
Situation en région PACA :
• Taux de pauvreté : 3ème plus élevé de France, touchant environ 850 000 personnes.
• Niveau de vie médian des personnes pauvres : 10 600 € par an, soit plus de deux fois inférieur au niveau de vie médian de l'ensemble de la population de la région (22 000 €).
• Département le plus pauvre : Le Vaucluse, avec un taux de pauvreté de 20% (5ème plus élevé de France).
• Groupes les plus touchés :
◦ Les ménages dont le référent a moins de 30 ans (25% de taux de pauvreté).
◦ Les familles monoparentales (30,2%).
◦ Les seniors (la part des retraités parmi les ménages pauvres est de 30,4%).
4. Éclairages Scientifiques : Vers une Alimentation Durable et Abordable
Florent Vieux (MS-Nutrition) a présenté plusieurs études visant à quantifier les dimensions de l'alimentation durable (nutrition, environnement, coût) à partir de bases de données de référence (INCA 3, Ciqual, Agribalyse, Kantar).
4.1. Hiérarchie des Groupes Alimentaires
Cette étude montre que le classement des aliments en termes de coût et d'impact environnemental dépend fortement de l'unité fonctionnelle choisie.
Unité Fonctionnelle
Constats Clés
Par kilogramme (€/kg)
- Les plus chers/impactants : Viande de ruminant, produits de la mer. <br> - Les moins chers/impactants : Fruits, légumes, légumineuses.
Par 100 kilocalories (€/100 kcal)
- Les fruits et légumes deviennent très chers et impactants en raison de leur faible densité énergétique. <br> - Les produits laitiers et les œufs restent en position intermédiaire.
Par unité de qualité nutritionnelle
- Les produits de la mer redeviennent plus "abordables". <br>
- Les fruits, légumes et légumineuses restent des choix très pertinents (faible coût/impact rapporté à leur densité nutritionnelle).
Conclusion principale : Le classement du coût et de l'impact environnemental des catégories d'aliments est très similaire.
Certains aliments comme les légumineuses, les pommes de terre et les céréales complètes sont systématiquement peu coûteux et peu impactants, quelle que soit l'unité fonctionnelle.
4.2. Approche par "Déviance Positive"
Cette étude a comparé les régimes alimentaires d'individus ayant une bonne qualité nutritionnelle mais des impacts environnementaux différents.
• Le groupe "plus durable" (bonne nutrition, faible impact) présentait également un coût alimentaire plus faible.
• Marqueurs d'une bonne qualité nutritionnelle (communs aux deux groupes) :
◦ Consommation élevée de fruits et légumes.
◦ Consommation élevée de produits laitiers.
◦ Faible consommation de boissons sucrées.
• Ce qui distingue le groupe à faible impact environnemental :
◦ Une consommation beaucoup plus faible de viande de ruminant.
◦ Une consommation nettement plus élevée de céréales complètes pour compenser.
4.3. Conclusion et Recommandations
L'ensemble des études convergent vers un message principal : la "végétalisation saine".
Il s'agit de réduire la consommation de produits animaux (surtout la viande) et de la substituer par des choix végétaux éclairés (céréales complètes, légumineuses, fruits et légumes).
• Enjeu spécifique pour les personnes précaires : L'augmentation de la consommation de fruits et légumes est prioritaire, car leur niveau de consommation de départ est particulièrement bas.
• Empreinte carbone : Si les plus pauvres ont une empreinte carbone globale bien plus faible que les plus riches, la différence est moins marquée pour le poste "alimentation". Agir sur ce levier reste donc pertinent pour tous.
5. Cadre Réglementaire et Levier d'Action
5.1. La Loi EGalim comme Modèle
Clara Vigan (DRAF) a présenté la loi EGalim, appliquée à la restauration collective, comme un levier puissant pouvant inspirer des actions au-delà de ce secteur.
• Objectifs de la loi :
◦ 50% de produits de qualité et durables, dont au moins 20% de produits bio.
◦ Diversification des sources de protéines avec l'introduction de menus végétariens, ce qui permet de réduire les coûts.
◦ Lutte contre le gaspillage alimentaire. ◦ Réduction de l'usage du plastique.
Ces principes peuvent être transposés à l'aide alimentaire pour améliorer la qualité de l'offre tout en maîtrisant les budgets.
5.2. L'Impératif de la Sécurité Sanitaire des Aliments
Peggy Bucas (DRAF) a rappelé les règles fondamentales du "Paquet Hygiène", cruciales pour toute structure distribuant des denrées.
• Principes clés : traçabilité des dons, respect de la chaîne du froid/chaud, hygiène des locaux et du personnel.
• Distinction essentielle :
◦ DLC (Date Limite de Consommation) : Dépassement impérativement interdit. ◦ DDM (Date de Durabilité Minimale) : "à consommer de préférence avant", le produit reste consommable sans risque sanitaire après la date.
6. Étude de Cas : La Transformation de l'Épicerie Sociale de Mouans-Sartoux
Rémy Georgon (CCAS de Mouans-Sartoux) a partagé le retour d'expérience de la transformation de l'épicerie sociale de la commune.
• Le déclic : Une prise de conscience collective en 2020 face à la baisse de qualité des dons issus des invendus. La structure réalisait qu'elle distribuait "des produits que personne n'a achetés".
• La stratégie de transformation :
1. Partenariats stratégiques : Une collaboration avec le magasin Biocoop local a permis d'instaurer une offre de produits en vrac (alimentaire et hygiène) et de créer un rayon de produits bio achetés.
2. Recherche de financements : Mobilisation des appels à projets "France Relance" (pour renouveler les équipements de froid) et "Mieux Manger Pour Tous".
3. Approvisionnement local et de saison : Mise en place d'un système de commande groupée de légumes frais et de saison auprès d'un producteur local.
4. Synergie avec la politique de la ville : Le projet MMPT a permis de financer l'embauche d'un maraîcher par le CCAS, mis à disposition de la régie agricole municipale pour augmenter la production de légumes bio à destination de l'épicerie.
5. Implication des bénéficiaires : Les usagers ont été consultés pour définir les produits frais prioritaires à acheter (produits laitiers).
• Résultats quantitatifs :
◦ En 2024, les produits bio représentaient 7% du stock (avec 0% de fruits et légumes).
◦ Au premier semestre 2025, ce chiffre est passé à 46% de produits bio en poids, dont 62% sont des fruits et légumes.
◦ Le budget d'achat de denrées est passé de 4 000 € à 25 000 €, soutenu par des subventions.
• Facteurs clés de succès :
◦ La conviction et l'engagement du responsable.
◦ Une forte volonté politique et le soutien de la mairie. ◦ La capacité à chercher des partenaires et des financements externes.
◦ Le choix de privilégier la qualité sur la quantité.