Note d'information : Militantisme et Esprit Critique
Synthèse
Ce document de synthèse analyse les tensions entre l'engagement militant et la rigueur de la pensée critique, en se basant sur les analyses de Laurent Puech, assistant social.
Il démontre que si le militantisme est essentiel pour le progrès social, une approche axée exclusivement sur la "cause" peut conduire à des dérives méthodologiques, à la manipulation de données et à des résultats contre-productifs.
À travers deux études de cas approfondies — les violences conjugales et les enfants tués par leurs parents —
Laurent Puech met en lumière comment certains discours militants, souvent amplifiés par les médias et les institutions, propagent des statistiques alarmistes et factuellement fausses.
Par exemple, l'idée d'une augmentation des "féminicides" ou le chiffre de "deux enfants tués par jour" sont directement contredits par les données officielles, qui montrent au contraire une baisse significative de ces phénomènes.
Ce décalage entre la perception et la réalité révèle l'utilisation des chiffres non pas comme des outils de mesure, mais comme des arguments moraux visant à susciter l'émotion et à valider une idéologie préexistante.
Cette démarche, bien que souvent sincère, entrave une compréhension juste des problèmes, génère une peur infondée et risque de paralyser les victimes que l'on prétend aider.
En conclusion, Laurent Puech plaide pour un militantisme fondé sur la méthode, la vérification des faits et l'honnêteté intellectuelle, même face aux sujets les plus sensibles.
1. Profil de l'intervenant : Laurent Puech
Laurent Puech est un assistant social de formation qui a développé une expertise sur l'application de la pensée critique dans le domaine de l'aide sociale et du militantisme.
1.1. Parcours professionnel
• Formation et débuts : Après une réorientation professionnelle vers la trentaine, il s'est formé au métier d'assistant de service social.
• Expériences diverses : Son parcours l'a conduit à travailler dans des contextes variés, incluant le milieu scolaire (collèges, lycées), la "polyvalence de secteur" (service social de quartier), et une mise à disposition auprès de la gendarmerie.
• Spécialisation : Ces expériences l'ont rapproché des questions de protection de l'enfance et des personnes, notamment les femmes victimes de violences conjugales.
Son rôle auprès de la gendarmerie consistait à assister le public en contact avec les forces de l'ordre, sur la base du volontariat.
1.2. Parcours militant et évolution
Laurent Puech se définit comme un militant, son parcours étant jalonné d'engagements syndicaux, politiques et associatifs (notamment à l'Association Nationale des Assistants de Service Social - ANAS).
Il décrit une évolution significative dans sa manière de militer :
• Du militantisme de l'idée... : Dans sa jeunesse (années 80), son engagement était principalement motivé par des "idées" et des grands principes.
Il cite son adhésion au MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les Peuples) comme un exemple de militantisme centré sur la défense de valeurs (égalité, dignité) sans un questionnement approfondi de la méthode.
• ...Au militantisme de la méthode : Aujourd'hui, son militantisme est axé sur la défense d'une méthode basée sur la pensée critique, l'analyse de l'information et la déconstruction des logiques argumentatives.
Il ne défend plus une "casquette" mais une approche rigoureuse.
L'influence de sa jeunesse punk a joué un rôle formateur, lui inculquant une défiance envers les autorités non justifiées et un regard critique comme préalable à la reconnaissance de toute autorité.
2. Le Rôle Central de la Pensée Critique
L'intérêt de Laurent Puech pour la pensée critique a émergé en dehors du travail social, lors d'une expérience dans le secteur de la diététique en Belgique.
2.1. L'origine de l'intérêt
Confronté à des personnes en souffrance utilisant des thérapies dites "alternatives" (par exemple, des cures de vitamines basées sur les conseils d'un astrologue), il a commencé à s'interroger sur l'impact des croyances.
Il a compris que la sincérité ou la bienveillance d'un praticien (astrologue, gourou) ne suffisait pas à garantir la qualité de sa démarche.
La lecture d'ouvrages comme "Le paranormal" d'Henri Broch a été un tournant, lui fournissant les outils méthodologiques pour analyser la construction d'une argumentation et la validité des preuves.
2.2. La Zététique comme méthode
Il a adopté la démarche de la zététique, définie comme un scepticisme utilisant la méthode scientifique pour mettre à l'épreuve des énoncés par l'investigation, la remontée aux sources et l'expérimentation.
Il a appliqué cette méthode en déconstruisant les prévisions de l'astrologue Élizabeth Teissier, démontrant qu'elles étaient soit factuellement fausses (dans les dates), soit si vagues qu'elles étaient sujettes à toutes les interprétations.
Cette analyse a également mis en lumière la complaisance des médias, qui relayaient ses affirmations sans aucun regard critique.
3. Application au Travail Social : Le Paradoxe de la Protection
Laurent Puech transpose cette analyse critique à son propre domaine, le travail social, via ses sites SecretPro.fr
(sur le secret professionnel) et protections-critiques.org
.
3.1. L'aide sociale comme "effraction"
Il décrit certaines facettes de l'aide sociale, notamment en protection de l'enfance, comme une "effraction". Lorsqu'une "information préoccupante" est émise, une enquête sociale est déclenchée.
Une famille ne peut refuser ce contact sans risquer une saisine de l'autorité judiciaire. L'intervention, même si elle n'est pas physiquement forcée, l'est symboliquement.
Il note une augmentation de ces procédures, ce qui pose la question de l'équilibre entre aide et contrôle, avec une part du contrôle devenant de plus en plus "brutale et violente".
3.2. L'angle mort du système protecteur
Le principal risque est que "le protecteur peut devenir maltraitant". Selon lui, les systèmes de protection souffrent d'un angle mort majeur :
ils sont conçus pour voir la violence chez les autres (les familles) mais peinent à penser leur propre violence potentielle.
Ce phénomène est renforcé par un vocabulaire qui se veut exclusivement positif :
• Protection : Un concept "horizon", une promesse impossible à atteindre pleinement.
• Déontologie, Respect, Bienveillance : Des termes qui bardent le professionnel de certitudes morales et l'empêchent de questionner les effets potentiellement destructeurs de ses actions.
Pour Puech, la bienveillance ne se décrète pas au présent ; elle se mesure aux effets produits, donc toujours au passé.
L'injonction paradoxale faite aux professionnels ("Soyez aidant en contrôlant les gens") achève de brouiller les repères et complique la pratique quotidienne.
4. Étude de Cas 1 : Les Violences Conjugales
Laurent Puech applique sa méthode critique à la question très médiatisée des violences conjugales, en analysant les discours militants et les données disponibles.
4.1. Définitions et données
• Distinction clé : Il rappelle la distinction du rapport Henrion entre le conflit conjugal (où les acteurs sont sur un pied d'égalité, même avec des actes violents) et la violence conjugale, qui se caractérise par une domination de l'un sur l'autre.
• Types de violence : Si la violence physique grave est majoritairement le fait d'hommes sur des femmes, les études (notamment québécoises) montrent une quasi-parité dans les violences psychologiques.
• Manque de données en France : L'enquête Enveff (début des années 2000) ne portait que sur les femmes.
Le rapport complet de la nouvelle enquête Virage (hommes et femmes), prévu pour 2017, n'est toujours pas publié en 2019.
4.2. Analyse du discours militant
Le discours militant actuel se concentre sur les violences physiques des hommes envers les femmes, en utilisant le terme "féminicide". Cette approche présente plusieurs biais :
• Invisibilisation d'une partie du réel : Elle occulte les violences psychologiques, les violences exercées par des femmes, et les hommes victimes.
Ces derniers sont d'ailleurs confrontés à une incrédulité qui rend leur parole encore plus difficile ("Oh, monsieur ! C'est qui, l'homme à la maison ?").
• Simplification idéologique : En ne retenant que la violence patriarcale (homme sur femme), ce discours met sur le même plan des situations de nature très différente (ex: un homicide violent et une euthanasie de conjoint atteint d'Alzheimer) au seul motif que la victime est une femme.
• Focalisation sur l'agresseur : En se concentrant sur les "féminicides", le discours militant s'intéresse moins aux femmes victimes qu'à prouver que "l'homme est un salaud".
La preuve en est que les homicides de femmes par des femmes dans un couple ne sont pas comptabilisés par certains collectifs.
4.3. La réalité des chiffres
Le discours militant diffuse l'idée d'une augmentation dramatique des "féminicides", en s'appuyant sur des pics statistiques de courte durée (ex: janvier-février 2019) et en ignorant les périodes de baisse.
• Tendance de fond : Les données officielles de la Délégation aux victimes du Ministère de l'Intérieur, collectées depuis 2006, montrent une baisse de 25 % des homicides au sein du couple (hommes et femmes) entre 2006 et 2017.
• Contexte général : Cette baisse s'inscrit dans une tendance plus large de diminution des homicides en France (passés de 1500 à 800 par an en 15 ans).
• Explications : Cette amélioration est le fruit de multiples facteurs : meilleure connaissance du phénomène (grâce, paradoxalement, aux alertes militantes initiales), renforcement de la loi pénale, et création de dispositifs d'aide et d'hébergement.
• Effets du discours alarmiste : En affirmant que "rien n'est fait", le discours militant actuel est jugé "dépressif" et peut "tétaniser les femmes qui vivent de la violence" en leur envoyant le message que la société les abandonne.
5. Étude de Cas 2 : Les Enfants Tués par leurs Parents
Un autre sujet où l'émotion anesthésie l'esprit critique est celui des enfants tués par leurs parents.
5.1. Le mythe des "deux enfants tués par jour"
Le chiffre de "deux enfants tués par jour" (environ 700 par an) est largement diffusé par des associations, des médias et même des institutions (rapports parlementaires, ministres, etc.).
Laurent Puech en retrace l'origine, qu'il compare à celle de l'iridologie (une pseudoscience fondée sur une seule anecdote non vérifiée).
• Origine (années 80) : Le chiffre provient d'une extrapolation "insensée" réalisée à partir de données éparses d'un seul service hospitalier.
• Légitimation (années 2000) : Une étude de l'Inserm, portant uniquement sur les enfants de 0 à 1 an, a popularisé une méthode d'extrapolation consistant à multiplier les cas connus par un facteur allant jusqu'à 15 pour estimer les cas cachés (ex: syndrome du bébé secoué).
• Généralisation absurde : Cette méthode, déjà très critiquable pour les nourrissons, a ensuite été appliquée à tous les mineurs, comme s'il était aussi facile de dissimuler le meurtre d'un adolescent de 14 ans que celui d'un bébé.
5.2. La réalité des chiffres
• Contradiction flagrante : Le chiffre de 700 enfants tués par an était supérieur au nombre total d'homicides enregistrés en France toutes catégories d'âge confondues. Cette absurdité n'a pourtant pas empêché sa diffusion.
• Données réelles : Un travail de recensement rigoureux mené sur la période 2012-2016 a établi le nombre moyen de cas à environ 70 par an, soit dix fois moins que le chiffre militant.
5.3. Le chiffre comme argument moral
L'analyse de Laurent Puech montre que, sur ces sujets hautement émotionnels, le chiffre n'est pas utilisé pour décrire le réel, mais pour soutenir une position morale.
Il sert à dire "j'ai raison" et à disqualifier toute parole dissonante comme étant "immorale".
Ceux qui contestent le chiffre sont accusés de minimiser la gravité du problème et de se placer "dans le camp du mal", alors même que la critique ne porte pas sur la sincérité des acteurs, mais sur la rigueur de leur méthode et la fiabilité de l'information qu'ils diffusent.