Note de synthèse : Les différences cognitives entre les sexes
Source : Extraits de la conférence "Les différences cognitives entre les sexes : lesquelles ? pourquoi ? comment ?" animée par Franck Ramus.
Cette conférence aborde la question complexe des différences cognitives entre les sexes, en s'appuyant sur des données scientifiques pour démystifier les idées reçues et explorer les diverses causes possibles (biologiques, environnementales, sociales).
Thèmes principaux et idées clés :
1. Existence de différences cognitives moyennes et leur nature :
- Il existe des différences cognitives moyennes entre les sexes en langage, mathématiques, mémoire et attention.
- Ces différences sont souvent commentées, exagérées ou niées, mais la science cherche à comprendre leur origine et leur ampleur.
- Citation : "oui il existe des différences cognitives moyennes entre les sexes en langage en mathématiques en mémoire en attention mais ces différences sont-elles biologiques ?
quel rôle a joué notre évolution dans cette différenciation ? sont-elles construites par l'éducation ? sont-elles universelles ou liées à une époque et une culture et un environnement ?
et surtout que peut-on vraiment prouver aujourd'hui quand on interroge la réalité de ces écarts ?"
2. Le cas des performances en mathématiques chez les filles et les garçons :
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Les rapports officiels (ADEP, inspection générale) montrent que les filles sont minoritaires dans les options scientifiques au lycée et dans les filières scientifiques de l'enseignement supérieur, une situation stable depuis 20 ans après une progression.
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Des évaluations nationales récentes ont révélé que les garçons sont en moyenne plus performants en mathématiques dès le milieu du CP.
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Cet écart est spécifique aux mathématiques, car globalement, les filles ont de meilleurs résultats scolaires dans d'autres matières (français, langues, etc.).
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Ce phénomène n'est pas franco-français et s'observe dans la plupart des pays de l'OCDE (évaluations PISA), à quelques exceptions près comme la Finlande où il n'y a pas de différence ou elle est inversée.
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Citation : "dès le dès le milieu du CP il se passe quelque chose au cours du CP qui fait que tout d'un coup les filles commencent à perdre du terrain sur les garçons dans l'apprentissage des mathématiques et c'est assez spécifique aux mathématiques parce que finalement c'est dans un contexte où globalement les filles ont des meilleurs résultats scolaires que les garçons".
3. Analyse des causes potentielles des différences : un modèle multifactoriel :
- Le rapport de l'inspection générale écarte l'origine biologique des différences en mathématiques, privilégiant les causes psychologiques et sociologiques, notamment la menace du stéréotype.
Franck Ramus propose un modèle causal hypothétique incluant :
- Facteurs internes à l'individu : préférences, motivations, capacités cognitives.
- Facteurs environnementaux : influences familiales et sociales (socialisation de genre, stéréotypes, modèles).
- Facteurs biologiques précoces : génome (chromosomes sexuels), hormones sexuelles (testostérone).
- Facteurs contextuels : peuvent biaiser la mesure des performances (ex: menace du stéréotype, compétitivité).
4. Analyse critique des facteurs sociaux :
- Menace du stéréotype :Des expériences (ex: tâche de Rey-Osterrieth présentée comme test de dessin vs. géométrie) montrent que le fales it de mentionner les mathématiques peut faire baisser la performance des filles.
- Cependant, les méta-analyses et études à grande échelle récentes remettent en question sa réplicabilité et suggèrent que son effet est très faible (taille d'effet proche de 0,07 après correction des biais de publication).
- Son rôle dans les situations d'évaluation réelles n'est pas clairement établi.
- Socialisation de genre (activités genrées et organisation genrée de la famille) :Une étude sur la cohorte ELF (4000 enfants suivis de la naissance au CP) n'a trouvé aucun effet des "activités genrées" (choix de jeux, etc.) sur les performances en mathématiques.
- En revanche, l'organisation genrée de la famille (répartition stéréotypique des tâches parentales) a un petit effet sur les performances en mathématiques des filles au CP (explique environ 7% de la différence garçons-filles).
Les filles issues de familles plus stéréotypiques ont de moins bons scores.
- Influence des enseignants :Les caractéristiques des enseignants (sexe, formation) peuvent moduler les performances des filles. Un écart plus important est observé chez les filles ayant un instituteur à formation scientifique.
- Des études montrent que plus les enseignants ont des stéréotypes de genre (explicites ou implicites), plus les scores des filles en maths diminuent, sans effet sur les garçons.
- Contexte de l'évaluation (compétitivité, pression temporelle) :Les filles ont tendance à moins bien performer dans les contextes d'évaluation compétitifs ou chronométrés.
- Les garçons préfèrent davantage les tâches compétitives que les filles.
- Cependant, ce n'est pas spécifique aux mathématiques et ne semble pas entièrement expliquer les écarts observés dans les évaluations nationales.
5. La perspective évolutionnaire et les différences à travers les espèces :
- Il existe de nombreuses différences entre les sexes observables dans toutes les espèces, souvent liées à la reproduction.
- La reproduction sexuée anisogame (gamètes de tailles différentes) entraîne des stratégies reproductives différentes :
- Investissement parental : plus important pour les femelles (grossesse, allaitement).
- Potentiel reproductif : plus élevé chez les mâles (un homme peut potentiellement avoir beaucoup plus de descendants qu'une femme).
- Compétition intrasexuelle : plus forte chez les mâles, menant à la sélection de traits (taille, force, agressivité).
- Dimorphisme sexuel : différences de forme/taille (ex: mâles plus grands pour la lutte).
- Ces prédictions de la théorie de l'évolution sont vérifiées chez l'humain (critères de choix du partenaire, agressivité, violence).
- Citation : "Toutes ces prédictions de la théorie de l'évolution elles sont vérifiées non seulement dans plein d'espèces mais aussi chez l'être humain et chez la plupart des mammifères donc de ce point de vue on n'a pas l'air exceptionnel du tout".
- L'hypothèse d'une origine 100% socioconstructiviste des différences humaines est jugée "peu plausible" car elle impliquerait une annulation de l'héritage évolutif et une émergence "par hasard" de différences qui correspondent exactement aux prédictions évolutionnaires.
6. Lien entre la cognition, l'évolution et les mathématiques :
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Les mathématiques ne sont pas une capacité cognitive primaire sélectionnée, mais un objet culturel complexe.
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Capacités visuo-spatiales (rotation mentale 3D) : Les hommes sont en moyenne meilleurs.
Des études chez les bébés (3-16 mois) et des "expériences de la nature" (filles avec hyperplasie congénitale des surrénales) suggèrent une origine biologique précoce, potentiellement liée à la testostérone prénatale/postnatale.
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Citation : "c'est un indice possible que pour une capacité cognitive bien spécifique il pourrait y avoir un avantage au garçon qui soit observé dès la naissance et que peut-être il est là parce que il a été sélectionné".
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Cependant, le lien entre ces capacités spécifiques et la performance globale en mathématiques est complexe et non linéaire, car les mathématiques sollicitent de nombreuses fonctions cognitives (mémoire, raisonnement, etc.) où les avantages sont répartis entre les sexes.
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Les tests de compétences mathématiques précoces chez les bébés (dès 6 mois) ne montrent pas de différences entre garçons et filles.
7. Différences de préférences et de variabilité :
- Préférences :Les hommes ont un intérêt plus fort pour les objets et les systèmes matériels ("systématisation").
- Les femmes ont un intérêt plus fort pour les personnes et les relations sociales ("empathisation").
- Ces préférences sont observées dès le plus jeune âge (choix de jouets) avec des tailles d'effet très importantes.
- Des indices suggèrent un rôle des facteurs biologiques précoces (filles avec hyperplasie, nouveau-nés).
- Ces préférences peuvent entraîner un engagement différent dans les activités et, à terme, des différences de compétences.
- Variabilité :Les garçons/hommes présentent une plus grande variabilité dans leurs scores en mathématiques et dans la plupart des traits cognitifs et cérébraux.
- Citation : "toutes les barres qui sont au-dessus de la ligne zéro ici et ben elles disent que les garçons ont des scores de math plus variables que les filles".
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Cette plus grande variabilité masculine est expliquée par la plus grande variabilité reproductive des mâles (potentiel de descendants extrêmes), ce qui favorise la sélection de phénotypes extrêmes (très bons ou très mauvais).
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Conséquence : Même avec une moyenne égale, une plus grande variabilité masculine signifie qu'il y aura plus d'hommes aux extrêmes (à la fois les meilleurs et les moins bons), ce qui impacte les filières sélectives (ingénierie, sciences).
Conclusion générale :
- Les différences entre les sexes sont variées en ampleur et en niveaux de preuve.
- Les différences liées à la reproduction et au comportement social sont importantes et bien étayées par des preuves biologiques précoces.
- Les différences dans des capacités cognitives spécifiques sont plus petites et leurs preuves d'origine biologique précoce sont plus faibles (ex: rotation mentale 3D).
- Il n'y a pas de différence significative d'intelligence générale entre les sexes.
Concernant les différences en mathématiques :
- Les différences cognitives innées spécifiques aux mathématiques ne sont pas clairement prouvées.
- Les différences de préférence semblent être un facteur explicatif plus robuste, car elles sont précoces et peuvent influencer l'engagement et le développement des compétences.
- La socialisation de genre (notamment l'organisation genrée de la famille et les stéréotypes des enseignants) a un effet causal prouvé, bien que modeste.
- La menace du stéréotype a un effet très faible et sa réalité est débattue.
- La plus grande variabilité masculine peut expliquer la surreprésentation des garçons aux extrêmes (donc dans les filières d'excellence) même si la moyenne est similaire.
En somme, l'explication des différences en mathématiques est multifactorielle, impliquant des interactions complexes entre facteurs biologiques, environnementaux et sociaux, sans qu'aucune cause unique ne puisse tout expliquer.
La focalisation sur les mathématiques est justifiée par leur lien avec les carrières rémunératrices, mais une attention similaire devrait être portée aux difficultés des garçons en français/langage.