Note de Synthèse : Rapport sur la Santé Mentale des Mineurs
Le rapport: https://hyp.is/go?url=https%3A%2F%2Fwww.assemblee-nationale.fr%2Fdyn%2F17%2Frapports%2Fdde%2Fl17b1700_rapport-information.pdf&group=world
Résumé
Ce document de synthèse présente les conclusions et recommandations clés du rapport parlementaire sur la santé mentale des mineurs.
Le constat principal est une dégradation alarmante de la santé psychique des enfants et adolescents en France, avec 1,6 million de mineurs souffrant d'un trouble psychique, et une augmentation particulièrement marquée de +70% chez les 10-14 ans entre 2017 et 2023.
Le système de soins est totalement débordé, avec seulement un jeune sur deux ayant accès à un suivi et des délais d'attente atteignant 18 mois pour un premier rendez-vous en Centre Médico-Psychologique (CMP).
Le rapport identifie deux crises interdépendantes : d'une part, une offre de soins illisible, sous-financée et en manque criant de personnel, et d'autre part, une prévention quasi inexistante, notamment dans le cadre scolaire.
Une surreprésentation dramatique des enfants de l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE) au sein des services de pédopsychiatrie (jusqu'à 40% des lits pour 2% de la population mineure) met en lumière la faillite du suivi de ces publics particulièrement vulnérables.
Les 54 recommandations formulées visent à une refonte structurelle du système. Les priorités incluent :
1. La réorganisation du parcours de soins via une "gradation" claire, renforçant le premier recours (médecins généralistes, pédiatres) pour désengorger les CMP.
2. Le renforcement des CMP comme pivots du système, avec des budgets pérennes, un maillage territorial assurant un accès en 30 minutes, et une approche pluridisciplinaire.
3. L'investissement massif dans la prévention, de la périnatalité (unités parents-bébés) à la santé scolaire (atteindre les ratios européens de médecins et psychologues).
4. Une meilleure prise en charge des enfants de l'ASE avec un repérage systématique, un suivi de santé effectif et la création de structures mixtes soin-hébergement.
5. La lutte contre la pénurie de professionnels par la revalorisation des salaires, la réforme de la tarification des actes et des mesures pour améliorer l'attractivité de la pédopsychiatrie.
Enfin, le rapport souligne l'impact majeur de facteurs environnementaux comme la pression scolaire (Parcoursup), l'addiction aux écrans et les inégalités sociales, appelant à des réponses politiques plus larges.
1. Le Constat Alarmant d'une Crise de Santé Publique
Le rapport parlementaire, fruit de six mois de travail incluant 37 auditions et quatre déplacements, dresse un tableau sans équivoque de la détérioration de la santé mentale des mineurs en France.
A. Chiffres Clés de la Dégradation
• Prévalence des troubles : Selon le rapport de la Cour des comptes de 2023, 1,6 million d'enfants et d'adolescents souffrent d'un trouble psychique.
• Augmentation significative : Entre 2017 et 2023, une forte augmentation des troubles a été observée, notamment :
◦ +70 % chez les 10-14 ans. ◦ +46 % chez les 15-20 ans.
• Actes auto-infligés : La DREES note une augmentation des hospitalisations pour tentatives de suicide et gestes auto-infligés chez les 10-14 ans.
• Précocité des troubles : La moitié des troubles psychiatriques se déclarent avant l'âge de 15 ans, soulignant l'urgence d'une intervention précoce.
B. La Vulnérabilité Extrême des Enfants Protégés
Un des constats les plus marquants du rapport est la surreprésentation des enfants relevant de l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE) dans les services de pédopsychiatrie.
• Occupation des lits : Jusqu'à 40-50 % des lits d'hospitalisation à temps plein sont occupés par des enfants placés, alors qu'ils ne représentent que 2 % des mineurs en France.
• Facteurs de risque : La maltraitance subie par ces enfants multiplie par deux les risques de suicide et par quatre les risques de psychotrauma.
• Cercle vicieux : Le suivi médical défaillant de ces mineurs entraîne une prise en charge trop tardive, souvent via une hospitalisation prolongée qui se substitue à un lieu de vie, aggravant leur état.
En parallèle, les foyers sont démunis face à des jeunes avec des troubles lourds non pris en charge.
2. Un Système de Soins Débordé et Illisible
Face à la hausse de la demande, l'offre de soins est criante de manque de moyens et d'organisation, laissant de nombreuses familles sans solution.
A. La Saturation des Structures
• Accès aux soins limité : Sur les 1,6 million de jeunes présentant des troubles, seuls 750 000 à 850 000 sont suivis, soit environ un sur deux.
• Délais d'attente insoutenables : L'attente pour un premier rendez-vous en Centre Médico-Psychologique (CMP) peut atteindre 12 à 18 mois, parfois plus.
Cette attente laisse le temps à la situation de s'aggraver, conduisant à une prise en charge aux urgences, elles-mêmes engorgées.
B. Recommandation : Instaurer une Gradation des Soins
Pour rendre l'offre plus lisible et efficiente, le rapport préconise une meilleure organisation du parcours de soins.
• Premier niveau : Les médecins généralistes et pédiatres devraient assurer la première consultation, la détection et l'orientation.
Cela nécessite un renforcement de leur formation en psychiatrie infanto-juvénile.
Ce niveau pourrait aussi inclure des psychologues et les Maisons des Adolescents.
• Deuxième niveau (pivot) : Les Centres Médico-Psychologiques (CMP) se concentreraient sur les cas nécessitant une expertise pluridisciplinaire, tout en conservant un accueil inconditionnel sans adressage obligatoire pour ne pas éloigner les plus fragiles.
• Troisième niveau : Des centres de gestion de crise de courte durée, adossés aux urgences pédiatriques ou hôpitaux psychiatriques, pour les situations les plus aiguës.
C. Recommandation : Renforcer le Secteur de la Pédopsychiatrie
Le rapport insiste sur la nécessité de renforcer l'existant plutôt que de disperser les moyens dans des dispositifs innovants non pérennes.
• Stabilité financière : Pérenniser et flécher les budgets de la pédopsychiatrie au sein des hôpitaux et privilégier les dotations pluriannuelles aux appels à projets.
• Priorité au soin : Réorienter les moyens financiers et humains vers le soin direct plutôt que vers des plateformes de diagnostic qui, malgré leurs avancées, peuvent favoriser une approche médicamenteuse au détriment de la relation thérapeutique.
• Maillage territorial : Revoir le maillage des CMP pour que chaque enfant puisse y accéder en moins de 30 minutes de son domicile, en adaptant le découpage des secteurs aux évolutions démographiques (un secteur couvre aujourd'hui jusqu'à 500 000 habitants contre 200 000 prévus initialement).
3. L'Urgence d'une Prévention Efficace
Le rapport souligne que la prévention est le parent pauvre de la politique de santé mentale, alors qu'elle est déterminante.
A. La Période des 1000 Premiers Jours
La période allant de la conception aux deux ans de l'enfant est fondamentale.
• Soutien à la parentalité : Les "Maisons des bébés" sont des dispositifs essentiels pour prévenir les troubles précoces du lien parent-enfant.
• Psychiatrie périnatale : Les unités d'hospitalisation conjointe mère-bébé, comme celle de Toulouse, permettent de détecter les signes de souffrance dès les premiers jours et de réparer le lien d'attachement. Il est recommandé de développer ces unités et de former les professionnels à la théorie de l'attachement.
B. Le Rôle Fondamental de la Santé Scolaire
L'Éducation Nationale est un lieu stratégique pour la détection précoce, mais ses moyens sont gravement fragilisés.
Professionnel
Ratio Actuel
Ratio Recommandé (UE)
Recommandation du Rapport
Psychologue scolaire
1 pour 1 600 élèves
1 pour 800 élèves
1 pour 800 élèves
Médecin scolaire
1 pour 13 000 élèves
-
1 pour 5 000 élèves
Infirmier scolaire
1 pour 9 établissements
-
1 par établissement
• Conséquence directe : Le bilan de santé obligatoire à 6 ans est réalisé à 12 ans dans 80 % des cas, entraînant une accumulation de difficultés non détectées à l'entrée au collège.
Le rapport préconise une trajectoire de recrutement ambitieuse pour atteindre les ratios cibles.
4. La Crise des Ressources Humaines et la Question de l'Attractivité
La pénurie de professionnels qualifiés est au cœur de la crise du système.
• Pénurie de pédopsychiatres : La densité nationale est de 6,7 pédopsychiatres pour 100 000 jeunes, et la profession est vieillissante (moyenne d'âge de 60 ans).
La discipline est peu attractive pour les internes (127 inscrits pour 157 postes ouverts en 2023) car jugée trop proche des sciences humaines et aux conditions de travail difficiles.
• Manque de valorisation : Les professions (psychologues, paramédicaux) sont peu valorisées et faiblement rémunérées.
Une consultation en pédopsychiatrie est un acte long et complexe (minimum 1h) mais rémunéré seulement 67 € en moyenne, poussant les professionnels vers le secteur non conventionné ou la patientèle adulte.
• Recommandations :
-
◦ Revaloriser la rémunération des psychologues et personnels paramédicaux en CMP.
-
◦ Augmenter significativement le tarif des consultations en pédopsychiatrie.
-
◦ Réformer le codage des actes pour valoriser le temps de concertation avec les familles et partenaires.
-
◦ Instaurer un quotient départemental pour les stages en internat afin de mieux répartir les futurs médecins sur le territoire.
5. Facteurs Environnementaux et Sociétaux Aggravants
Le rapport identifie plusieurs facteurs externes qui pèsent lourdement sur la santé mentale des jeunes.
• Médicalisation excessive : La consommation de psychotropes (type Ritaline) est en forte augmentation (490 000 enfants de 3 à 17 ans concernés).
Ces médicaments sont souvent prescrits par des médecins généralistes peu formés, posant la question du bon usage.
Le rapport recommande de privilégier les soins thérapeutiques à la prescription.
• Impact des écrans : L'addiction aux écrans et l'exposition à des contenus violents, pornographiques ou au cyberharcèlement sont unanimement citées comme aggravant les troubles anxio-dépressifs.
Le rapport soutient la majorité numérique, la mise en place de "pauses numériques" dans les établissements scolaires et appelle à des campagnes de prévention massives.
• Pression scolaire : Le système d'orientation, et notamment Parcoursup, est décrit comme créant un "climat extrêmement anxiogène".
Les rapporteurs proposent, avec des nuances, de réformer en profondeur (Nathalie Colin-Osterlé) ou de supprimer (autre rapporteure) ce dispositif et toute forme de sélection à l'université.
• Déterminants sociaux : Les enfants de familles défavorisées ont un risque trois fois plus important de développer un trouble mental et ont plus de difficultés d'accès aux soins.
Le rapport appelle à investir dans les services publics et les politiques de lutte contre les inégalités sociales pour agir sur les causes profondes.