Briefing sur l'impact de l'IA sur l'enseignement sur France Culture
Ce document de briefing analyse les thèmes principaux, les idées essentielles et les faits importants issus des discussions sur l'intégration de l'intelligence artificielle dans l'éducation.
1. L'IA dans l'enseignement : omniprésence, défis et opportunités
L'IA, en particulier les IA génératives grand public, est déjà massivement présente dans les pratiques des élèves et, dans une moindre mesure, des enseignants.
Selon le ministère de l'Éducation nationale, 80% des élèves et 20% des professeurs utilisent déjà l'IA.
- Usages des élèves : Les élèves utilisent l'IA pour corriger des textes, reformuler des cours, mieux comprendre des notions, trouver des définitions de mots, et parfois pour tricher.
Un élève témoigne : "Je lui demande quand j'ai besoin d'aide pour faire les dissertations de philosophie ou de français. (...) il te mâche un petit peu le travail."
Cependant, il y a aussi une conscience des limites : "parfois il donne des informations fausses et donc faut quand même vérifier si c'est ça ou pas."
Un exemple concret de triche est cité : une élève utilisant une IA lors d'un devoir surveillé pour obtenir les solutions à l'oreille.
- Problèmes cognitifs : Christophe Caillot, professeur d'histoire, souligne que les IA génératives sont "extrêmement problématiques au point de vue cognitif" car elles agissent comme des "courts circuits dans les apprentissages".
Il explique qu'apprendre est un "chemin, un parcours qu'on doit faire assez long chemin d'embûe" et que l'IA "nous empêche d'accéder au savoir aux apprentissages".
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Perte de sens de l'apprentissage : L'usage de l'IA est vu comme "dévalorisant" les apprentissages et posant un "problème anthropologique" en expliquant "qu'on peut se passer d'apprendre dans la vie", ce qui revient à "se passer de ce qui fait un peu le sel de la vie".
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Rôle des IA conçues pour l'éducation : Orian Ledroit, directrice générale d'EdTech France, distingue les IA grand public (comme ChatGPT) des "autres IA qui sont aussi dans les classes mais qui ont été conçus à des fins éducatives et qui n'ont pas ni les mêmes impacts ni les mêmes modèles technologiques et qui sont (...) utiles à des apprentissages qui sont plus stimulants plus personnalisés".
Elle mentionne des études montrant des effets positifs et négatifs selon le contexte, l'accompagnement et les utilisateurs, notamment sur la motivation à apprendre (réduction de la peur de l'échec).
- Manque de recul et de formation : Jada Pistili, docteure en philosophie spécialisée dans l'éthique de l'IA, souligne le manque de recul scientifique pour évaluer les impacts à long terme de ces technologies.
"On est tous un peu des cobaye en fait," dit-elle, insistant sur l'approche "mitigée" nécessaire. Elle mentionne également le manque de formation des enseignants.
2. Le débat sur la personnalisation et le remplacement des enseignants
- L'argument de la personnalisation (EdTech) : Orian Ledroit défend que l'IA peut "donner les moyens aux enseignants (...) d'identifier encore mieux peut-être encore plus facilement les fragilités d'un élève ou au contraire les facilités de l'autre" et ainsi permettre une "différenciation" ou "personnalisation" de l'apprentissage.
Elle affirme que l'IA ne vise pas à remplacer les enseignants mais à "soutenir leur pratique pédagogique".
- La critique de la personnalisation (Syndicat enseignant) : Christophe Caillot rejette l'argument de la personnalisation comme un "argument marketing", expliquant qu'une IA, n'étant pas une personne, "ne peut pas personnaliser".
Il compare les IA éducatives actuelles aux "teaching machines" de Skinner des années 50, qui n'ont pas abouti à une révolution.
Pour lui, la solution aux difficultés des enseignants réside dans l'embauche de personnel humain ("des enseignants, des CPE des AESH des AED et cetera des humains en fait") plutôt que dans l'adoption d'IA qui posent des "problèmes écologiques monstrueux" et sont "fondées sur le pillage des données".
- La peur du remplacement : Le "spectre du remplacement" est une inquiétude majeure chez les enseignants, comme en témoigne la forte participation aux formations syndicales sur le sujet.
Christophe Caillot cite des "expérimentations déjà aux États-Unis en Angleterre en Corée du Sud de classe voire d'école sans prof", y voyant le véritable objectif de ces entreprises : "si ces tech elles veulent exister (...) elles ont besoin à un moment que de prendre la place des enseignants il y a pas d'autres solutions."
- L'enseignant augmenté : Orian Ledroit évoque l'idée d'"augmenter l'enseignant" en automatisant les tâches chronophages qui "ne relèvent pas de la pratique pédagogique", comme la gestion des emplois du temps, la notation, la correction des copies et la préparation des cours.
Christophe Caillot y voit une vision "transhumaniste" qui suggère que les enseignants actuels sont "insuffisants".
3. IA, service public et modèle économique
- Articulation public-privé : Orian Ledroit rappelle que le secteur de l'éducation travaille déjà avec des entreprises privées (ex: manuels scolaires) et que "quand on développe un outil d'intelligence artificielle à des fins éducatives on fait le pari de on investit on fait de la recherche et développement".
L'État, selon elle, prend moins de risques.
Elle insiste sur le fait que les logiciels éducatifs doivent être "conformes à un cadre qui est défini par l'État et notamment qui prévoit le fait d'être conforme à toutes les réglementations européennes en matière de données personnelles RGPD et cetera".
- Critique de la marchandisation de l'éducation : Christophe Caillot dénonce le fait que la tech considère l'éducation comme un "marché parmi d'autres", ce qui est en contradiction avec la vision de l'école comme "service public" et "bien commun".
Il estime que la "recherche du profit rentre en concurrence s'affronte avec la défense du bien commun", citant l'exemple de la privatisation de l'eau.
- Transparence et biais : Jada Pistili suggère que l'Open Source pourrait être une solution pour la "transparence" des systèmes d'IA, notamment concernant les "données d'entraînement" et les "biais" qui en découlent.
Orian Ledroit affirme que les IA éducatives, développées avec des pédagogues, intègrent la correction des biais dès la conception, contrairement aux IA génératives grand public.
Christophe Caillot contredit cette affirmation en citant l'exemple de ChatGPT produisant des interprétations biaisées de la laïcité française.
- Double discours : Jada Pistili observe une "forme d'hypocrisie" et un "double mesure et double poids" dans les politiques publiques : on interdit aux élèves d'utiliser l'IA pour les devoirs, mais on dote les enseignants d'outils basés sur l'IA, ce qui crée un manque de sens pour les élèves.
Elle insiste sur la nécessité d'un "vrai programme, une vraie pédagogie" pour la formation à l'IA des enseignants, afin de ne pas "dénigrer un peu la figure de l'enseignant".
4. Bilan et perspectives
Le débat révèle une tension fondamentale entre le potentiel de l'IA à "bouleverser l'éducation" et les inquiétudes profondes quant à ses implications cognitives, éthiques et sociétales.
- La rapidité du changement : Jada Pistili conclut que "tout va un peu trop vite" et que la société "tâtonne" face à une technologie qui "va transformer plein de domaines".
- L'autonomie des élèves : Christophe Caillot insiste sur la nécessité de "maintenir la capacité de nos élèves des futures générations à ne pas utiliser les IA" et à "maintenir son autonomie par rapport à ses soi-disants outils", plutôt que de les former à les utiliser "de manière névrotique".
- La crise de l'école : Orian Ledroit souligne les défis actuels de l'école publique (reproduction des inégalités, baisse du niveau, manque de profs) et voit l'IA comme un moyen "pragmatique et concret de s'appuyer sur des outils qui ont fait leurs preuves" pour y répondre, en attendant des investissements massifs.
En somme, l'intégration de l'IA dans l'éducation est une réalité complexe, perçue tantôt comme une solution prometteuse pour une personnalisation de l'apprentissage et un allègement des tâches des enseignants, tantôt comme une menace pour le sens de l'apprentissage, l'autonomie des élèves et la nature du service public d'éducation.
Le manque de recul, de formation et de transparence, ainsi que la question de la marchandisation du savoir, sont au cœur des préoccupations.