Voici un document de synthèse détaillé, reprenant les thèmes principaux et les idées clés des sources que vous avez fournies, avec des citations pertinentes :
Document de Synthèse : Colloque du Conseil d'État sur la Notion d'Intérêt Général
Introduction
Ce document synthétise les discussions et les réflexions issues du colloque du Conseil d’État sur la notion d’intérêt général.
L’objectif est de cerner la complexité de cette notion, son rôle dans l’action administrative et le contentieux, et son interaction avec les droits et libertés individuelles.
Le document explore les différentes perspectives sur l'intérêt général, depuis sa définition et son application par l'administration jusqu'à son interprétation et son contrôle par le juge.
I. Le Rôle Central de l'Intérêt Général
Boussole de l'Action Administrative: L'intérêt général est présenté comme la "boussole de l'action administrative" (citation de l'introduction). C'est la justification fondamentale de l'intervention des pouvoirs publics.
Rôle du Juge Administratif: Le juge administratif est le garant du respect de l'intérêt général par l'administration.
Il vérifie que l'action administrative est justifiée par un objectif d'intérêt général pertinent et que les pouvoirs sont utilisés dans le but pour lequel ils ont été confiés (évitant ainsi le "détournement de pouvoir").
Le juge est celui qui, en dernier ressort, identifie la "substance de l'intérêt général".
Identification en Amont: L'identification de l'intérêt général ne se limite pas à l'intervention du juge.
L'administration, en amont, doit elle-même prendre position sur l'intérêt général qu'elle poursuit.
Les directions des affaires juridiques des ministères jouent un rôle de conseil dans cette identification.
Perspective Européenne et Internationale: La notion d'intérêt général est façonnée par le droit interne mais aussi par le droit européen et de l'OMC, ce qui crée des "difficultés" dues aux différences entre ces conceptions.
II. La Complexité et l'Évolution de la Notion
Notion Mal Définie: L'intérêt général est décrit comme une "notion difficile à cerner" et "mal définie en droit interne". Cette imprécision rend son maniement délicat.
Motifs Invoqués : L'administration invoque des motifs généraux (sauvegarde des intérêts fondamentaux de la nation, ordre public économique, bon usage des deniers publics) ou sectoriels (protection de la santé, protection des consommateurs, protection de l’environnement).
La jurisprudence et la pratique incitent à mobiliser "plusieurs motifs" pour justifier une mesure.
Contrôle de Proportionnalité : Le contrôle de proportionnalité est central dans l’examen de la légalité des mesures administratives. Il s'agit de vérifier que l’atteinte à un droit ou à une liberté n'est pas disproportionnée par rapport à l'intérêt général poursuivi.
Hiérarchie des Intérêts: La question de la hiérarchie entre différents intérêts généraux est posée, notamment avec l'exemple de la loi littorale. Il y a un "travail de conciliation" entre ces intérêts.
III. Intérêt Général et Droits Fondamentaux : Tension et Équilibre
Prééminence de l'Intérêt Général: Le juge administratif se réserve le droit de faire primer l'intérêt collectif sur les intérêts privés par "la méthode de la mise en balance".
Tension Croissante : Il existe une tension grandissante entre l’intérêt général et les droits et libertés individuelles, ces derniers prenant une place de plus en plus importante. Il devient "de plus en plus difficile de faire triompher devant le juge administratif l'intérêt général prééminent".
Réticence du Juge: Le juge administratif semble moins enclin qu'auparavant à privilégier l'intérêt général face aux intérêts individuels. "Comme si leur objectif suprême était non plus ... de donner la priorité à un intérêt général indépassable, mais d'offrir des garanties accrues aux administrés."
Contrôle Plus Exigeant: Le juge est amené à examiner "plus minutieusement" la qualification d'intérêt général proposée par l'administration, "le fait que l’intérêt général ne puisse plus être parole autoritaire drapée exanté des habits de la vérité".
IV. La Prise en Compte de l'Intérêt Général dans l'Acte de Juger
Acteur de l'Intérêt Général : Le juge administratif est lui-même un acteur de l'intérêt général, son action participant à la défense de cet intérêt. L’acte de juger lui-même s’inscrit dans cette logique.
Définition Concrète: Le juge définit l'intérêt général "de manière très concrète" et "dossier par dossier". Il prend en compte "parfois des considérations à court terme".
Equilibre et Proportionnalité: Une fois l'intérêt général identifié, le juge recherche un "équilibre raisonnable" avec les intérêts privés. Le contrôle est de plus en plus "exigeant" et "affiné".
Plasticité de la Notion: La plasticité de la notion d’intérêt général permet au juge de faire émerger "des constructions juridiques nouvelles et fécondes".
Objectif de Sécurité Juridique : La modulation des effets des décisions dans le temps est fondée sur une exigence de "sécurité juridique".
V. Conséquences des Décisions du Juge
Modulation des Effets : Le juge administratif module dans le temps les effets de ses décisions pour limiter l'impact sur l'intérêt général. Ce pouvoir est devenu moins exceptionnel.
Réserves d'Intérêt Général: Le juge peut limiter l'exécution de ses décisions au nom de l'intérêt général, accordant une "sorte d’immunité d’exécution" à l’administration.
Régularisation en Cours d'Instance: La régularisation en cours d'instance, bien qu'un peu à part, participe à la prise en compte des conséquences des décisions en permettant d'éviter l'annulation d'une illégalité si celle-ci peut être corrigée.
Juge Pragmatqiue: Le juge administratif est un "juge de plus en plus pragmatique", soucieux des conséquences de ses décisions.
VI. L'Intérêt Général et les Droits Fondamentaux : Une Intrication
Droits Fondamentaux et Limites : Les droits fondamentaux posent des limites à la notion d'intérêt général, mais peuvent aussi être à l'origine d'obligations positives pesant sur l'État pour la sauvegarde d'un intérêt général.
Droits Fondamentaux comme Facteur de Normativité : L'intégration des droits fondamentaux implique des exigences formelles et matérielles dans l'élaboration des normes, ainsi qu'une flexibilité dans leur application.
Évolution de l'Office du Juge : L'essor des droits fondamentaux a conduit à une évolution du rôle du juge, qui est de plus en plus amené à faire un arbitrage entre droits fondamentaux et intérêt général, ce qui provoque une critique de son rôle, notamment chez le personnel politique.
VII. Intérêt Général et Libertés Économiques/Droits des Détenus
Prééminence de l'Intérêt Général: L'intérêt général prime souvent sur les libertés économiques (droit de propriété et liberté d'entreprendre), ce qui est caractéristique du modèle français et de son interventionnisme.
Équilibre Délicat avec les Droits des Détenus: Le juge administratif doit trouver un équilibre délicat entre l'intérêt général (ordre public pénitentiaire) et le respect des droits fondamentaux des détenus (dignité, vie privée).
La jurisprudence est marquée par un examen concret des situations et une adaptation aux circonstances.
Contrôle Rigoureux: Dans le cas des détenus, la jurisprudence révèle une application rigoureuse de la balance des intérêts, surtout face à des enjeux importants comme la dignité humaine.
VIII. La Convention Européenne des Droits de l'Homme et l'Intérêt Général
Pas d'Opposition Frontale : La Cour Européenne des Droits de l'Homme conçoit l'intérêt général comme incluant le respect des droits fondamentaux, ce qui évite une opposition frontale.
Équilibre et Proportionalité: La Cour vérifie l'existence d'un juste équilibre entre les droits individuels et l'intérêt général, en tenant compte du contexte de chaque affaire.
Intérêt Général comme Cadre Collectif: L'intérêt général doit être envisagé comme un cadre qui dépasse le simple intérêt individuel, et qui cherche à garantir un équilibre dans la société.
Subsidiarité : La Cour intervient en subsidiarité, après l'épuisement des recours internes, afin de vérifier le juste équilibre, et en cas de violation, elle reconnaît une atteinte tant au droit fondamental qu'à l'intérêt général.
Conclusion
Le colloque du Conseil d’État met en lumière la complexité de la notion d’intérêt général.
Il révèle que cette notion est en constante évolution, façonnée par les enjeux sociétaux, les développements du droit et l'interprétation jurisprudentielle.
L'équilibre entre l'intérêt général et les droits individuels reste un défi permanent pour l'administration et pour le juge, dans un contexte où la prise en compte des droits fondamentaux est de plus en plus prégnante.
L'intérêt général, loin d'être une notion figée, est un concept dynamique qui se redéfinit sans cesse et doit toujours être appréhendé de manière concrète et contextuelle.