Document d'Information : Analyse des Biais Cognitifs, des Fake News et de la Post-Vérité
Source : Extraits de "Quels biais cognitifs à l’œuvre ?"
Date : [La date n'est pas précisée dans l'extrait, mais le contexte renvoie à des événements récents comme le Brexit et l'élection de Donald Trump.]
Auteur(s) : Michel Wieviorka (introduction) et Jean-Pierre Dozon (intervention sur la modernité sorcière).
Résumé Exécutif :
- Ces extraits abordent les phénomènes interconnectés des fake news, de la post-vérité et des biais cognitifs, en les situant dans le contexte politique récent (Brexit, élection de Trump, populisme) et en explorant leurs mécanismes, notamment la distinction entre logiques verticale et horizontale de diffusion.
L'intervention de Jean-Pierre Dozon propose une perspective anthropologique, établissant un parallèle entre les théories du complot et le modèle de la sorcellerie, suggérant que ce dernier n'est pas une relique du passé mais une "modernité sorcière" universelle, particulièrement exacerbée par les inégalités et la circulation de l'information à l'ère de la globalisation.
Les intervenants soulignent le danger de la dissolution des frontières entre le vrai et le faux et la nécessité de recherches solides et d'une pensée critique non complotiste pour y faire face.
Thèmes Principaux :
- Le Contexte et les Termes Clés : Post-Vérité et Fake News :
- Les phénomènes de post-vérité et de fake news sont étroitement liés à des événements politiques majeurs récents, tels que le Brexit et l'élection de Donald Trump.
- Ces termes ont acquis une reconnaissance officielle, "post-truth" étant le mot de l'année de l'Oxford Dictionaries et "fake news" celui du Collins.
- La post-vérité est décrite comme "une expression qui désigne à la fois une époque un moment où on ne sait plus où il vrai on ne sait plus où il faut et en même temps et en même temps qu'une époque un type peut-être deux sociétés".
- Les fake news sont présentées comme plus complexes qu'un simple mensonge, étant "à la fois quelque chose de faux mais un peu caviaré d'un peu un peu faux un peu comment dire bricolé".
- Mécanismes de Diffusion : Verticalité vs. Horizontalité :
- Initialement, l'analyse se concentrait sur des logiques "verticales" (top-down), où un gouvernement ou un candidat utilise une presse mensongère ou les réseaux sociaux pour atteindre une base électorale sensible aux émotions plutôt qu'à la raison. L'affaire Cambridge Analytica et la manipulation de données numériques par des acteurs étatiques sont citées en exemple, montrant le mélange du politique et d'autres intérêts (économiques).
- Cependant, il est souligné qu'il faut aller "beaucoup plus loin" et considérer également les logiques "horizontales" de diffusion. La contre-information sur les réseaux sociaux peut circuler "de manière virale comme des rumeurs" sans nécessairement provenir d'un acteur politique ou économique centralisé.
- L'exemple des Gilets Jaunes est utilisé pour illustrer cette logique horizontale, où "la vérité ici ce n'est pas ce qui est démontré ce n'est pas ce qui est argumenté c'est ce qui est reconnu à l'applaudimètre c'est ce qui obtient le plus de like sur facebook".
- Logiques de Confiance et de Défiance : Une Dissociation Dangereuse :
- Un point "important" est la distinction "radicalement" entre une logique de confiance et une logique de méfiance qui deviennent "séparées disjointes".
- À l'intérieur des groupes qui acceptent les fake news et les mensonges, il y a une "confiance qui devient absolue".
- En revanche, "tout ce qui semble venir d'ailleurs que de ce groupe à commencer par les élites les journalistes hommes politiques les intellectuels les enseignants les médecins des scientifiques etc tout ceci c'est le doute et le soupçon et au-delà très très vite c'est l'idée que de ce monde là ne peut venir que le mensonge et par conséquent derrière le mensonge le complot".
- Cette logique de défiance ou de méfiance mène "aux complotistes à la paranoïa".
- La question fondamentale posée est "comment éviter de vivre dans un monde où il n'y a plus que ces deux univers disjoints". La réponse passe par "des efforts pour réintroduire entre ces deux univers qui tendent à se dissocier la critique la pensée critique rationnelle constructive le débat l'argumentation démocratie".
- La Modernité Sorcière et les Théories du Complot (Jean-Pierre Dozon) :
- L'intervention de Jean-Pierre Dozon établit un parallèle entre les théories du complot contemporaines et le modèle de la sorcellerie africaine traditionnelle.
- La sorcellerie est présentée comme un "modèle archétypal" qui procède par un "dédoublement du réel", expliquant les "discontinuités de vie ordinaire" (maladies, mort, infortunes, mais aussi succès inattendus) par l'action d'une communauté de sorciers agissant dans un "double" du monde visible. Ce modèle obéit à des "ressorts cognitifs" (recherche d'explications) et "affectifs" (rancune, jalousie, haine).
- Contrairement à l'idée que la modernisation reléguerait la sorcellerie au passé, celle-ci a connu un "renforcement" et une adaptation à la "modernité africaine". Les nouvelles inégalités, les écarts de richesse et l'émergence de nouveaux milieux sociaux ont donné à la sorcellerie "de quoi devenir éminemment moderne".
- La "puissance blanche" coloniale, puis les pouvoirs d'État africains et les mondes urbains ont été assimilés à des pouvoirs occultes ou régis par une sorcellerie puissante.
- Les théories du complot contemporaines sont vues comme "assez proches des mécanismes qui président à ce qu'il est convenu d'appeler les théories du complot".
- Dans la "modernité sorcière", les limites à l'explication par un "arrière-monde" tendent à s'effacer, et tout ce qui trouble le monde ordinaire ne peut plus être expliqué autrement que par ce monde occulte, réputé "démentir les versions qui sont données par les autorités officielles".
- Des exemples concrets sont donnés, comme les explications complotistes entourant le SIDA et Ebola en Afrique, perçus comme des créations de laboratoires occidentaux ou des outils pour contrôler les populations. Ces récits sont favorisés par la "globalisation néolibérale" et la "défiance à l'égard du monde occidental".
- Le monde occidental est désormais perçu non plus seulement pour ses performances techniques (comme à l'époque coloniale) mais pour sa capacité à utiliser celles-ci "pour comploter contre l'Afrique et pour y répandre le malheur et la mort", souvent "en collusion avec les pouvoirs d'état africains".
- Les fondamentalismes religieux contemporains (évangélisme, islamisme) contribuent à cette vision binaire du monde en "diabolisant leurs adversaires" et en proposant "de tout autre vérité que celle qui résulte de l'activité scientifique".
- Jean-Pierre Dozon conclut que le modèle de la sorcellerie, bien qu'enraciné en Afrique, est "universel" par sa plasticité et trouve un terrain fertile dans "ces contextes ce en gros de la modernité économique marché consumérisme aux urbains etc" qui produisent des "discontinuités de bizarreries notamment des écarts et des disparités croissantes entre les humains". Il permet de "ne pas croire ne pas adhérer aux explications que nous donnent les pouvoirs publics les autorités scientifiques les médias" et d'en trouver d'autres qui prétendent "démontrer que ce que l'on raconte officiellement et mensongers".
- Une Nouvelle Ère ou un Moment de Transition ? :
- Une question ouverte est posée : "est-ce que nous sommes en train d'entrer nous sommes entrés dans une ère nouvelle" où la "principale caractéristique c'est la dissolution des frontières entre le faux et le vrai", un "régime d'historicité radicalement neuf avec un relativisme généralisé plus un immense scepticisme".
- Certains suggèrent que cela a commencé avec la modernité (Machiavel), d'autres que les croyances et les mensonges sont des traits anthropologiques constants.
- Il est cependant crucial de ne pas "sous-estimer le fait que tout ça prend l'allure que ça prend à cause aussi ou en raison aussi de l'existence de tout ce qu'apporte les technologies actuelles de communication le côté virale le côté interactif".
- L'émergence de ces phénomènes est également liée à la visibilité croissante de groupes "qui ont le sentiment plus ou moins fondé d'être en chute sociale disqualifié ignorés méprisés rester oublié tenus pour invisible".
- L'orateur penche davantage pour l'idée que "tout ceci est plutôt caractéristiques d'un passage d'un moment de mutation" lié à "la montée des populismes ça va avec la montée les fake news la dissolution des médiations la crise des systèmes de représentation politique la crise de tout ce qui faisait le vieux monde".
- L'espoir est exprimé que cette période soit un "moment d'un passage" et que des initiatives comme le colloque contribuent à "accélérer ce passage mais à le faire dans le dans le bon sens".
- Sociologie non Complotiste :
- Il est jugé "important" et "difficile" de mener des "sciences sociales qui ne soit pas complotistes" pour "rechercher des acteurs des logiques des systèmes d'action" qui "ont plutôt intérêt à être dans l'ombre".
Points Clés et Faits Importants :
- La post-vérité et les fake news sont des concepts centraux pour comprendre le paysage informationnel actuel.
- La diffusion de l'information (ou de la désinformation) peut être verticale (étatique, institutionnelle) ou horizontale (virale, réseaux sociaux).
- La logique horizontale peut mener à une "vérité" basée sur le "like" et la reconnaissance du groupe plutôt que sur l'argumentation.
- Une dissociation croissante entre une confiance absolue au sein des groupes adhérant aux fake news et une méfiance totale envers les sources "officielles" (élites, scientifiques, médias) est un phénomène majeur.
- Les théories du complot et la paranoïa sont une conséquence de cette logique de défiance.
- Le modèle anthropologique de la sorcellerie fournit une grille d'analyse pour comprendre les théories du complot comme une recherche d'explications satisfaisantes à des événements perçus comme troublants ou inattendus.
- La sorcellerie (ou ses mécanismes) s'est adaptée à la modernité, devenant une "modernité sorcière" exacerbée par les inégalités socio-économiques et la globalisation.
- Les technologies de communication actuelles (réseaux sociaux, écrans) jouent un rôle crucial dans la propagation rapide et virale des fausses informations et des récits complotistes.
- L'analyse suggère que ces phénomènes sont peut-être moins le signe d'une nouvelle ère définitive que d'un "moment de mutation" lié à la crise des anciennes structures politiques et sociales et à la montée des populismes.
- La nécessité d'une "sociologie non complotiste" et de la réintroduction de la pensée critique, du débat et de l'argumentation est soulignée comme un moyen de lutter contre la dissociation entre confiance et méfiance.
Citations Clés :
- "la post vérité c'est-à-dire une expression qui désigne à la fois une époque un moment où on ne sait plus où il vrai on ne sait plus où il faut et en même temps et en même temps qu'une époque un type peut-être deux sociétés"
- "il faut aller beaucoup plus loin élargir le constat et poser quelques grandes questions"
- "élargir le constat est posée quelques grandes questions est ce que la poste vérité c'est-à-dire une expression qui désigne à la fois une époque un moment où on ne sait plus où il vrai on ne sait plus où il faut et en même temps et en même temps qu'une époque un type peut-être deux sociétés j'y reviendrai est ce que la post vérité et les faits que nous c'est autre chose c'est les informations"
- "on a besoin de recherche sur tous ces phénomènes et des recherches ce solide"
- "il est devenu à mes yeux très clair qu'il faut distinguer malheureusement radicalement de logique dans ces phénomènes une logique de confiance et une logique de méfiance"
- "tout ceci c'est le doute et le soupçon et au delà très très vite c'est l'idée que de ce monde là ne peut venir que le mensonge et par conséquent derrière le mensonge le complot"
- "comment éviter de vivre dans un monde où il n'ya plus que ces deux univers disjoints"
- "la réponse passe évidemment mes yeux par des efforts pour réintroduire entre ces deux univers tendent à se dissocier la critique la pensée critique rationnelle constructive le débat l'argumentation démocratie"
- "le modèle archétypale de la sorcellerie... procède par une sorte de dédoublement du réel"
- "cette modernité sorcière qui s'applique plutôt assez bien à l'afrique ne lui est pas exclusive loin s'en faut"
- "tous ces changements tous ses processus de modernisation ont été au contraire par lui particulièrement favorable à leur renforcement"
- "tout cela a donné à la sorcellerie de quoi devenir éminemment moderne"
- "ces limites qui ont tendu et qui tente de plus en plus à s'effacer comme si tous du réel de ce qu'ils y un trouble et un certain ordre des choses n'étaient plus en mesure d'être expliquer autrement que par sa carrière monde lequel arrière monde et réputé au contraire démentir les versions qui sont données par les autorités officielles"
- "cette modernité sorcières comme cela comme je l'appelle ne concerne pas que l'afrique"
- "notre monde celui que l'on appelle développer métiers pré lumens dans un vaste mouvement de globalisation économique et technologique notre monde semblait participer pleinement en ils ont un rôle particulièrement nocifs"
- "les fondamentalismes religieux... ne cesse de diaboliser leurs adversaires ou toute sorte de choses qui ne leur conviennent pas"
- "on peut considérer que cette émergence de ces thèmes... a beaucoup à voir avec la formation visible de deux phénomènes sociaux dans lesquels des personnes et des groupes qui ont le sentiment plus ou moins fondées d'être en chute sociale disqualifié ignorés méprisés rester oublié tenus pour invisible"
- "tout ceci c'est pas forcément pas nécessairement la caractéristique du nouveau type de société dans lequel nous entrerions... Je pense que tout ceci est plutôt caractéristiques d'un passage d'un moment de mutation"
Conclusion :
Les extraits offrent une analyse riche et multidimensionnelle des phénomènes de fake news et de post-vérité, les ancrant dans le contexte socio-politique contemporain tout en proposant une perspective anthropologique.
Ils mettent en lumière la complexité de la diffusion de l'information à l'ère numérique et le danger d'une polarisation croissante alimentée par des logiques de confiance et de défiance dissociées.
L'analogie avec la "modernité sorcière" suggère que la recherche d'explications alternatives, même irrationnelles, est une réponse profondément ancrée à un monde perçu comme injuste ou incompréhensible.
La période actuelle est vue comme un moment de transition où les anciennes références (sciences, médias, politique) sont remises en cause, rendant la promotion de la pensée critique et du débat démocratique d'autant plus essentielle.
La nécessité de recherches sociales rigoureuses et non complotistes pour comprendre ces dynamiques est un appel majeur.