Synthèse sur les Événements Traumatiques et le Secourisme en Santé Mentale
Résumé
Ce document de synthèse analyse en profondeur la nature des événements traumatiques, le trouble de stress post-traumatique (TSPT) et le rôle crucial des secouristes en santé mentale. S'appuyant sur des expertises psychiatriques et des témoignages de terrain, il ressort que la compréhension du traumatisme repose sur la distinction fondamentale entre le stress aigu, une réaction adaptative normale, et le TSPT, un trouble chronique pouvant se manifester des mois après l'événement.
L'intervention d'un secouriste PSSM (Premiers Secours en Santé Mentale) est essentielle pour créer un climat de sécurité, d'écoute non-jugeante et de réassurance.
Les études de cas de Fabienne, assistante sociale, et de Laurine, une jeune femme aidant une amie, démontrent l'application pratique des compétences PSSM : la patience, la capacité à laisser du temps à la personne pour s'exprimer et l'importance de la mise en sécurité sont des piliers de l'intervention.
Le secouriste agit comme un maillon essentiel, guidant la personne en souffrance vers des ressources professionnelles adaptées (thérapies comme l'EMDR, centres médico-psychologiques), tout en apprenant à gérer son propre stress et à reconnaître les limites de son rôle.
La formation PSSM est présentée comme une démarche citoyenne indispensable pour briser les tabous et outiller chacun à apporter un premier soutien efficace.
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I. Définition et Compréhension des Traumatismes Psychiques
A. L'Événement à Potentiel Traumatique
Un événement est considéré comme potentiellement traumatique lorsqu'il confronte une personne, directement ou indirectement, à la mort, à une menace de mort, à la peur de mourir, à de graves blessures ou à une menace pour son intégrité physique ou celle d'un tiers.
• Caractéristiques : Il provoque généralement une détresse intense, un sentiment d'impuissance et d'horreur.
• Exemples : Actes de violence interpersonnelle (viols, agressions), accidents, catastrophes naturelles, guerres, attentats, actes de torture.
• Statistiques clés (selon l'OMS) :
◦ 70 % des personnes dans le monde vivent un événement potentiellement traumatisant au cours de leur vie. ◦ Environ 4 % de ces personnes sont susceptibles de développer un TSPT.
B. Le Trouble de Stress Post-Traumatique (TSPT)
Le TSPT est un trouble qui peut survenir après un événement traumatique. Il se caractérise par des réactions intenses, désagréables et dysfonctionnelles qui persistent dans le temps.
• Symptômes principaux :
◦ Reviviscence : Flashbacks, cauchemars, intrusions sensorielles. ◦ Évitement : Efforts pour éviter les lieux, personnes ou pensées liés au trauma. ◦ Hypervigilance : État d'alerte constant, irritabilité, sursauts. ◦ Altérations cognitives et de l'humeur : Ruminations, changements d'humeur rapides, sentiment de culpabilité ou de honte.
• Troubles associés : Le TSPT s'accompagne fréquemment de dérégulation émotionnelle, de troubles anxiodépressifs ou de troubles liés à l'usage de substances. Un rétablissement est souvent possible avec une prise en charge adaptée.
C. Distinction entre Stress Aigu et TSPT
Selon le Dr Jean-Michel de Lille, psychiatre, il est crucial de différencier ces deux états :
Caractéristique
Stress Aigu
Trouble de Stress Post-Traumatique (TSPT)
Nature
Réaction adaptative et normale face à un danger imminent.
Trouble chronique et pathologique.
Fonction
Mécanisme de défense (le corps se prépare à fuir ou combattre : cœur qui s'accélère, muscles irrigués).
Le système de stress reste activé longtemps après la disparition du danger.
Durée
Temporaire. La pression redescend en quelques jours ou semaines une fois le danger écarté.
Dure plusieurs mois, voire s'installe durablement. Peut survenir à distance de l'événement (parfois un an après).
Facteurs de risque pour le TSPT
Vulnérabilités génétiques, antécédents de traumatismes infantiles (négligence, abus) qui réactivent un stress plus ancien.
D. Les Portes d'Entrée du TSPT
Le Dr de Lille identifie trois principales manières de développer un TSPT, initialement décrites en psychiatrie militaire :
1. Être victime : Avoir subi directement la violence ou l'événement traumatique.
2. Être témoin : Le fait d'être un "témoin impuissant" est une porte d'entrée majeure. Les taux de TSPT chez les survivants du Bataclan sont plus élevés chez les témoins que chez les victimes directement blessées. Ce phénomène est aussi crucial chez les enfants témoins de violences conjugales, dont l'impact neuropsychique est décisif.
3. Être auteur : Plus rare, le fait d'avoir commis des actes de violence peut également générer des retours traumatiques.
II. Manifestations et Symptômes du TSPT
A. La Reviviscence Traumatique (Flashbacks et Cauchemars)
La reviviscence, ou "intrusion", est l'un des symptômes les plus douloureux du TSPT. La personne revit la scène traumatique de manière involontaire et intense.
• Flashbacks : La scène est revécue y compris physiquement (cœur qui s'accélère, panique) en l'absence de danger objectif. Ils peuvent être déclenchés par des éléments sensoriels anodins (ex: croiser un homme avec des lunettes si l'agresseur portait des lunettes).
• Cauchemars : Le sommeil est un moment où l'évitement est impossible, les cauchemars ramènent la scène traumatique. L'exemple est donné d'un jeune militaire hanté des années plus tard par les odeurs d'un charnier qu'il avait dû déterrer, le menant à abuser de morphine et d'alcool pour obtenir un "sommeil anesthétique".
B. Les Stratégies d'Évitement et l'Hypervigilance
En réaction à la douleur des intrusions, la personne développe des stratégies d'évitement.
• Comportements : Ne plus prendre les transports en commun, éviter le quartier de l'agression, éviter certaines dates (anniversaires).
• Conséquences : Dans les cas sévères, cela peut conduire à un isolement social complet, où toute interaction est perçue comme une menace potentielle.
• Hypervigilance anxieuse : La personne est constamment sur ses gardes, méfiante, a l'impression que le danger va resurgir, ce qui rend la vie "absolument invivable".
C. L'Impact Émotionnel et Comportemental
Le TSPT affecte profondément la sphère émotionnelle et les relations sociales.
• Culpabilité et Honte : Des sentiments de culpabilité ("pourquoi ai-je survécu et pas d'autres ?") ou de honte (particulièrement dans des métiers où l'expression des émotions est taboue) sont fréquents.
• Irritabilité et Isolement : Comme observé dans le cas de l'agent de la route, la personne peut devenir irritable, s'isoler de ses collègues et de sa famille.
III. Le Rôle du Secouriste en Santé Mentale (PSSM)
A. Principes Fondamentaux de l'Intervention
L'intervention d'un secouriste PSSM repose sur des principes clés pour aider une personne suite à un événement traumatique.
1. Créer la Sécurité : L'élément "absolument décisif" est de recréer un climat de sécurité et d'apaisement, de garantir que l'échange se déroule dans un espace sûr.
2. Adopter une Posture Non-Jugeante : Se positionner sur un terrain de parité, d'empathie et de soin, sans se présenter comme un expert.
3. Accueillir et Laisser le Temps : Laisser le temps à la personne d'exprimer ou de ne pas exprimer ses émotions, sans la presser. La formation PSSM insiste sur cette "notion de temps" et de pauses.
B. Actions Clés face à une Personne en Crise
Face à une personne qui revit un événement, le secouriste peut :
• Rassurer sur la culpabilité : Aider la personne à comprendre qu'elle n'est pas coupable de ce qui s'est passé et qu'elle est une personne respectable.
• Écouter activement : Permettre à la personne de verbaliser ce qu'elle a vu, ressenti et comment elle se sent aujourd'hui.
• Réorienter en douceur vers le présent : Lors d'un flashback, introduire gentiment le doute pour aider la personne à faire la part des choses entre la réalité passée (l'agression) et la réalité présente (la sécurité actuelle). Exemple : "Le monsieur avec des lunettes dans le tram n'est pas celui que vous avez vu il y a des années."
• Informer sur les ressources : Même si la personne n'est pas prête à parler, lui fournir des informations sur les professionnels et les lieux où elle peut trouver de l'aide (plateformes téléphoniques, médecin, etc.).
C. Connaître ses Limites et Orienter vers les Professionnels
Le secouriste PSSM n'est pas un professionnel de santé. Il est crucial de reconnaître les limites de son intervention. Le rôle est d'être un pont, d'accompagner la personne vers une prise en charge adaptée et personnalisée par des professionnels qualifiés.
IV. Études de Cas : Applications Pratiques du Secourisme
A. Cas de Fabienne : L'Agent de la Route Traumatisé
Fabienne, assistante sociale et secouriste PSSM, est intervenue auprès d'un agent de la route mutique après avoir été confronté à une victime décédée.
Aspect
Description
Contexte
Un agent de la route est en retrait et isolé après avoir été témoin d'un accident mortel. Le public est majoritairement masculin, peu habitué à parler des émotions, avec un sentiment de "honte" à exprimer sa fragilité.
Défi
L'agent reste silencieux lors des deux premières tentatives d'entretien. Il refuse de se livrer.
Approche PSSM
Fabienne fait preuve d'une grande patience. Elle laisse passer près d'un mois entre la première et la troisième rencontre. Elle lui fournit des informations sur les ressources dès le deuxième entretien, anticipant un besoin urgent. Lors du troisième entretien (initié par l'agent), elle applique les principes PSSM : elle prend le temps, accueille les émotions avec une "qualité d'écoute différente", et laisse des temps de pause importants.
Résultat
L'agent parvient enfin à s'exprimer, livrant son mal-être (cauchemars, irritabilité). Fabienne l'oriente précisément vers un centre médico-psychologique spécialisé. Plus tard, l'agent la remercie pour son aide et sa confiance.
B. Cas de Laurine : L'Amie en Pleine Reviviscence
Laurine, secouriste PSSM, a aidé une amie proche, diagnostiquée TSPT suite à une enfance violente, lors d'un flashback.
Aspect
Description
Contexte
L'amie a une enfance marquée par une mère alcoolique et un père violent. Elle se sent coupable de la mort de ses animaux de compagnie, survenue dans des circonstances troubles. L'alcool est souvent un "facilitateur d'anxiété" pour elle.
Déclencheur
En sortie de boîte de nuit, la vue d'un chien déclenche une reviviscence intense. Elle s'effondre en appelant le nom de son chien décédé, persuadée de l'avoir retrouvé.
Intervention
1. Mise en sécurité : Laurine l'isole d'un groupe d'hommes alcoolisés. 2. Écoute et validation : Elle ne la contredit pas frontalement ("je veux bien te croire qu'il ressemble beaucoup") mais tente de la ramener à la réalité. 3. Fermeté bienveillante : Face à l'insistance de son amie, elle reste ferme pour la ramener en lieu sûr ("moi en tant qu'amie je peux pas te laisser y retourner").
Réflexion et Résultat
Avec le recul, Laurine pense qu'elle aurait dû être "plus dans l'écoute" et moins dans la volonté de "raisonner". Le lendemain, elle encourage son amie à en parler à sa psychologue. L'amie aborde ce trauma en thérapie EMDR et comprend qu'elle a fait un transfert : son désir de sauver le chien était le reflet de son propre désir d'avoir été sauvée enfant.
V. Prise en Charge Professionnelle et Ressources
A. Thérapies Spécifiques pour le TSPT
Le Dr de Lille souligne des avancées majeures dans les thérapies du TSPT, notamment les thérapies d'exposition prolongée. L'objectif est de permettre à la personne d'évoquer le souvenir traumatique sans subir les symptômes de panique, afin de "désamorcer le couplage" entre la mémoire et la souffrance physique.
• Méthodes psychothérapeutiques :
◦ EMDR (MDR en français) : Thérapie brève utilisant des mouvements oculaires répétitifs pour "digérer" le souvenir traumatique. ◦ ICV (Intégration du Cycle de la Vie)
• Approches pharmacologiques :
◦ Méthode Brunet : Utilisation de bêta-bloquants (ex: Vlocardie) pour diminuer la réaction physique lors de l'évocation. ◦ Expérimentations : Des recherches sont en cours avec de nouvelles molécules comme la MDMA.
B. Ressources et Soutien Disponibles
Le podcast met en avant plusieurs ressources pour les personnes concernées et les aidants :
• Numéros d'urgence : 112, 15, 18 et le 3114 (numéro national de prévention du suicide).
• PSSM France :
◦ Le site internet pour se former aux premiers secours en santé mentale. ◦ Le "Carnet du secouriste en santé mentale : mieux aider un adulte suite à un événement traumatique" (téléchargement gratuit).
• Centre National de Ressources et de résilience (CN2R) : Chaîne YouTube et témoignages pour améliorer la prise en charge du psychotraumatisme.
• Podcast "Émotion" par Louis Média : L'épisode "Stress post-traumatique : Comment s'inscrit-il dans notre corps ?".
VI. Apports et Valeur de la Formation PSSM France
A. Un Cadre Sécurisant pour l'Aidant
La formation PSSM est décrite comme un outil essentiel qui fournit un "cadre sécurisant" à l'aidant. Elle permet de savoir quoi faire, mais surtout "ce qu'il ne faut pas faire" et "ne pas dire".
• Elle incite à prendre de la hauteur et à requestionner ses propres pratiques et réflexes.
• Elle aide à gérer son propre stress et à se sentir moins affecté personnellement, ce qui est crucial pour pouvoir aider efficacement sans s'épuiser.
B. Témoignages sur l'Impact de la Formation
• Pour Fabienne : La formation a enrichi son approche, notamment sur "cette notion du temps" et l'importance de "laisser à l'autre la possibilité ou pas de dire".
• Pour Laurine : La formation lui a permis de trouver un moyen d'avoir du recul, de moins culpabiliser et de prendre conscience du réseau de ressources existant (elle ne connaissait pas PSSM avant).
C. Un Enjeu Citoyen pour Briser les Tabous
Le podcast conclut en soulignant que, tout comme les premiers secours physiques, les premiers secours en santé mentale sont une démarche citoyenne.
La formation permet d'acquérir des "clés toutes simples" qui peuvent aider de nombreuses personnes.
Elle encourage chacun à jouer un rôle pour briser les tabous autour des troubles psychiques et à "apprendre à aider".