Briefing Document : La Santé Mentale de Nos Enfants (Forum de Bioéthique, Février 2025)
Thème Central : L'augmentation significative des troubles de santé mentale chez les enfants et les adolescents, exacerbée par les crises sociétales récentes (notamment la crise covid), et la nécessité urgente d'une approche multidimensionnelle et sociétale pour y faire face, dans un contexte de crise de la pédopsychiatrie.
Introduction (Sarah Sananes, Pédopsychiatre et Modératrice) :
La santé mentale des enfants est un thème ambitieux, actuel et intemporel qui concerne toute la société.
On observe une augmentation des troubles psychiatriques, notamment chez les plus jeunes, suite aux crises sociétales, en particulier la crise covid.
Cette situation pose de nouveaux défis sociétaux et met en lumière la crise majeure et systémique que traverse la pédopsychiatrie.
Prendre soin de la santé mentale dès le plus jeune âge est un enjeu majeur de santé publique.
"les troubles psychiatriques sont très fréquents euh dans les suites de nombreuses crises de société la crise covid est souvent mentionnée pour ne citer que celle-là euh les problèmes de santé mental ne cesse d'augmenter notamment chez les plus jeunes et ça pose des nouveaux défis de société"
Principaux Thèmes et Idées Développés par les Experts :
1. L'Augmentation des Troubles Psychiques chez les Adolescents et son Contexte (Julie Rolling, Pédopsychiatre) :
Environ 15% des adolescents en France souffrent d'un trouble psychique diagnostiqué (Santé Publique France, 2023), et la moitié des troubles psychiatriques adultes débutent avant 14 ans.
La déstigmatisation progressive des troubles psychiques est globalement bénéfique car elle favorise l'accès aux soins.
"il y a sans conteste ces 10 dernières années une déstigmatisation des troubles psychiques qui est globalement bénéfique parce qu'elle favorise l'accès aux soins elle réduit l'exclusion sociale et elle améliore la qualité de vie des personnes que l'on est amené à rencontrer"
La crise covid a agi comme un modèle expérimental unique, révélant la vulnérabilité du psychisme adolescent en période de bouleversement.
On a observé une augmentation significative des passages aux urgences et des consultations pour troubles du comportement alimentaire, épisodes dépressifs et idées suicidaires chez les jeunes pendant la pandémie.
L'adolescence est une période de changements majeurs (physiques, psychiques, sociaux) qui peut être vécue comme une "tempête intérieure". L'issue de cette période dépend des fondations narcissiques et identitaires de l'adolescent et de ses appuis extérieurs.
Le modèle biopsychosocial (Engel, 1977) est pertinent pour comprendre les troubles psychiques comme l'interaction de facteurs biologiques, psychologiques et sociaux (environnement).
L'un des enjeux sociétaux est que chaque adulte puisse occuper sa fonction auprès des enfants, offrant une "contenance systémique".
Les troubles anxieux et le refus scolaire anxieux ont connu une augmentation significative, interrogeant le rôle de la société perfectionniste, de la peur de l'échec, de la pression sociale (réseaux sociaux) et des nouvelles technologies (intelligence artificielle). La modernité pourrait favoriser l'évitement.
Le rapport au corps réel est modifié par l'hyperconnectivité et la digitalisation, affectant l'ancrage existentiel et pouvant favoriser l'angoisse. Le contact physique est riche d'indices inconscients importants.
Les troubles des comportements alimentaires ont également augmenté, possiblement liés à la pression sur l'image corporelle amplifiée par les réseaux sociaux et l'accès à des communautés encourageant ces troubles.
Le rôle du cyberharcèlement dans les passages à l'acte suicidaire chez les jeunes est devenu majeur, avec un effet de masse et de persistance de la trace en ligne.
La question du regard à l'adolescence est cruciale, avec l'influence des réseaux sociaux (audience imaginée, relations avec des personnes jamais rencontrées physiquement) et potentiellement de l'intelligence artificielle (biais algorithmiques, bulles cognitives).
Être un adulte de référence ne signifie pas être parfait, mais être à l'écoute, valider les ressentis, être cohérent et continu.
"il faut vraiment imaginer ces adolescents qui vont vivre des changements qui vont les traverser des changement physique bien sûr l'accession à la puberté le changement du corps la sexualisation et ces changements physiques et neuropsychologique soutendent un certain nombre de changements psychique qui se caractérise par la question de l'autonomisation par rapport au parents la projection dans l'avenir le rapport au monde qui peut changer et l'ensemble de cette traversée de l'adolescence va permettre aux jeunes de parfaire leur construction identitaire"
"penser les choses de cette manière mais d'embler en évidence la marge d'action possible à l'échelle du d'une société pour améliorer la santé des plus jeunes"
2. Les Adolescents "Difficiles" et la Dérive des Contenants (Maurice Corcos, Professeur de Psychiatrie et Psychanalyste) :
Il existe une population d'adolescents "difficiles" (borderline, "sauvageons") particulièrement touchée et peu évoquée dans le débat public, bien que très fréquente en psychiatrie (hospitalisation, consultation).
Ces adolescents ont particulièrement souffert du confinement et n'ont pas pu bénéficier des soins appropriés.
On observe un démarrage plus précoce de l'hétéroagressivité et des tentatives de suicide plus intenses et chez des sujets plus jeunes.
Les troubles des conduites alimentaires chez les filles ont évolué vers des formes mixtes (boulimie-anorexie), avec une comorbidité toxicomaniaque plus rapide.
Ces patients sont souvent rejetés, y compris par la psychiatrie, qui peine à les prendre en charge.
Ces "maladies sociales" sont massivement marquées par des traumatismes depuis l'enfance et même au niveau transgénérationnel. La prévention primaire dès la maternité est cruciale.
Les familles de ces adolescents sont souvent monoparentales (mère seule) avec des difficultés socio-économiques importantes.
On observe une "dérive des contenants" : défaillance du contenant maternel, absence du père, déliquescence du soutien sociétal, difficultés de l'éducation nationale, désorganisation du contenant santé, et tensions au niveau policier et judiciaire.
Le confinement a montré que la famille est un refuge, mais un enfermement prolongé peut être délétère, surtout pour les plus vulnérables. L'environnement est central. Le manque de contenance et de soutien peut entraîner une contre-investissement en emprise de la part des adultes (parents, éducateurs, soignants), aggravant la situation.
Il est essentiel de mettre l'accent sur les facteurs sociologiques dans la recherche sur les troubles de santé mentale.
"ces adolescents difficiles c'est un neuphémisme c'est ce qu'on appelle aussi les patients borderline les patients limite c'est ce qu'on appelle aussi dans des termes beaucoup plus stigmatisants les sauvageons les barbares"
"ces patients ces états limites ces fonctionnements limit ces borderline c'estes barbares c'estes sauvages sont des maladies sociales des maladies sociétales"
"la dérive des contenants c'est que de ne pas être suffisamment bien les adultes face à des enfants qui ont à vivre aussi des événements considérables comme la pandémie par exemple ces enfants nous regarde sont très attentifs à l'anxiété l'angoisse la dépression ce'est la désorganisation qui nous prend ça les affole considérablement"
3. Déterminisme, Devenir et la Crise de la Psychiatrie (François Ansermet, Professeur Honoraire de Pédopsychiatrie et Psychanalyste) :
La santé mentale est autant fonction de la façon dont on la considère que de la façon dont on y répond.
L'enjeu majeur autour de la santé mentale des enfants est la question du déterminisme (génétique, social, neuroscientifique, psychanalytique, etc.). Il faudrait organiser des "assises des déterminismes".
Il existe un risque performatif dans la psychiatrie de l'enfant (spécialiste de la prédiction du passé, effet Pygmalion généralisé).
Il faut miser sur l'"au-delà du déterminisme", sur la part non déterminée, sur le "hiatus" entre d'où l'on vient et ce que l'on devient.
La pratique clinique doit miser sur un devenir possible, sur une "clinique de la solution" et une "logique de la réponse" plutôt qu'une logique de la cause.
La responsabilité est liée à la réponse ; il s'agit que l'enfant puisse devenir responsable d'un devenir.
La crise de la psychiatrie est liée au malaise dans la civilisation, dans l'institution et dans les savoirs. C'est une occasion de changement vers un nouveau paradigme.
On observe un passage de la norme pour tous à chacun sa norme, voire au hors norme pour tous, impliquant une reconfiguration du champ.
La question de l'amnésie infantile et de l'accès à la souffrance dans la petite enfance doit être remise au travail.
Les nouvelles formes de fabrication des enfants reconfigurent la notion de famille.
L'inclusion de la cité et de la culture dans les lieux de soins pour enfants et adolescents est centrale (exemple de la Maison de l'Enfance et de l'Adolescence à Genève). La souffrance mentale peut être conçue comme une nouvelle allure de la vie.
"notre pratique c'est une pratique qui mise sur un devenir possible"
"une crise est toujours une occasion d'un changement"
"une conception de la souffrance mentale la souffrance psychique pourquoi pas de la maladie psychique comme une nouvelle allure de la vie"
4. Dépendance, Identité et le Rôle Ambivalent des Réseaux Sociaux (Serge Tisseron, Psychiatre et Docteur en Psychologie) :
On observe une dépendance matérielle croissante des adolescents à leur famille sur une période plus longue, couplée à une dépendance psychologique croissante aux réseaux sociaux, créant une contradiction.
La dépendance aux réseaux sociaux est liée au manque d'espaces de rencontre physiques pour les jeunes, à la recherche de popularité pour ceux en difficulté scolaire, et aux algorithmes regroupant les usagers par centres d'intérêt.
Cette contradiction peut se traduire par de nouvelles symptomatalogies :
Syndrome de Münchhausen partagé : Adolescents maltraités qui adoptent une complicité avec leurs parents dans les services de soins.
Identification pathologique via les réseaux sociaux : Adolescents prétendant avoir des symptômes (autisme, troubles bipolaires, Gilles de la Tourette) mis en avant par des youtubeurs.
Les réseaux sociaux ont des effets ambivalents sur la santé mentale (lutte contre la solitude, augmentation des amitiés existantes), mais aussi des risques.
L'éducation par les pairs en ligne (via youtubeurs et communautés) est une réalité et peut être une alternative ou un complément aux stratégies traditionnelles d'éducation à la santé mentale.
Il faut se méfier de la "prédiction qui se réalise" (dire que les ados vont mal peut contribuer à cela).
L'engagement des jeunes dans des causes diverses est un signe positif.
Un point commun à leur souffrance est une crise de confiance envers les autres et envers soi. Il est crucial de renforcer leur estime de soi.
Il faut valoriser les compétences extrascolaires, souvent ignorées par l'institution.
Les parents ont intérêt à s'intéresser aux domaines d'intérêt de leurs enfants (numérique, jeux vidéo, musique, réseaux sociaux) pour renforcer la confiance mutuelle et comprendre la nouvelle société.
"le problème n'est pas qu'ils aient cette dépendance à leur famille seulement c'est pas qu'ils aient seulement cette dépendance aux réseaux sociaux c'est que les deux sont en contradiction absolue c'est ça le problème"
"l'éducation par les pères dans PS évidemment est une alternative ou un complément aux stratégies d'éducation à la santé traditionnelle"
"toute leur souffrance à mon avis un point commun et c'est làdus que je voudrais terminer c'est que c'est c'est une crise de confi envers les autres envers soi donc je pense que si on veut faire en sorte que les choses évoluent au mieux ben il faut vraiment renforcer toutes les occasions qu'on a d'augmenter leur estime d'eux-même"
Conclusion Générale :
Les experts convergent sur la nécessité d'une approche globale et coordonnée pour faire face à la crise de la santé mentale des enfants et des adolescents.
Cela implique une meilleure compréhension des facteurs de risque et de protection (biologiques, psychologiques, sociaux), une action précoce dès la périnatalité, un renforcement des moyens de la pédopsychiatrie et des autres institutions (éducation, justice, social), une prise en compte de l'impact des nouvelles technologies et des réseaux sociaux, une valorisation de l'estime de soi des jeunes, et une remise en question des déterminismes pour favoriser un devenir positif.
La prévention, sous toutes ses formes, est un enjeu majeur.