Le droit des enfants à une justice adaptée : Synthèse du rapport 2025 du Défenseur des droits
Résumé Exécutif
Le rapport 2025 du Défenseur des droits, intitulé « Le droit des enfants à une justice adaptée », dresse un état des lieux critique de la justice pénale des mineurs en France. S'appuyant sur une vaste consultation de plus de 1 600 jeunes, le rapport réaffirme le principe fondamental selon lequel un enfant n'est pas un adulte, ce qui justifie une justice spécialisée, dont la primauté doit être éducative plutôt que répressive.
Les conclusions clés sont les suivantes :
• Un principe fondamental menacé :
La spécificité de la justice des mineurs, fondée sur l'atténuation de la responsabilité pénale et la recherche du relèvement éducatif, est fragilisée par des discours publics et des réformes législatives prônant un durcissement des sanctions, au mépris de l'intérêt supérieur de l'enfant et des engagements internationaux de la France.
• La délinquance, symptôme de vulnérabilités :
Loin d'être un phénomène isolé, la délinquance juvénile est intrinsèquement liée à des facteurs de vulnérabilité multiples : 55 % des mineurs délinquants sont suivis par la protection de l’enfance, souvent après avoir été victimes de maltraitances.
La pauvreté, l'échec scolaire, les troubles de santé mentale et l'exposition à la violence sont des déterminants majeurs.
• Un parcours pénal parsemé de défaillances :
De l'interpellation à l'incarcération, le rapport met en évidence des manquements systémiques au respect des droits des enfants.
Les contrôles d'identité discriminatoires, les violences lors des interpellations, les conditions de garde à vue inadaptées et les atteintes à la dignité en détention nourrissent une profonde défiance des jeunes envers les institutions.
• Une réponse judiciaire sous-dotée et incohérente :
Malgré les efforts des professionnels, le système souffre d'un manque criant de moyens.
Les mesures éducatives ne sont pas toujours mises en œuvre faute de personnel, et les conditions d'incarcération, qui devrait être l'ultime recours, compromettent gravement les chances de réinsertion en raison d'un accès insuffisant à l'éducation, aux soins et aux activités.
• La parole des jeunes, un appel à une justice plus humaine :
La consultation révèle une méconnaissance généralisée des droits et une perception négative de la justice chez les jeunes qui y ont été confrontés.
Ils appellent à une justice plus juste, compréhensible, préventive et bienveillante, qui prenne en compte leur vécu et leur offre une véritable seconde chance.
En conclusion, le rapport alerte sur le risque d'une justice qui, en privilégiant une approche exclusivement répressive, reproduirait l'exclusion qu'elle entend combattre.
Il formule 25 recommandations visant à sanctuariser les principes d'une justice adaptée, à renforcer la prévention en luttant contre les vulnérabilités, et à garantir le respect des droits des enfants à chaque étape de leur parcours pénal.
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I. Les Fondements d'une Justice Spécifique pour les Mineurs
Le rapport rappelle que la nécessité d'une justice pénale distincte pour les mineurs repose sur des principes juridiques, constitutionnels et scientifiques solides, bien que régulièrement remis en cause dans le débat public.
1. Le Principe Fondamental : Un Enfant n'est pas un Adulte
Le discernement, c'est-à-dire la capacité à comprendre et vouloir son acte, se développe progressivement.
Les neurosciences confirment que le cortex préfrontal, responsable du raisonnement et de la régulation des émotions, n'atteint sa pleine maturité qu'autour de 24-25 ans.
Les adolescents sont donc physiologiquement plus sujets à l'impulsivité, à l'influence du groupe et à une mauvaise évaluation des conséquences de leurs actes.
« On n’est pas assez mature, on n’a pas conscience de nos actes. » - Jeune consulté
Le Code de la justice pénale des mineurs (CJPM) de 2021 a instauré une présomption simple de non-discernement pour les enfants de moins de 13 ans.
Le Défenseur des droits estime cette mesure insuffisante et recommande d'inscrire dans la loi un principe de non-responsabilité pénale absolue en deçà de cet âge (Recommandation 1).
2. Le Cadre Juridique : Primauté de l'Éducatif sur le Répressif
La justice des mineurs en France, héritière de l'ordonnance du 2 février 1945, repose sur des principes à valeur constitutionnelle :
• L'atténuation de la responsabilité pénale en fonction de l'âge.
• La primauté de l'éducatif sur le répressif, visant le « relèvement éducatif et moral » de l'enfant.
• La spécialisation des juridictions (juge des enfants, tribunal pour enfants) et des professionnels.
Ces principes sont conformes aux engagements internationaux de la France, notamment la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE).
Le rapport s'inquiète des récentes tentatives de les éroder, comme la loi du 23 juin 2025 qui visait initialement à instaurer une comparution immédiate pour les mineurs de plus de 16 ans, une mesure largement censurée par le Conseil constitutionnel.
3. La Parole des Jeunes : Une Perception Contrastée de la Justice
La consultation nationale « J’ai des droits, entends-moi ! » révèle une fracture profonde :
• Les jeunes n'ayant jamais eu affaire à la justice ont une perception plutôt positive de son rôle protecteur.
• Ceux qui y ont été confrontés décrivent une expérience marquée par le déficit d'information, le sentiment de ne pas être écoutés et des pratiques discriminatoires, notamment pour les jeunes issus de quartiers prioritaires ou perçus comme d'origine étrangère.
« Dans la justice, y a une injustice : quand c’est des Blancs ou des Arabes c’est différent, ce n’est pas le même traitement. » - Jeune consulté
Globalement, les jeunes aspirent à une justice « compréhensible, éducative, préventive, cadrante mais bienveillante, accompagnante », qui répare et offre une seconde chance.
« Une justice adaptée, ce n’est pas seulement juger, c’est aider les jeunes dans leur souffrance. (...) Nous enfermer (...) n’est probablement pas la meilleure solution. Nous voulons être éduqués et obtenir une seconde chance. » - Lettre collective de mineurs incarcérés
II. Prévention : Agir sur les Racines de la Délinquance
Le rapport insiste sur le fait que la lutte contre la délinquance juvénile passe avant tout par un investissement massif dans la prévention et la protection des enfants contre les facteurs de vulnérabilité.
1. Les Facteurs de Risque Identifiés
La délinquance est souvent la conséquence de parcours de vie marqués par des ruptures et des fragilités.
Facteur de Vulnérabilité
Données et Constats du Rapport
Situation familiale et sociale
55 % des mineurs délinquants sont suivis par la protection de l’enfance. 46 % de ceux en Centre Éducatif Fermé (CEF) ont un père absent.
La précarité socio-économique est citée par les jeunes comme la première cause du passage à l'acte.
Rupture scolaire
Le risque de délinquance est multiplié par huit en cas d'absentéisme scolaire. 72 % des jeunes suivis par la PJJ à Marseille sont ou ont été déscolarisés.
Santé mentale et handicap
90 % des jeunes en CEF présentent au moins un trouble psychiatrique. Le manque de structures de soins et d'accompagnement adapté aggrave leur fragilité.
Exposition à la violence
L'exposition à la violence (familiale, scolaire, numérique, sexuelle) favorise la reproduction des comportements violents. Le rapport note une augmentation de 77 % des mineurs mis en cause pour violences sexuelles entre 2017 et 2024.
Exploitation par des réseaux
Des mineurs, notamment les non-accompagnés (MNA), sont victimes de traite des êtres humains à des fins de délinquance forcée (trafic de stupéfiants, prostitution). Ils sont souvent traités comme des auteurs et non comme des victimes.
2. Les Leviers de la Prévention
Pour contrer ces facteurs, le rapport préconise de renforcer plusieurs dispositifs.
• La prévention spécialisée : Les "éducateurs de rue" qui vont à la rencontre des jeunes en marge jouent un rôle capital. Cependant, ce secteur souffre d'un déploiement inégal sur le territoire et d'une pénurie de professionnels.
• Le soutien à la parentalité : Le rapport privilégie un accompagnement des familles en difficulté plutôt qu'une approche purement punitive, s'interrogeant sur l'efficacité des sanctions financières contre des parents souvent déjà précaires.
• La protection de l’enfance : L'articulation entre l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE) et la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) est jugée indispensable mais défaillante, entravant une prise en charge globale des jeunes.
III. Le Parcours Pénal : Une Garantie des Droits Défaillante
Le rapport détaille, étape par étape, comment les droits spécifiques des mineurs sont mis à mal tout au long de la procédure pénale.
1. Premier Contact : Contrôles d'Identité et Interpellations
• Contrôles d'identité : Le rapport dénonce l'existence de pratiques discriminatoires, s'appuyant sur ses propres enquêtes qui montrent que les jeunes hommes perçus comme noirs ou arabes ont 12 fois plus de risques de subir un contrôle "poussé".
Ces pratiques, reconnues par la justice française (Cour de cassation, Conseil d'État) et européenne (CEDH), nourrissent un sentiment d'injustice et de défiance.
• Interpellations : Les témoignages de jeunes font état d'un usage disproportionné de la force, d'humiliations et de propos racistes, transformant l'interpellation en une expérience traumatisante.
« Ils cherchent à provoquer les jeunes lors des contrôles, pour que cela dérape et qu’ils puissent les embarquer. » - Jeune consulté
2. Enquête : Audition, Retenue et Garde à Vue
Bien que le CJPM prévoie des garanties fortes (droit à un avocat sans dérogation, enregistrement audiovisuel, information des parents), leur application est défaillante.
• Auditions : Des mineurs sont interrogés sans notification de leurs droits ou dans des conditions inadaptées.
• Garde à vue : Décrite comme une expérience traumatisante, avec des conditions matérielles souvent médiocres, un manque d'information et un isolement anxiogène. La situation des mineurs en situation de handicap est particulièrement préoccupante.
3. Jugement et Sanctions
La réforme du CJPM a permis de réduire les délais de jugement (de 23 à 9,4 mois en moyenne), mais a engendré de nouvelles difficultés.
• Mise à l'épreuve éducative : Cette période entre l'audience de culpabilité et celle de sanction n'est souvent pas effective faute de moyens, vidant la réforme de son sens.
• Recours à l'audience unique : Prévue comme une exception, cette procédure qui statue en une seule fois sur la culpabilité et la sanction tend à se généraliser, au détriment de l'évaluation éducative.
• Compréhension : Les jeunes se plaignent d'un langage judiciaire inaccessible et du sentiment de ne pas être écoutés par les magistrats.
4. L'Incarcération : L'Ultime Recours aux Effets Délétères
L'incarcération des mineurs, possible dès 13 ans, doit rester exceptionnelle. Le rapport alerte sur ses conséquences dramatiques.
• "Choc carcéral" et suicides : L'enfermement est un traumatisme majeur. Cinq adolescents se sont suicidés en détention entre octobre 2023 et août 2024.
• Conditions de détention :
◦ Éducation : L'accès à la scolarité est très insuffisant (bien en deçà des 12 à 20 heures hebdomadaires prévues) et entravé par les contraintes sécuritaires.
◦ Santé : La continuité des soins, notamment psychiatriques, est rompue.
◦ Coordination : La collaboration entre l'Administration Pénitentiaire (AP) et la PJJ est difficile, avec des logiques parfois contradictoires (sécurité vs. éducatif).
◦ Dignité : Les jeunes dénoncent la qualité et la quantité de la nourriture, le coût élevé des communications avec la famille, et des pratiques de fouilles intégrales jugées humiliantes et abusives.
« Mettre ensemble plusieurs jeunes “perturbateurs”, ça ne fait que rassembler des idées de perturbations encore plus grandes. » - Jeune incarcéré
IV. Réinsertion et Prévention de la Récidive
La réinsertion n'est pas une simple étape post-sanction, mais un processus qui doit être engagé dès le début du parcours pénal.
• Préparer la sortie : Les fins de placement ou de détention sont des moments à haut risque de récidive.
Le rapport souligne le besoin crucial d'anticiper ces transitions en coordonnant l'action de tous les acteurs (PJJ, ASE, éducation, etc.).
• Le droit à l'oubli : L'effacement des condamnations du casier judiciaire est essentiel pour permettre aux jeunes de se reconstruire sans être stigmatisés.
Ce droit reste largement méconnu des principaux intéressés.
Les jeunes eux-mêmes insistent sur l'importance de l'accompagnement, du soutien à leurs projets et de la possibilité de rencontrer des pairs au parcours de réinsertion réussi, qui incarnent une source d'espoir.
« Nous devons avoir la possibilité de nous racheter sans être stigmatisés à vie. » - Jeune consulté
V. Sélection de Recommandations Clés
Parmi les 25 recommandations du rapport, plusieurs se distinguent par leur portée structurelle.
• Principes fondamentaux :
◦ Recommandation 1 : Inscrire dans la loi le principe de non-responsabilité pénale des mineurs de moins de 13 ans, sans exception.
◦ Recommandation 4 : Créer un code de l’enfance pour unifier et clarifier l'ensemble des dispositions civiles et pénales.
• Prévention :
◦ Recommandation 5 : Renforcer les moyens alloués à la prévention du décrochage scolaire (plus de psychologues, d'assistants sociaux, etc.).
◦ Recommandation 9 : Remettre la prévention spécialisée au cœur des politiques publiques avec un financement sécurisé et renforcé.
• Parcours Pénal :
◦ Recommandation 12 : Assurer la traçabilité des contrôles d’identité pour lutter contre les discriminations.
◦ Recommandation 18 : Rendre la justice compréhensible pour les enfants en formant les professionnels à l'usage d'un langage simple et clair.
• Détention et Réinsertion :
◦ Recommandation 21 : Garantir l'effectivité de l'accès à l'éducation, à la santé et au maintien des liens familiaux en détention.
◦ Recommandation 24 : Anticiper systématiquement la fin d’un placement ou d’une incarcération pour favoriser la réinsertion.
◦ Recommandation 25 : Rendre systématique l'information des mineurs sur les procédures d’effacement du casier judiciaire pour rendre effectif le droit à l’oubli.