note d'information détaillée basée sur les extraits fournis de "Éducation : comment mieux orienter la dépense publique" par Julien Grenet et Camille Landais pour le Conseil d’analyse économique (CAE), n° 84, mai 2025.
NOTE D'INFORMATION : Efficacité de la Dépense Publique d'Éducation en France
Introduction
Cette note du Conseil d'analyse économique (CAE) analyse l'efficacité de la dépense publique d'éducation en France, qui s'élevait à près de 180 milliards d'euros en 2022.
Malgré cet investissement conséquent, les résultats du système éducatif français montrent des signes de dégradation, notamment en mathématiques, et les inégalités sociales restent parmi les plus élevées de l'OCDE.
Face à ce constat et à la baisse démographique attendue, la note propose d'utiliser un nouvel indicateur, l'indice d'efficacité de la dépense publique (EDP), pour évaluer le rendement social net de chaque euro investi et éclairer les choix budgétaires.
Constats Principaux
Rendement Insuffisant Malgré l'Investissement :
En 2022, la France a consacré environ 180 milliards d'euros à l'éducation.
En 2021, la dépense par élève en France (9 352 €) était légèrement supérieure à la moyenne de l'OCDE (8 838 €). Cependant, cette moyenne masque un déséquilibre : la dépense par élève est inférieure de 11 % à la moyenne de l'OCDE dans le primaire, mais supérieure de 13 % dans le secondaire.
Malgré cet effort budgétaire, les performances des élèves français aux évaluations PISA stagnent, avec une dégradation continue en mathématiques depuis 30 ans.
La France présente des inégalités scolaires "parmi les plus marquées de l’OCDE", avec un écart de performance en mathématiques de 113 points entre élèves favorisés et défavorisés dans PISA 2022 (contre 93 en moyenne OCDE).
Constat 1 : "Malgré un niveau d’investissement supérieur à la moyenne de l’OCDE, la dépense éducative en France se révèle moins efficace que dans de nombreux pays comparables.
Les performances des élèves français sont en retrait, en particulier en mathématiques, tandis que les écarts de réussite liés à l’origine sociale demeurent parmi les plus élevés des pays développés."
Choc Démographique :
La France fait face à une baisse continue de la natalité depuis le début des années 2010 (-20 % de naissances annuelles entre 2010 et 2024).
Cela se traduit par une diminution des effectifs scolaires : -8 % dans le premier degré depuis 2015 (et -9 % attendu d'ici 2029), et une baisse de 4 à 5 % attendue dans le second degré d'ici 2029, se prolongeant jusqu'à la fin des années 2030.
Constat 2 : "La baisse continue de la natalité expose le système éducatif à un choc démographique durable : d’ici à 2029, les effectifs du premier degré auront chuté de 16 % par rapport à 2015, et la baisse amorcée dans le second degré devrait se prolonger jusqu’à la fin de la décennie 2030."
Cette évolution crée une "fenêtre d’opportunité inédite pour repenser l’usage des moyens alloués à l’éducation."
L'Indice d'Efficacité de la Dépense Publique (EDP)
L'EDP mesure le gain social généré par une politique pour chaque euro dépensé par l'État, en tenant compte des effets fiscaux et comportementaux.
Un EDP supérieur à 1 indique une politique efficace.
Un EDP "infini" correspond à une politique "autofinancée", où les gains fiscaux générés (par exemple, via une hausse des revenus futurs des bénéficiaires) compensent ou excèdent le coût initial.
L'EDP peut également intégrer des considérations d'équité en accordant plus de poids aux bénéfices pour les publics vulnérables.
Évaluation des Politiques Éducatives clés via l'EDP
L'analyse s'organise autour de quatre axes, évaluant des politiques éducatives spécifiques :
Organisation de la Classe et de la Scolarité :
Réduire la taille des classes : Efficace, en particulier au primaire. Le dédoublement des classes (CP/CE1 en REP+) est une "politique autofinancée (EDP infini)".
L'effet est estimé entre 1,5 % et 2,5 % d'un écart-type d'amélioration des résultats par élève en moins, avec des gains plus importants pour les élèves défavorisés.
L'effet est moins certain et plus faible au collège.
Recommandation 1 : "Mobiliser les marges budgétaires ouvertes par la baisse démographique pour amplifier la réduction de la taille des classes dans le premier degré, en ciblant les contextes prioritaires, et expérimenter cette politique au collège."
Le redoublement : Coûteux (près de 2 milliards d'euros par an en 2015) et généralement inefficace, avec des effets nuls voire négatifs à long terme et un risque accru de décrochage.
L'EDP est nul voire négatif.
Groupes de niveau/besoin : Les regroupements "permanents" n'ont pas d'effet positif sur le niveau moyen et creusent les inégalités.
Les regroupements "transitoires et flexibles" (groupes de besoin) sont plus prometteurs mais manquent d'évaluations robustes.
La généralisation des groupes de niveau envisagée dans le cadre du "Choc des savoirs" est jugée incertaine sans évaluation préalable.
Recommandation 2 : "Éviter de recourir au redoublement qui a un coût très élevé et n’est pas efficace pour accompagner les élèves en difficulté. Ne pas généraliser les groupes de besoin à l’ensemble du collège sans une évaluation préalable de leurs effets."
Internats d'excellence (ex: Sourdun) : Très efficaces pour les élèves motivés issus de milieux défavorisés, avec un EDP élevé (estimé à 4,5 pour Sourdun).
Permet une augmentation estimée des salaires futurs de près de 11 %. Bien que coûteux, le dispositif génère des bénéfices importants.
Recommandation 3 : "Développer des dispositifs éducatifs intensifs et ciblés, à l’image de l’internat d’excellence de Sourdun, en veillant à garantir leur complémentarité avec les politiques en faveur des élèves les plus en difficulté."
Renforcer les Acquis des Élèves :
Le tutorat : "l’un des dispositifs les plus efficaces" pour combler les lacunes. Une méta-analyse récente montre un effet moyen de +37 % d'un écart-type sur les résultats scolaires.
Le dispositif est "autofinancé quel que soit le type de tuteur mobilisé". Le format en primaire, pendant le temps scolaire, avec des tuteurs paraprofessionnels est jugé le plus prometteur pour une généralisation.
Compétences socio-comportementales : Renforcer ces compétences (sentiment d'efficacité personnelle, persévérance, etc.) est crucial pour la réussite scolaire et professionnelle.
Des programmes ciblés ont montré des effets positifs sur l'engagement et les résultats scolaires à un "coût relativement modeste".
Le programme Énergie Jeunes a montré une amélioration significative des résultats pour un coût estimé à 65 euros par élève et présente un "indice d’efficacité infini".
Recommandation 4 : "Déployer à grande échelle des dispositifs de tutorat pour renforcer l’accompagnement des élèves en difficulté.
Mettre en œuvre des programmes renforçant les compétences socio-comportementales des élèves, en priorité dans les établissements les plus exposés aux difficultés sociales et scolaires."
Numérique éducatif : Effets contrastés.
Les dotations matérielles seules ont peu d'impact.
Les outils numériques interactifs, adaptés et intégrés à l'enseignement, peuvent générer des gains significatifs (jusqu'à 50 % d'un écart-type), notamment en mathématiques, et sont autofinancés. Une expérimentation du Plan numérique de 2015 suggère des effets positifs de tablettes individuelles.
Recommandation 5 : "Expérimenter et évaluer les solutions EdTech pour identifier les outils numériques les plus efficaces, en particulier en mathématiques, et favoriser leur intégration dans les pratiques pédagogiques."
Formation et Accompagnement des Enseignants :
"Valeur ajoutée" des enseignants :
Un facteur déterminant dans les apprentissages des élèves, avec une forte hétérogénéité d'efficacité.
Un enseignant très efficace peut générer des gains salariaux cumulés importants pour ses élèves.
Formation continue :
Le modèle actuel (ponctuel, peu ciblé) est coûteux et peu efficace.
Les formats intensifs, ciblés, basés sur la pratique et accompagnés (coaching) sont plus efficaces et peuvent être autofinancés.
Une expérimentation sur l'enseignement des sciences a montré des gains à court terme, mais qui s'atténuent sans accompagnement durable.
Recommandation 6 : "Réformer la formation continue des enseignants en privilégiant des formats intensifs, ciblés et ancrés dans la pratique, accompagnés d’évaluations rigoureuses pour en mesurer l’impact à long terme."
Évaluation des enseignants : Les inspections pédagogiques suivies de retours individualisés ont un effet positif sur les apprentissages des élèves.
Leur fréquence actuelle en France est faible. Elles sont "autofinancées" selon les études disponibles. Il serait pertinent d'augmenter leur fréquence et de les lier à la formation continue.
Recommandation 7 : "Renforcer le rôle de l’évaluation formative des enseignants en augmentant la fréquence des inspections pédagogiques et en les articulant plus étroitement avec la formation continue."
Impliquer les Parents :
Renforcer le lien école-famille, surtout pour les familles défavorisées, est crucial.
Mallette des parents : Dispositif simple et peu coûteux (environ 8 euros par élève) ayant montré des effets très significatifs sur le comportement scolaire (-15 % d'un écart-type d'absences/sanctions) et les résultats scolaires (+8 % d'un écart-type).
Outils numériques de suivi (ENT, Pronote) :
Des interventions simples (envoi de SMS/messages) peuvent réduire l'absentéisme et améliorer les performances (jusqu'à 10 % d'un écart-type), en particulier quand l'information est facilement accessible.
Ces interventions sont "autofinancées" compte tenu de leur "coût quasi nul".
Recommandation 8 : "Renforcer l’implication des parents via des actions de sensibilisation dans les établissements et le développement d’outils numériques d’information scolaire accessibles et adaptés à leurs besoins."
Conclusion : Un Cadre à Enrichir
La dépense éducative est considérée comme "l’un des usages les plus efficaces des finances publiques", avec de nombreuses politiques affichant un EDP élevé, voire infini.
Cela contredit l'idée qu'il s'agirait d'une simple "réserve d’économies facilement mobilisable".
Le coût par élève n'est pas un indicateur fiable de l'efficacité ; l'allocation des ressources doit se fonder sur l'efficacité mesurée.
Le cadre analytique basé sur l'EDP nécessite d'être enrichi. Trois priorités sont identifiées :
Développer l'expérimentation à grande échelle :
Essentiel pour évaluer l'efficacité des politiques dans des conditions réelles, notamment via des protocoles expérimentaux.
Exploiter les données administratives : Améliorer la qualité et l'accès aux données (premier degré, groupes de besoin, affectation/mutation enseignants), et faciliter les appariements sécurisés avec d'autres sources de données (emploi, salaire, santé, justice) pour mieux comprendre les effets à long terme.
Améliorer la connaissance des coûts : Recenser précisément toutes les ressources mobilisées pour estimer le coût complet des politiques, au-delà des seules lignes budgétaires globales.
Recommandation 9 : "Développer les expérimentations à grande échelle dans des conditions réelles de mise en œuvre, faciliter l’accès et l’appariement sécurisé des données administratives pour élargir les analyses d’impact, et recenser précisément les ressources mobilisées pour connaître le coût complet de ces politiques."